Conclusion de la 2ème Partie

L’organisation territoriale de la régulation économique à l’échelle nationale durant les trente glorieuses apparaît donc comme étant directement conditionnée et déterminée par le fonctionnement du système économique d’ensemble en régime de croissance. Elle est marquée par la domination très forte du niveau gouvernemental étatique sur la conduite de la politique économique et de la politique d’aménagement du territoire, qui constitue l’un des leviers principaux de mise en application des objectifs du Plan au niveau des territoires locaux aux côtés des dispositifs réglementaires et financiers contraignants ou incitatifs.

Cette toute puissance des services de l’Etat s’exprime d’abord au travers des référentiels et des conceptions du rôle de la puissance publique qui sous-tendent les principes et les modalités de l’interventionnisme économique en France. Le système de l’économie dirigée consacre ainsi l’implication directe et relativement autoritaire de l’Etat central dans le fonctionnement de l’économie nationale par le biais du Plan, n’ayant certes qu’une portée indicative, mais dont la force d’orientation et d’influence sur le comportement des entreprises repose sur son élaboration concertée avec les principaux représentants des acteurs économiques du pays. L’Etat central porte l’intérêt des entreprises françaises, notamment des grands groupes nationaux et internationaux en voie de constitution, en le traduisant sous forme d’orientations et d’objectifs de politique économique sur le territoire au nom de l’intérêt général.

Le régime d’accumulation fordiste organise la compétition économique entre les espaces nationaux à l’échelle mondiale. Celle-ci conduit l’autorité étatique à définir une forme de régulation qui consiste essentiellement à gérer et à aménager la croissance sur le territoire national, ainsi qu’à permettre aux structures productives de s’adapter aux enjeux de l’expansion, de la modernisation et de la compétition économiques. La politique économique française se décline ainsi selon deux grands volets complémentaires, dont le niveau et les moyens d’intervention sont différents : la gestion de la compétitivité de l’économie nationale est prise en charge directement par l’Etat central (prise de contrôle des firmes et/ou soutien au développement des activités dans les secteurs productifs et financiers jugés stratégiques, organisation du système de formation de la main d’œuvre, etc.) ; l’aménagement et la répartition équilibrée de la croissance, comme la mise à niveau structurelle des entreprises sont également pilotés par le niveau central (conception, cadre réglementaire, leviers financiers), mais leur mise en œuvre sur le territoire s’appuie sur le niveau local (équipement et aménagement du territoire, desserrement industriel et tertiarisation, renforcement métropolitain, etc.).

En termes de contenus, de méthodes et de moyens, la régulation économique sous domination de l’Etat consiste essentiellement dans l’agglomération lyonnaise à accompagner, faciliter et encadrer le développement des entreprises sur le territoire local. Elle ne mobilise pratiquement que des leviers de nature indirecte, relevant de la planification territoriale, de l’aménagement de l’espace et de l’urbanisme, en raison du rôle et des pouvoirs très limités conférés par l’Etat aux acteurs locaux, qui subissent plus qu’ils ne maîtrisent la gestion de la croissance et les conceptions fonctionnalistes imposées par la technocratie centrale. L’intervention publique locale en faveur de l’économie relève ainsi d’une approche très matérielle et quantitative, qui vise à produire des équipements à vocation économique, des infrastructures nécessaires au bon fonctionnement des activités et des surfaces d’accueil pour les entreprises. Le territoire local ne sert donc que de support physique pour les équipements et les zones d’activités, industrielles ou tertiaires, dont la conception relève de la puissance normative des services centraux et déconcentrés de l’Etat.

Cette forme d’action économique, peu soucieuse des spécificités du territoire et des entreprises locales, est tenue en échec, du moins en mal d’adaptation par l’évolution radicale du contexte économique d’ensemble au milieu des années 1970. Elle est profondément amendée dans la métropole lyonnaise, tant dans son mode d’organisation et de pilotage que dans ses modalités opératoires, par la reprise en main du volet territorial de la régulation économique par le système d’acteurs lyonnais qui accompagne l’émergence d’une logique de compétition nouvelle entre les territoires. La période des Trente Glorieuses s’achève donc sur l’émergence d’une véritable politique de développement économique local, faisant l’objet d’un mode de gouvernance résolument ancré dans le territoire et caractérisé par une réappropriation de la régulation économique territoriale et du portage de l’intérêt des entreprises par les acteurs économiques de l’agglomération.

La puissance publique locale, incarnée par la Communauté urbaine de Lyon et les municipalités, reste globalement à la remorque des structures de représentation des intérêts des entreprises locales dans la conduite de la régulation économique territoriale, après avoir été l’instrument de la politique économique dirigée par l’Etat central. Or, c’est précisément cet état de soumission aux intérêts économiques nationaux défendus par l’Etat puis aux intérêts des entreprises locales promus par les organismes économiques lyonnais, donc cette situation d’impuissance relative à agir dans le champ de l’économie par rapport aux autres participants de système d’action collective, qui permet de comprendre le processus de conquête de la compétence technique, de l’expertise stratégique et du leadership politique au sein de la gouvernance de la régulation économique territoriale dans l’agglomération lyonnaise, mené par la Communauté urbaine de Lyon à partir des années 1980.