Conclusion de Section

L’évolution de la régulation économique et territoriale à la fin des Trente Glorieuses s’opère donc selon plusieurs modalités dans l’agglomération lyonnaise, qui correspondent à des registres différents mais plus ou moins emboîtés les uns dans les autres : mutation du cadre économique d’ensemble qui sert de référentiel global à la politique lyonnaise, évolution politique aux niveaux local et national et remise en question de la régulation économique étatique conduite à l’échelle du pays, modification de l’organisation et de la répartition des rôles au sein du système d’acteurs lyonnais, changement de méthodes d’intervention.

La survenue de la crise économique au début des années 1970 entraîne en effet un changement très profond du cadre référentiel de l’intervention publique en faveur du développement économique, puisqu’il fait basculer le système mondial d’un régime de croissance vers un régime de stagnation et d’exacerbation des logiques de concurrence, remettant en cause la pertinence du niveau territorial et décisionnel national pour conduire la régulation (voir supra, 1ère partie, Section 1). La gestion de la compétition économique territoriale glisse ainsi de l’échelle du pays à celle des territoires locaux, sous l’influence conjuguée du renouvellement des élites politiques gouvernementales et locales, et de la montée en puissance de l’implication des responsables patronaux dans le débat public.

L’organisation territoriale de la régulation étatique, conçue en référence au régime de croissance fordiste, s’avère inadaptée aux nouveaux enjeux économiques du contexte de crise pour les firmes et les territoires. Le niveau local, emmené par ses élites économiques et politiques, prend la mesure des transformations nécessaires dans l’organisation de l’intervention publique économique, en s’engageant de manière volontaire dans l’action collective et territorialisée en faveur du développement et du retour à la croissance. L’Etat renonce progressivement à conduire des grandes politiques nationales économique et d’aménagement du territoire de façon centralisée et dirigiste, ainsi qu’à défendre et promouvoir seul l’intérêt des entreprises du pays, libérant et encourageant l’émergence des initiatives locales de développement économique.

La régulation économique dans l’agglomération lyonnaise s’ancre donc dans le territoire à la faveur de sa reprise en main par le système d’acteurs local. Elle s’ouvre à la logique partenariale, au gré d’une nouvelle organisation du système d’acteurs lyonnais fondée sur l’alliance institutionnelle et politique entre les organismes patronaux et l’intercommunalité, qui émerge comme un véritable pouvoir local porteur de l’intérêt général, mais dénué de compétences. La conduite et la mise en œuvre des actions sont confiées aux organismes économiques, considérés comme les plus compétents pour répondre aux attentes des entreprises. Les intérêts économiques lyonnais et le territoire de l’agglomération sont érigés en référentiels directs de la nouvelle politique économique locale, au même titre que le contexte d’ensemble d’exacerbation de la concurrence et des logiques de compétition économique.

L’amorce de la territorialisation de la régulation économique dans la métropole lyonnaise s’appuie enfin sur la refondation d’une capacité d’expertise économique au niveau local et sur l’acculturation des personnels techniques et des responsables politiques du développement économique aux nouvelles méthodes stratégiques et commerciales issues du management des firmes. Ces dynamiques sont portées par les acteurs économiques lyonnais, en position de leaders du système d’acteurs de la politique économique locale, et relayées par l’assistance des cabinets d’études centraux, qui diffusent la pensée stratégique et le principe de la négociation de la puissance publique avec les investisseurs privés pour conduire les grands opérations d’aménagement urbain à vocation économique. Elles permettent une meilleure prise en compte par l’action publique des besoins et problématiques de développement des entreprises. L’intervention économique devient ainsi beaucoup plus qualitative et immatérielle, en s’adaptant de manière pragmatique aux nouveaux enjeux induits par le régime d’accumulation post-industriel, flexibiliste et hyperconcurrentiel qui succède à l’époque fordiste.