Gestion partenariale des problèmes économiques et conflits politiques

Dans l’agglomération lyonnaise, l’existence de la COURLY modifie très fortement la donne politique au sein du système d’acteurs de la régulation économique territoriale, puisque les élus municipaux se trouvent soumis au pouvoir intercommunal dans la conduite des politiques urbaines. Les tenants politiques de l’opposition au pouvoir en place, tant au niveau gouvernemental que local, éprouvent de grandes difficultés à faire entendre leur point de vue face à la coalition patronale qui se greffe autour des responsables de la COURLY. Ces débats sur l’organisation de la politique économique à l’échelle de l’agglomération sont toutefois fortement déterminés par les majorités politiques opposées de Lyon et des principales municipalités de la périphérie : Lyon est gouvernée par une équipe de centre-droit plutôt libérale, majoritaire à la COURLY, face au basculement emblématique de Villeurbanne à gauche lors du scrutin municipal de 1977, qui conforte l’inscription des communes périphériques, notamment de l’Est, dans l’opposition « socialo-communiste »au pouvoir en place.

Ces forces politiques s’affrontent sur les questions de définition et de mise en œuvre de la politique urbaine, particulièrement sur les volets économique et urbanistique, qui cristallisent les oppositions de principe (Lojkine, 1974). La mobilisation politique autour du contrôle de l’intervention économique locale et des missions de l’ADERLY marque ainsi l’avènement d’une forme de gouvernement local au sein de la COURLY, mais reflète également les grandes oppositions idéologiques qui traversent la société française face au choix d’une régulation plus libérale du fonctionnement de l’économie.

La montée en puissance des théories libérales dans le débat politique au niveau national, notamment sur la question de l’action publique dans le domaine de l’économie, se répercute dans l’agglomération lyonnaise au travers de la définition des modalités d’intervention partenariales de l’association. C’est donc aussi le choix de l’orientation libérale de la politique économique du nouveau gouvernement qui s’accompagne d’un désengagement progressif de l’Etat de la régulation économique territoriale, qui est attaqué par les partisans socialistes et communistes lyonnais. Le contexte de l’apparition de la crise durant les travaux de préparation du 6ème Plan au niveau national, ses conséquences sur la conjoncture économique et sur la question de l’emploi, ou encore le problème des monopoles sont mis en avant par les élus de l’opposition à la COURLY pour critiquer l’attitude ouvertement libérale et le positionnement managérial des responsables politiques et économiques lyonnais, calé sur le virage de l’Etat.

Le manque de concertation politique et le parti pris résolument libéral des responsables de la COURLY sont ardemment brocardés durant les séances plénières du Conseil communautaire, essentiellement par les élus communistes de l’Est de l’agglomération 168 . La soumission du pouvoir de décision en matière de politique économique aux intérêts du grand patronat industriel et financier constitue le principal grief de l’opposition socialo-communiste, qui dénonce aussi la responsabilité des grands monopoles soutenus par l’Etat dans la survenue de la crise (retraits d’investissements, suppressions d’emplois), et dans la pénétration des grandes banques dans la construction immobilière, notamment à la Part Dieu 169 .

Une stratégie de développement endogène émerge cependant dans l’agglomération à la fin des années 1970, qui matérialise la prise de conscience des acteurs politiques et économiques lyonnais du rôle du territoire et des atouts spécifiques du contexte local pour le développement de l’agglomération : « cela suppose de notre part un effort encore approfondi d’information pour montrer les « économies internes et externes » que les entreprises peuvent dégager en s’implantant dans la région – pour décrire aussi les services existants comme le marché à conquérir » (ADERLY, 1977, p.16). F. Collomb définit à partir de ce constat une ambition nouvelle de Ville Internationale pour Lyon, qui doit se répercuter à l’échelle de l’agglomération grâce à l’action politique et technique conjointe de la COURLY et de l’ADERLY.

Si le pilotage politique de l’action économique est jalousement revendiqué et défendu par les élus locaux, son application pratique est confiée aux représentants des intérêts économiques lyonnais (CCIL, représentants patronaux, ACADI), malgré les protestations formulées par les membres de l’opposition qui craignent un dévoiement de l’intérêt général du à une trop forte implication du secteur privé dans la régulation économique territoriale. Les interventions économiques sont définies de façon concertée par les organismes patronaux et les responsables de la COURLY, et leur mise en œuvre est assurée par les techniciens de l’ADERLY, qui sont largement ouverts aux intérêts et besoins des entreprises.

Ce choix méthodologique et politique d’inspiration libérale défendu par la majorité au pouvoir à la COURLY, qui consiste à faire adopter les manière de faire des entreprises dans la conduite de l’action publique, notamment par la SERL (voir infra) ou l’ADERLY, est vivement contesté : « Chercher, comme le fait le GIL, la CCI ou la COURLY à monter une étude de marché afin de savoir comment adapter les ressources locales, géographiques, économiques et humaines aux besoins des grandes puissances financières est à peu près aussi efficace que d’appliquer un cautère sur une jambe de bois. Cela n’a rien à voir avec la définition d’une politique économique et d’aménagement harmonieux du territoire, cela est dangereux pour l’avenir » 170 . L’opposition accuse ainsi l’ADERLY de plus se préoccuper de la satisfaction des attentes des entreprises en matière de développement, que des problèmes de fermeture d’usines, de délocalisation industrielle et de chômage, qui frappent pourtant directement les habitants de l’agglomération et grèvent en partie les possibilités de développement économique dans l’agglomération.

Ils regrettent également la tenue à l’écart des élus et des représentants des travailleurs de toute participation aux réflexions sur le contenu de la Charte et à l’élaboration des missions de l’ADERLY. L’absence de dialogue et de débat démocratique au sein de la COURLY, ainsi qu’avec les structures de représentation des intérêts économiques, est souvent pointée du doigt, mais les responsables syndicaux et les élus de l’opposition n’obtiennent pas gain de cause sur le terrain politique lyonnais (Perrin, Trassoudaine, 23/04/1974). Leurs représentants au conseil communautaire oeuvrent en 1979 au renforcement du rôle de contrôle et de pilotage politique des élus au sein de l’ADERLY, qui passe par une augmentation du nombre des représentants de la COURLY dans son conseil de direction 171 . Il passe de deux membres (sur six sièges) à six membres (sur douze sièges), parmi lesquels figurent le Maire de Lyon (Président de la COURLY) et celui de Villeurbanne 172 . Ce dernier (le socialiste C. Hernu) obtient le maintien de son siège, bien que sa commune ne participe pas au financement de l’association, afin de défendre les intérêts des municipalités de banlieue au sein de l’association.

L’enjeu est quadruple pour les élus de la COURLY. Il s’agit d’une part de promouvoir l’action économique développée par les communes de l’agglomération, qui n’est pas prise en considération par les missions de l’ADERLY, concentrée sur des tâches de prospection et de promotion à l’échelle nationale et internationale. Ils souhaitent d’autre part limiter la compétition économique qui s’instaure de fait entre la ville centre et les communes du reste de l’agglomération à cause de l’action de l’ADERLY, focalisée sur le développement et le rayonnement de Lyon. L’association est ainsi perçue par certains élus de banlieue comme « une machine de guerre lyonnaise » 173 , qui place la ville et sa périphérie en situation de concurrence pour attirer les opérations de décentralisation industrielle ou tertiaire.

Il s’agit aussi de donner un plus grand pouvoir décisionnel et de contrôle des actions aux élus face aux techniciens de l’économie issus du monde des entreprises, qui gèrent l’association (voir infra), en consolidant le rôle décisionnel de la sphère politique dans la conduite de la régulation économique territoriale dans l’agglomération. Le rôle de l’Etat, qui se désengage financièrement de l’aménagement au niveau local en encourageant le recours au partenariat public/privé dans le cadre de structures comme l’ADERLY (voir le rôle d’incitateur de l’association Bureaux-Provinces en la matière), conduit enfin à une augmentation des charges financières pesant sur les collectivités locales, sans que celles-ci ne gagnent en pouvoir de décision. Cette situation motive les élus dans leur volonté de mieux contrôler le budget et les actions de l’ADERLY.

Ils refusent en effet que les autorités publiques locales cèdent le pouvoir d’action dans le champ de l’économie aux techniciens de la CCIL, venus de la sphère privée, au nom du pragmatisme libéral : « Je voudrais que l’ADERLY agisse comme le Président Collomb essaie de la faire à la COURLY, à savoir que les élus décident et que les fonctionnaires exécutent. Je crains (…) une ADERLY où les fonctionnaires auront plus tendance à décider qu’à exécuter » 174 . La crainte des élus vient en partie de la nature nouvelle des interventions déployées par l’association pour favoriser le développement économique sur le territoire, plus qualitatives et immatérielles, fondées sur la concurrence et le marketing et directement inspirées du monde des entreprises.

L’ADERLY, comme la SERL, adoptent en effet à la fin des années 1970 une nouvelle démarche de conduite de l’action publique, emprunte de management et de pragmatisme économique, qui confirme la victoire des conceptions entrepreneuriales de la sphère privée sur les modes de faire aménagistes plus classiques de la puissance publique.

Notes
168.

« Communauté urbaine : avec l’ADERLY, une association avec le patronat lyonnais », L’Humanité Dimanche, 07/05/1974. Source : Archives du GIL-MEDEF Lyon-Rhône.

169.

« L’affaiblissement du développement économique de la région en débat à l’occasion de l’adhésion de la Communauté urbaine à l’ADERLY », L’essentiel Lyon – Région, 30/04/1974. Source : Archives du GIL-MEDEF Lyon-Rhône.

170.

Propos cités dans l’article « Communauté urbaine : avec l’ADERLY, une association avec le patronat lyonnais », L’Humanité Dimanche, 07/05/1974. Source : Archives du GIL-MEDEF Lyon-Rhône.

171.

COURLY, « Extrait du procès-verbal de la séance du conseil communautaire du 25 juin 1979. n°79-1.990 – Subvention accordée à l’ADERLY (commission des affaires économiques, industrielles et commerciales et commission des finances) ». Source : Dossier ADERLY - Archives du Grand Lyon.

172.

Ce sont déjà les deux représentants de la COURLY au conseil de direction de l’ADERLY « 1ère formule ».

173.

Propos de M. Fischer, COURLY, « Extrait du procès-verbal de la séance du conseil communautaire du 25 juin 1979. n°79-1.990 – Subvention accordée à l’ADERLY (commission des affaires économiques, industrielles et commerciales et commission des finances) ». Source : Dossier ADERLY - Archives du Grand Lyon.

174.

Propos de C. Hernu, Maire de Villeurbanne, COURLY, « Extrait du procès-verbal de la séance du conseil communautaire du 25 juin 1979. n°79-1.990 – Subvention accordée à l’ADERLY (commission des affaires économiques, industrielles et commerciales et commission des finances) ». Source : Dossier ADERLY - Archives du Grand Lyon.