Parallèlement à l’évolution du contexte économique d’ensemble au cours des années 1970, une nouvelle forme de gouvernement local émerge autour des instances politiques de la COURLY et des structures de représentation des intérêts économiques de l’agglomération, matérialisé par la Charte Industrielle et la création de l’ADERLY. Les élus communautaires revendiquent plus de pouvoir de décision et de contrôle sur la conduite de la régulation économique territoriale, vis-à-vis de l’Etat central, mais également des organismes patronaux qui assurent le fonctionnement de l’association. Le partenariat institutionnel et l’alliance politique passés entre les pouvoirs politique et économique de l’agglomération instaurent dans les faits une forme d’organisation de la gestion de l’intervention économique au niveau local qui s’apparente à la notion de gouvernance (voir supra, 1ère Partie).
La position des élites politiques lyonnaises, et notamment de L. Pradel, est relativement ambiguë dans le processus de régulation économique locale. Longtemps en effet, les élus lyonnais ne se sont pas vraiment intéressés aux affaires économiques locales et à leur orientation qualitative ou sectorielle. Ils se préoccupent d’autant moins du développement économique que le contexte d’expansion n’exige pas d’intervention correctrice de la part de la puissance publique locale, même si les relations sont étroites entre les milieux politique et économique à Lyon. Elle est de toute façon maintenue dans un état de quasi impuissance par l’absence de compétence d’action propre pour agir dans le domaine de l’économie et par la domination technocratique des services de l’Etat.
Y compris au sein des organismes patronaux et du milieu des entrepreneurs, la considération que la régulation économique est une tâche secondaire pour l’intervention publique et les élus est assez répandue dans les années 1960. Elle se renforce même parallèlement aux nouvelles prises de position des responsables patronaux nationaux à partir de 1965, qui réaffirment la profonde différence de point de vue entre acteurs économiques et responsables politiques, particulièrement marquée à Lyon par le faible engagement politiques des élites patronales dans la vie publique municipale (Angleraud, Pellisier, 2003).
A partir des années 1970 cependant, des efforts importants sont réalisés par les autorités politiques lyonnaises pour relayer le soutien de l’Etat aux grands groupes industriels ou financiers, et pour s’approprier plus globalement le projet économique étatique défini à l’échelle nationale. Ce souci économique nouveau de participer à la régulation, même de façon indirecte, s’exprime notamment dans le cadre de l’opération du centre directionnel et tertiaire de la Part Dieu, dont la réalisation est en partie assurée par des grandes sociétés françaises ou étrangères, et dans le cadre du lobbying industriel de l’Association Grand Delta, auquel L. Pradel participe en organisant les Journée du Grand Delta à Lyon en 1972.
Dans le même temps toutefois, le Président de la COURLY entretient également d’étroites relations de clientélisme avec un partie du patronat local (sociétés de construction et de BTP essentiellement), notamment dans le cadre des efforts d’équipement public de l’agglomération ainsi qu’à la Part Dieu. Les autorités politiques lyonnaises sont d’ailleurs accusées, tant par les instances patronales qui demeurent méfiantes vis-à-vis de la politique étatique placée au service des grands groupes extra-locaux, que par l’opposition socialiste qui conteste le projet étatique pour des raisons idéologiques, de « faire feu de tout bois », mais aussi de « ménager la chèvre et le chou », selon une logique de positionnement plus opportuniste que véritablement politique.
Le rôle de la COURLY dans le nouveau système de gouvernement économique local relève essentiellement de la communication publique et politique autour de l’adoption de la Charte et des grandes orientations de principe de la politique économique locale émergente. La structure intercommunale représente en effet les pouvoirs publics en raison de la délégation de compétences dont elle bénéficie de la part des communes membres, et de son statut d’établissement public créé par l’Etat. Elle porte donc l’intérêt général sur le territoire de l’agglomération, énonce les choix de politique publique, même si sa légitimité démocratique n’est qu’indirecte, les responsables communautaires n’étant pas élus par la population mais par les élus municipaux.
L. Pradel présente ainsi en 1972 les objectifs de la politique économique et industrielle locale à la presse dans les salons de l’Hôtel de Ville : assurer pour l’ensemble lyonnais un développement qui concilie contingences de l’économie et impératifs de l’humain ; permettre à Lyon de jouer pleinement son rôle dans les cadres national, régional et européen ; créer les conditions du développement et de la diversification des entreprises existantes pour qu’elles puissent s’épanouir et améliorer leur compétitivité ; favoriser les nouvelles implantations dans l’ensemble lyonnais ; organiser le développement à l’intérieur de l’ensemble urbain pour obtenir une utilisation rationnelle des sites possibles d’implantation, dans et hors agglomération ; améliorer la relation habitat/travail en protégeant la population contre les nuisances.
En matière de développement économique et d’intervention régulatrice, la COURLY ne possède cependant aucune compétence d’action directe, conformément aux pouvoirs limités conférés par l’Etat aux municipalités dont elle émane. En revanche, elle est en charge de la gestion de l’urbanisme, de l’aménagement de l’espace et de la planification territoriale, compétences qui lui sont déléguées par les communes membres. Au début des années 1970, la COURLY ne jouit toutefois pas encore de services techniques très développés, notamment sur ces champs de compétences qui permettent une intervention de nature indirecte dans le champ de l’économie (accompagnement du processus de modernisation des structures productives, amélioration de l’environnement spatial des entreprises, réalisation d’équipements collectifs, etc.).
En matière d’expertise économique, les organismes patronaux apportent leur connaissance des problématiques de développement des entreprises. Ils relayent également le point de vue et les besoins spécifiques des chefs d’entreprises, afin qu’ils soient pris en compte dans la conduite de l’action. En l’absence de compétences techniques et légales propres, la COURLY s’appuie essentiellement sur l’ATURCO et la SERL pour mettre en œuvre sur le plan urbanistique et spatial les orientations économiques de principe définies par la Charte Industrielle. Les travaux de préparation du POS de Lyon et Villeurbanne (secteur centre), initiés dès la fin des années 1960 en application de la LOF, permettent notamment aux acteurs publics locaux de bâtir une expertise solide sur les problématiques d’aménagement, apte à répondre aux demandes de renseignements pratiques des industriels et investisseurs (voir infra).
L’une des principales revendications du GIL lors de la contestation de l’étude du CERAU en 1971 porte sur la nécessité pour les responsables d’entreprises d’accéder à l’information concernant les expropriations et les échéanciers de réalisation des zones industrielles et des opérations de rénovation urbaine. Les besoins en terrains aménagés et équipés des entreprises lyonnaises participant au desserrement industriel et des investisseurs extérieurs candidats à l’implantation sont en effet très importants. Ils conduisent la SERL à intensifier son intervention dans l’Est de l’agglomération pour le compte de la COURLY (St Priest – Mi Plaine, Meyzieu, Vaulx-en-Velin). L’enjeu est également de satisfaire les demandes des industriels aux franges de la COURLY (Genas), qui reprochent à l’administration étatique de trop favoriser les ZI de l’Isle d’Abeau 167 .
L’arrivée de F. Collomb à la tête de l’exécutif en 1976 donne un nouvel élan à la politique économique locale, après le long règne de L. Pradel, globalement plus marqué par les préoccupations urbanistiques que par l’engagement politique local en faveur de l’économie. Le nouveau Maire de Lyon et Président de la COURLY est un ancien industriel, particulièrement au fait des problématiques économiques. Il fait de la promotion de Lyon et de sa région au niveau international l’un des axes principaux de son plan de mandat en 1977 (ADERLY, 1977, pp.15-16) et confirme l’engagement de la COURLY au sein d’un système de gouvernement local des affaires économiques, fondé sur le partenariat institutionnel et politique entre les acteurs publics et les représentants de la sphère économique.
La fin des années 1970 voit ainsi la montée de l’engagement de la sphère politique lyonnaise dans la gestion de la régulation économique territoriale dans l’agglomération, aux côtés des représentants patronaux. Cette dynamique politique locale nouvelle en faveur de l’économie s’explique en grande partie par le contexte général de crise (apparition du chômage, fermetures d’usines…) et n’est pas propre à l’agglomération lyonnaise. Les élections municipales de 1977 marquent en effet l’avènement de maires entrepreneurs un peu partout en France, renouvelant en profondeur le paysage politique des communes et la conduite de l’action publique en faveur de l’économie au niveau local.
Pour autant, il n’y pas de véritable consensus politique autour de la question des modalités de gestion de l’intervention économique au niveau local, mais plutôt une situation de conflit idéologique entre les partisans de l’adoption du point de vue néo-libéral, émanant principalement des communes centrales de l’agglomération, et les partisans d’une opposition au système économique et politique en place, issus des municipalités de banlieue.
Trassoudaine L., « Les zones industrielles : l’extension de Meyzieu (80 hectares) présentée ce soir, à la Communauté urbaine. Le dossier St-Priest – Mi-Plaine en préparation », L’Echo Liberté, 25/09/1972. Source : Archives du GIL-MEDEF Lyon-Rhône.