1- La compétitivité économique territoriale au centre des politiques urbaines

La crise économique qui s’installe durant les années 1970 se manifeste au sein des systèmes productifs locaux des pays développés par un phénomène massif de désindustrialisation, qui s’accompagne d’une dynamique accrue de tertiarisation et d’innovation, faisant la part belle aux activités technologiques à forte valeur ajoutée (voir supra, 1ère partie, Section 1). Elle entraîne une exacerbation des logiques de concurrence entre les acteurs économiques et entre les territoires, qui sont considérés désormais comme des facteurs de développement et de croissance économique à part entière.

La compétition économique s’étend de la sphère des entreprises à celles des territoires, notamment urbains, en raison de l’ouverture des frontières commerciales et de la mondialisation de l’économie qui découlent de la nouvelle situation de crise. Les firmes deviennent en effet plus mobiles et attentives à leurs choix de localisation, en considérant la qualité de leurs lieux d’implantation comme des facteurs de productivité au même titre que le coût de la la main d’œuvre ou des matières premières. Ce faisant, elles mettent en concurrence les villes et/ou les territoires entre eux. Les autorités publiques en charge de leur administration intègrent donc cette logique de concurrence et de compétition, imposée de fait par les stratégies et les intérêts des acteurs économiques, dans leurs modes de gestion locale (Bouinot, 2002).

L’injonction à la compétition économique impose aux territoires urbains de se placer dans une logique d’attractivité globale et de marketing : il s’agit ainsi désormais de vendre le territoire tel un produit, mais aussi de fournir un accompagnement qualitatif aux entreprises qui l’ont choisi pour s’implanter, afin de renforcer leur ancrage local et de limiter les risques de délocalisation (Demazière, Rivard, 2004). Ce double registre référentiel servant de cadre à la conduite des politiques de régulation économique territoriales renvoie notamment à la notion d’externalités de milieu, de plus en plus centrale en matière d’action publique en faveur du développement économique. Elle correspond précisément à l’ensemble des attributs qualitatifs du territoire local qui peuvent être considérés comme des facteurs de compétitivité et d’attraction vis-à-vis des investisseurs privés et des acteurs économiques de façon générale (entreprises, main d’œuvre qualifiée, etc.).

Pour attirer et fidéliser les entreprises, les pouvoirs publics ne peuvent plus se contenter d’aménager et d’équiper l’espace pour faciliter l’accueil et le développement des entreprises comme c’était le cas durant les années de croissance (voir supra, 2ème Partie, Section 1), ils doivent créer un ensemble de conditions favorables et territorialisées, qui dépassent largement le simple domaine de la production d’un environnement physique propice aux activités économiques, c’est-à-dire qui vont au-delà des actions relatives à l’aménagement de surfaces d’accueil pour les d’activités, à la réalisation d’équipements à vocation économique sur le territoire ou à la formation de la main d’œuvre (voir supra, 1ère Partie, Section 1). L’adoption de méthodes de gestion de l’action publique plus stratégiques, la mise en avant d’une culture managériale et pragmatique, le recours au partenariat et à la sous-traitance des tâches techniques, le développement d’une approche qualitative et flexible de l’intervention publique dans le champ de l’économie ou encore l’organisation d’un système de gouvernance politique largement ouvert aux intérêts des acteurs économiques, participent directement de la production d’externalités de milieu territorialisées.

Selon cette nouvelle logique dominée par l’impératif de la compétitivité économique territoriale, la plupart des champs d’action publique sont instrumentalisés par les autorités publiques locales pour être mis au service du développement économique. C’est notamment le cas de la planification territoriale, de l’aménagement de l’espace et de l’urbanisme, à travers le développement de nouvelles opérations emblématiques affichées grâce au concept porteur de projet urbain (voir infra, Section 2), mais aussi des politiques culturelles, des politiques patrimoniales, et dans une moindre mesure des politiques de déplacements ou d’habitat (voir infra).

Il s’agit de favoriser la différenciation du territoire local par rapport à ses concurrents, en créant des avantages comparatifs par le biais de la conduite de politiques urbaines en grande partie dévolues à la satisfaction de l’objectif dominant de compétitivité. Les autorités politiques locales s’imprègnent de la nouvelle doctrine hyperconcurrentielle liée à la nature de l’économie en contexte de crise (voir supra, 1ère Partie, Section 1), en intégrant la nécessité de mettre en place des politiques publiques stratégiques permettant le positionnement du territoire sur le marché international des villes. Le nouveau cadre référentiel de la régulation économique territoriale impose donc une sorte d’impératif du développement économique territorialisé, qui fonctionne sur les responsables politiques locaux tel une injonction à se mobiliser autour de la question de la compétitivité économique. Les efforts d’affichage médiatiques et politiques en faveur du développement économique local sont ainsi appelés à se multiplier, tout comme l’esprit d’ouverture à la prise en compte des intérêts des entreprises (voir infra, Section 3).

Cette prise de conscience politique au niveau local est assez précoce et anticipe globalement les décisions de l’Etat concernant le transfert de la charge du développement économique territorial du niveau central aux collectivités locales et plus précisément aux structures intercommunales. La vision de la ville comme un objet de valorisation économique nécessitant la mise en place de politiques urbaines qualitatives capables d’améliorer son attractivité, donc la perception de la ville comme un facteur de développement économique en elle-même émergent en effet dès la fin des années 1980 (AMF, 1991). Elle monte ensuite en puissance jusqu’à entraîner la soumission de toutes les dimensions de l’action publique locale à l’enjeu de la compétitivité économique.

Ainsi, les logiques d’attractivité et de compétitivité économiques s’emparent des territoires mis en concurrence par les entreprises. Le marketing urbain et la production d’externalités de milieu deviennent les références incontournables de la définition des politiques publiques locales, y compris à travers l’instrumentation de la culture dans sa dimension commerciale et le développement des loisirs marchands (Urbanisme, 2005) 204 . Les politiques de développement économique local et leurs finalités vis-à-vis des entreprises et des acteurs économiques en général tendent de plus en plus à dominer l’ensemble de l’action publique, à s’imposer comme un champ d’intervention quelque peu à part et « au-dessus de la mêlée ». L’approche néolibérale du développement justifie cette mise en avant de la problématique économique, notamment dans les métropoles, en conduisant une refondation du mode de régulation du nouveau régime d’accumulation flexible, par l’application de la concurrence aux territoires locaux (Jouve, 2005).

Notes
204.

Dossier « La ville marketing », Urbanisme, n°344, septembre-octobre 2005, pp.45-74.