Troisième partie :
la territorialisation de la politique économique dans la métropole lyonnaise (1980-2005)

Le processus de territorialisation de l’action publique en faveur du développement économique s’accompagne d’une prise de conscience du rôle central du niveau local dans la régulation économique territoriale : il devient la référence, l’arbitre, le pouvoir de proposition, d’incitation, d’orientation de l’action, de rassemblement et de coordination des acteurs (Gares, 1980). Ce nouveau rôle de la puissance publique locale s’appuie notamment sur une nouvelle conception plus stratégique et managériale de l’action économique territoriale. La logique de régulation économique territoriale devient en effet plus endogène, elle s’ancre dans le territoire local grâce à la mise en œuvre et en valeur des ressources économiques et spécifiques locales (argument technopolitain, spécialisation sectorielle, rayonnement et attractivité internationales, etc.). Elle devient également plus partenariale, les pouvoirs publics locaux s’appuyant sur l’expertise et le savoir-faire des acteurs économiques pour concevoir et mettre en œuvre l’action en faveur du développement.

Pour autant, il est possible de s’interroger sur l’existence effective d’une véritable politique économique dans le champ de l’économie au niveau local et sur la possibilité de la caractériser, en termes de contenus, de modalités, de mode de pilotage politique et de renouvellement des acteurs. Cette qualification de la politique économique locale peut ainsi être envisagée sur le plan politique, conceptuel et organisationnel du point de vue des seuls pouvoirs publics locaux (Section 1), sur le plan méthodologique et des orientations de l’intervention économique (Section 2), et d’un point de vue plus organisationnel au sein du système d’acteurs local, en envisageant les rôles exercés par les différents acteurs en présence (Section 3).

Dans cette dernière partie, nous souhaitons d’abord décrypter la montée en puissance des autorités publiques lyonnaises sur les questions relatives au développement économique local depuis le début des années 1980, ainsi que la manière dont ceux-ci s’emparent de l’impératif économique pour mettre en place une politique d’action dans ce domaine. Cela suppose de revenir au préalable sur le cadre référentiel et institutionnel de l’émergence d’une scène politique de la régulation économique territorialisée, qui accompagne le développement des logiques de concurrence, de compétitivité et de lutte pour l’attractivité entre les villes. Cette appropriation de l’enjeu de la régulation économique par les responsables politiques lyonnais peut être non seulement abordée par le biais de la mise à l’agenda du développement économique, mais aussi en examinant la structuration progressive de l’organigramme de la collectivité publique locale autour de ce nouvel enjeu de politique publique. Il s’agit également de comprendre la construction d’une compétence d’action et d’une légitimité à intervenir de la part de l’autorité intercommunale.

Ensuite, nous abordons la question des méthodes et des modes de faire mobilisés pour traduire en actions les ambitions de la régulation économique territoriale souhaitée par les pouvoirs publics locaux. Cet angle d’analyse permet de mettre en évidence la consécration des approches stratégiques et des considérations managériales, chères aux acteurs économiques, au cœur même de l’action publique locale. Cette consécration est permise grâce à un processus d’acculturation des acteurs de la sphère publics aux logiques de gestion et d’action des acteurs économiques privés, qui se réalise essentiellement par le biais d’un partenariat et d’une sous-traitance renforcés autour des questions d’expertise économique. Les leviers d’actions essentiellement spatiaux et indirects que sont l’aménagement de l’espace, l’urbanisme et la planification territoriale sont placés au service de l’impératif de développement économique, qui devient l’enjeu central et la raison d’être de la globalisation de l’action publique.

Il s’agit en effet aussi de voir comment les politiques urbaines sont intégrées fonctionnellement par le biais du recours à la démarche de projet territorial et urbain, pour satisfaire l’injonction de développement et de compétitivité économique. Toutefois, cette intégration se heurte à des difficultés de mise en cohérence des actions de plus en plus stratégiques déployées par les services économiques de la Communauté urbaine de Lyon avec les actions plus classiques relevant de l’aménagement de l’espace et de la gestion de l’urbanisme. La mise en place d’un dispositif d’intervention économique territorialisé depuis les années 2000 est alors supposé pouvoir résorber les clivages et les doutes concernant le choix entre des logiques purement aménagistes et des approches plus qualitatives de la régulation.

Enfin, la territorialisation de la politique économique dans l’agglomération lyonnaise est réinterrogée sous l’angle politique de l’organisation des rôles au sein du système d’acteurs local. Il s’agit ainsi de pointer les reconfigurations, mais également les limites de la nouvelle gouvernance économique qui se met en place au niveau local. Nous assistons en effet à un processus de repositionnement relatif des acteurs économiques et des pouvoirs publics locaux, au détriment de la place historique occupée par les premiers dans le dispositif de régulation économique territoriale. Ce renforcement de la domination politique de l’organisme communautaire du Grand Lyon s’accompagne en outre d’une augmentation significative des relations directes entre les responsables et services techniques de la collectivité publique, et les acteurs économiques locaux. Ceci nous conduit à envisager la gouvernance économique locale comme une forme d’intégration de l’intérêt des entreprises par les pouvoirs publics locaux, et à interroger les limites possibles de ce phénomène.