L’ADERLY constitue le principal rouage institutionnel de l’acculturation progressive des acteurs lyonnais aux logiques de gestion des affaires économiques inspirées de la pensée libérale et du monde des entreprises. L’exposé du président du GIL lors de la conférence de presse de lancement de l’ADERLY en juin 1973 exprime en effet la nécessité d’adopter une démarche de développement stratégique et pragmatique, pour favoriser l’attractivité de l’agglomération lyonnaise vis-à-vis des investisseurs économiques et de la main d’œuvre qualifiée : « il faut rendre notre agglomération attrayante, en apportant une attention toute particulière aux logements ainsi qu’aux équipements sportifs et culturels. L’ensemble de ces dispositions, pour être efficace, doit faire partie d’un plan car il est évident que les moyens financiers ne permettront pas de tout faire immédiatement et tout à la fois ».
Les responsables des syndicats patronaux de branche lyonnais (BTP, industries) et les chefs d’entreprises de façon générale, qu’ils soient membres du GIL ou non, sont majoritaires dans les différentes commissions thématiques de l’ADERLY (structures d’accueil, urbanisation et développement des activités, animation dans la ville, communication, coordination, formation). Ils ont une forte influence sur la conduite des réflexions et des actions au sein de l’association, en termes de méthode de gestion et de conception des problèmes économiques. L’intervention de l’association permet ainsi de diffuser une nouvelle conception de l’action économique au sein du système d’acteurs de l’agglomération lyonnaise, plus axée sur la dimension qualitative du développement économique et la mise en valeur de l’environnement territorial et métropolitain des entreprises, fondée sur le contexte d’ensemble de crise et d’augmentation de la concurrence économique entre les villes.
Ce positionnement concurrentiel et qualitatif de l’action économique exige des compétences techniques très pointues, un savoir-faire que seuls les « hommes de métier » 175 issus de la sphère privé maîtrisent. L’imprégnation managériale des interventions de l’ADERLY en matière de développement économique s’exprime ainsi à travers le profil professionnel des responsables et des agents d’exécution. Ils sont issus du monde des entreprises et rompus aux nouvelles méthodes de management en provenance des Etats-Unis. Le directeur du Bureau de développement économique consulaire, J. Chemain, ex-PDG d’une filiale d’Unilever, est qualifié d’ « homme de concertation et dynamique directeur de marketing »par la direction de la CCIL 176 . Son assistant, B.-H. Hoenecker, ancien publicitaire parisien, est également habitué à travailler dans les milieux d’affaires. Ce dernier se charge notamment d’organiser à Lyon la Semaine de la Danse en 1976, première manifestation culturelle de prestige destinée à renforcer le rayonnement international et la promotion médiatique de la métropole lyonnaise.
La communication médiatique autour de la création de l’ADERLY traduit également l’ouverture de ses responsables aux nouvelles méthodes de gestion stratégique, inspirées par la logique de la guerre et développées par le monde des entreprises : la nécessité de se montrer « agressif » pour atteindre les objectifs fixés ou la nécessité de faire preuve d’innovation et de multiplier les interventions pour être crédible expriment ainsi la nouvelle stratégie offensive du développement économique lyonnais 177 . La référence managériale est aussi perceptible à travers les orientations définies par le Comité de direction de l’ADERLY : stratégie d’actions ponctuelles fondée sur le pragmatisme et la recherche de grandes options de principe, accueil du tertiaire supérieur et renforcement du potentiel de services de l’agglomération, qualité du développement, meilleure information des entreprises sur les opérations d’aménagement réalisées dans la région et sur l’évolution de l’économie locale 178 .
Face à la crise, l’association se positionne donc dans une logique de compétition territoriale, en imitation des exemples étrangers : « nous constations que d’autres régions ou pays en Europe se préoccupaient activement de leur développement économique et qu’ils n’hésitaient pas à placer leurs actions sous le sceau de la concurrence. Il était donc absolument indispensable de définir une politique (…) qui tienne compte de ces contraintes et de la mettre en œuvre (…). Il est indispensable d’augmenter le budget de l’ADERLY pour renforcer les moyens de prospection à l’étranger : publicité, documentation, représentants à l’étranger, ainsi que le font (…) l’Irlande ou certains pays américains (…). L’effort considérable entrepris par nos voisins allemands, italiens ou britanniques doit nous conduire à un effort plus grand encore dans les années à venir » 179 .
De fait, les actions développées par l’association s’inscrivent dans une approche nouvelle de l’intervention économique, plus qualitative et immatérielle que quantitative et aménagiste : le marketing, la promotion du territoire lyonnais auprès des investisseurs, la prospection aux niveaux national et international, l’élaboration d’un budget publicité, l’information commerciale sur les surfaces d’activités disponibles dans l’agglomération constituent le cœur de mission de l’ADERLY. Les aspects promotionnels, publicitaires et communicationnels sont abordés au sein des différentes commissions de travail de l’association (structures d’accueil ; urbanisation et développement des activités ; communication ; coordination ; animation dans la ville), qui élaborent des programmes d’action en matière de régulation économique territoriale résolument pragmatiques.
La volonté de développer une offre d’implantation tertiaire et industrielle différente, notamment de l’offre disponible en région parisienne, à taille humaine, s’inscrit aussi dans une stratégie de positionnement nouvelle, plus commerciale, fondée sur une approche de l’économie lyonnaise et du territoire local en termes de diagnostic, de stratégie, d’information permanente et de recherche de solutions aux problèmes ou points faibles identifiés 180 . Cette préoccupation quant à l’adaptation de l’offre immobilière et foncière à la demande des entreprises, notamment en matière de bureaux tertiaires, est liée au rôle de correspondant lyonnais de l’association Bureaux-Provinces qu’assure l’ADERLY. Elle s’exprime également à travers les activités de la commission « structures d’accueil » de l’ADERLY, qui rassemble des représentants des entreprises de promotion immobilière et les principaux acteurs publics et économiques locaux (SERL, CCIL, GIL, ATURCO…). Elle se traduit enfin par l’accompagnement de l’action d’aménagement tertiaire développée par la SERL et par le soutien apporté à la création d’un observatoire du marché de bureaux dans la région lyonnaise (ADERLY, 1976-1977).
L’expérience acquise au cours des années 1960 par la SERL se limite en effet à l’aménagement de zones industrielles, i.e. à la production de surfaces à bâtir équipées selon une logique plus quantitative que qualitative, dont le rayonnement escompté est essentiellement local ou régional (voir supra, Section 2), ainsi qu’à la réalisation d’équipements publics (écoles, crèches…). Le développement du marché immobilier tertiaire dans l’agglomération à partir de l’opération de la part Dieu conduit la SERL à s’initier aux nouvelles techniques commerciales de management des opérations et à adopter un positionnement plus proche de celui des acteurs privés, notamment grâce au recours à la sous-traitance et à l’assistance technique des cabinets d’études parisiens de la CDC. Le marketing repose sur des techniques d’enquête, de promotion et d’analyse statistique de données, qui permettent de définir de façon rationnelle le produit immobilier à construire puis de le commercialiser. Il nécessite des compétences techniques spécifiques que la SERL ne possède pas en interne.
Dans une opération tertiaire du niveau de la Part Dieu, la mission de commercialisation de la SERL ne s’arrête pas à la vente de terrains aménagés comme c’est le cas pour les zones industrielles. Elle comprend également une importante dimension préparatoire en amont (études de marché, marketing) et un volet de prospection et de promotion indispensable en aval. Le caractère très qualitatif affiché par le programme immobilier du quartier d’affaires nécessite un travail inédit de création d’image, ainsi que la mise en place d’un dispositif d’information et de communication commerciale très large (échelles nationale et internationale), quoique ciblé sur certains types d’investisseurs (grandes groupes, sièges sociaux, sociétés financières, services supérieurs aux entreprises…). La SERL doit aussi nouer des contacts avec des firmes et des promoteurs, susceptibles de vouloir investir à la Part Dieu : autant de missions, relevant du marketing urbain et de la promotion immobilière, totalement nouvelles pour la SEM au début des années 1970.
Idem.
Extrait d’un courrier adressé par le président de la CCIL au président du GIL en juin 1974. Source : Archives du GIL-MEDEF Lyon-Rhône.
J. Chemain est recruté par la CCIL en 1971 pour s’occuper de la création de l’aéroport international de Satolas, inauguré en 1976.
Trassoudaine L., « L’ADERLY va devenir opérationnelle : un travail difficile », L’Echo Liberté, 15/01/1974. Source : Archives du GIL-MEDEF Lyon-Rhône.
Pierron R., « Les entreprises et les hommes de la vie économique. Objectifs prioritaires de l’action de l’ADERLY : accueil du tertiaire et qualité du développement », Le Progrès, 05/11/1974. Source : Archives du GIL-MEDEF Lyon-Rhône.
Propos de M. Soulier, rapporteur, COURLY, « Extrait du procès-verbal de la séance du conseil communautaire du 25 juin 1979. n°79-1.990 – Subvention accordée à l’ADERLY (commission des affaires économiques, industrielles et commerciales et commission des finances) ». Source : Dossier ADERLY - Archives du Grand Lyon.
Trassoudaine L., « L’ADERLY, première réunion attendue en juillet », L’Echo Liberté, 20/06/1974. Source : Archives du GIL-MEDEF Lyon-Rhône.