2- L’évolution du cadre législatif français (1982-2002)

L’augmentation des difficultés économiques au cours des années 1970 met en avant l’incapacité croissante de l’Etat central à assurer une régulation efficace sur le territoire. Les limites d’opérabilité des grandes politiques économiques nationales dans ce nouveau contexte de crise entraînent un double mouvement : des initiatives locales apparaissent pour tenter de gérer et résoudre les problèmes économiques, à l’instar de ce qui est observé dans l’agglomération lyonnaise (voir supra, 2ème Partie, Section 3) ; l’Etat et les services centraux tentent de se décharger de la responsabilité du problème sur les échelons territoriaux locaux (Planque, 1985).

La période allant du début de la décennie 1980 à la première moitié des années 2000 est ainsi caractérisée par un vaste mouvement de renvoi du « fardeau » de l’attractivité et de la gestion de la compétition économique territoriale sur le niveau local, organisé par les autorités étatiques (Béhar, Estèbe, 1999). Il s’accompagne d’une volonté de l’Etat central de « mettre en projet les territoires », à travers la réorganisation de la coopération intercommunale et de la planification territoriale à l’échelle du pays (Azéma, Portier, 2004).

Les lois de décentralisation du 2 mars 1982 et du 7 janvier 1983 entérinent le transfert des compétences du niveau de l’Etat à celui des collectivités locales. Le niveau communal (et intercommunal par voie de délégation) obtient les compétences en matière d’urbanisme et d’aménagement (planification et opérationnel), de gestion des affaires locales et des services publics locaux (assainissement, gestion des déchets, écoles, voirie, etc.). L’interventionnisme économique constitue cependant un domaine de flou relatif dans la répartition des compétences, la commune comme le département ayant une tradition d’intervention dans la vie économique locale pour sauver certaines entreprises ou veiller à la fourniture de certains services indispensables à la collectivité, sans avoir toutefois de véritable compétence institutionnelle pour le faire (Greffe, 1992).

Les communes sont ainsi autorisées à intervenir dans le champ de la régulation économique territoriale, mais uniquement de façon indirecte, par le biais d’actions visant l’environnement des entreprises et des activités économiques en général, le cadre de vie, les infrastructures et équipements collectifs, l’aménagement et l’urbanisme. L’Etat central leur reconnaît le droit de concourir à l’aménagement du territoire, à la politique économique et à la sauvegarde de l’emploi, dans le respect du double principe de la liberté du commerce et de l’industrie et de l’égalité des citoyens devant les charges publiques (Brenas, 1985). Ce sont les régions nouvellement créées en tant que collectivités locales qui héritent de la compétence de développement économique à proprement parler. Celle-ci s’accompagne de la possibilité de délivrer, comme l’Etat, des aides financières directes aux entreprises, qui peuvent être complétées dans une certaine mesure par les communes et les départements (Falzon, 1996).

Les lois de décentralisation confirment donc globalement les principes rappelés par la circulaire Poniatowski en 1976, en limitant de fait les initiatives d’intervention et de soutien économiques aux entreprises déployées par les collectivités locales. L’enjeu est non seulement de protéger l’équilibre des finances publiques, mais aussi la prééminence de l’équilibre national face aux velléités de développement autonome et de plus en plus concurrentiel des territoires locaux. En vertu du cadre législatif, les collectivités locales ne doivent représenter « qu'un facteur d'accompagnement propre à appuyer la politique des pouvoirs publics en matière industriel au lieu d'être un élément de distorsion dans la mise en oeuvre de la carte des aides » (Chorain, 2001) 205 .

La mise en place d’une nouvelle répartition des compétences entre les différents niveaux territoriaux qui entretient un certain flou sur les possibilités d’intervention de l’échelon communal, et le contexte d’ensemble d’exacerbation des difficultés économiques et de la concurrence entre les villes, constituent un encouragement implicite à la création de services économiques municipaux (Gaudriault, Gatineau, 1982), voire de services économiques intercommunaux quand il existe une Communauté urbaine comme à Lyon. Les communes industrialisées les plus concernées, notamment dans les grandes agglomérations urbaines, n’attendent en effet pas pour la plupart le feu vert officiel donné par les lois de décentralisation pour s’organiser en interne (voir infra).

Les autorités centrales de l’Etat se désengagent donc de la conduite de la politique économique dans l’agglomération lyonnaise alors que les lois de décentralisation reconnaissent la pertinence des échelons locaux dans la conduite de l’action publique au début des années 1980. Durant toute la décennie, de nombreuses études d’expertise et travaux de recherche, commandés notamment par le Service Technique de l’Urbanisme (STU) du Ministère de l’Equipement (Ministère de l’Urbanisme et du Logement, 1981 ; Priat, 1983), le Conseil Economique et Social (Steib, 1987) ou le CGP (SEDES, 1982), ou lancés spontanément par les milieux universitaires (Mélange Besson, 1981 ; Némery, 1981 ; Barge et alii, 1983, Mélange Péquignot, 1984, Bouinot, 1987, Douence, 1988), analysent le nouveau cadre et les nouvelles modalités de l’intervention économique locale. Cette première phase de territorialisation de la régulation économique territoriale s’opère ainsi essentiellement à l’échelle nationale, à l’initiative de l’Etat et en réponse à son constat d’impossibilité de poursuivre la conduite de sa politique économique centralisée. Elle officialise également les nombreuses initiatives spontanées d’intervention économique qui émergent au niveau local depuis le milieu des années 1970, dans l’agglomération lyonnaise et ailleurs.

A Lyon, la COURLY bénéficie d’une grande partie des compétences de gestion urbaine des communes qui la composent depuis la décentralisation, notamment de l’urbanisme et de l’aménagement de l’espace. Elle est amenée par ce biais à exercer une fonction d’animation du développement économique territorial importante, quoique indirecte, à travers ses responsabilités en matière de planification urbaine stratégique.

La loi d’Administration Territoriale de la République du 6 février 1992 parachève cette reconnaissance du rôle central du niveau de l’agglomération dans l’organisation et la définition de la régulation économique territoriale, particulièrement par rapport à la région. Cette loi réformant la coopération intercommunale confère aux EPCI la compétence de développement économique sur leur territoire, auparavant uniquement dévolue aux collectivités régionales. La COURLY se trouve ainsi autorisée officiellement par l’Etat à définir et conduire en propre une politique d’action en faveur de l’économie, voyant son pourvoir et son autonomie politique en matière de régulation clairement reconnus institutionnellement.

Lors de la création de la COURLY en 1969, l’Etat ne lui a en effet pas confié cette compétence afin de privilégier les organismes patronaux sur lesquels il exerce un certain contrôle – notamment les CCI (tutelle financière) – au détriment d’une prise de pouvoir éventuelle des notables locaux (voir supra, 2ème partie). Il a ainsi limité durablement l’implication des élus locaux dans la gestion des affaires économiques sur le territoire (Bardet, Jouve, 1999), du moins à l’échelle intercommunale. La modification du contexte légal au début des années 1990 ouvre en revanche de nouvelles perspectives très larges d’intervention dans le champ de la régulation économique territoriale à l’organisme communautaire, tout en lui offrant une certaine officialisation institutionnelle de pratiques d’action ayant émergés en son sein dès la fin des années 1980 (voir infra).

La légitimité politique du niveau intercommunal à prendre en charge le développement économique de l’agglomération est encore renforcée par l’injonction à adopter la Taxe Professionnelle Unique (TPU) au 1er janvier 2002 dans les communautés urbaines existantes, promulguée par la loi de renforcement et de simplification de la coopération intercommunale du 12 juillet 1999, dite « Chevènement ». Cette disposition présente notamment l’avantage, outre la bonification de la Dotation Globale de Fonctionnement allouée par l’Etat, de mettre un terme aux effets de concurrence entre les communes de l’agglomération pour l’attraction des entreprises. Elle offre également l’opportunité de mener une politique de développement économique plus harmonieuse et équilibrée à l’échelle du territoire communautaire et de mieux répartir l’offre de sites d’accueil pour les activités.

La mise en place progressive de la TPU dans l’agglomération lyonnaise est ardemment souhaitée depuis le milieu des années 1990 par certaines communes mal loties en matière d’activités économiques, particulièrement lorsque celles-ci doivent faire face à d’importants problèmes de gestion des quartiers d’habitat social présents sur leur territoire (Linossier, 1998). Elle favorise en effet un certain rééquilibrage des ressources financières entre les municipalités grâce aux mécanismes de péréquation, ainsi que l’émergence d’une forme d’intérêt général local au niveau de l’agglomération concernant les questions de régulation économique territoriale (Faure, 1997). En remettant en question l’autonomie et la légitimité des municipalités à intervenir en faveur du développement économique, la TPU confirme aussi la prééminence de l’organisme communautaire sur le niveau communal pour la conduite de l’ensemble des politiques urbaines. Ceci est renforcé par la possibilité d’élargir les compétences intercommunales à la gestion des grands équipements culturels et sportifs prévus par cette même loi (voir infra).

La loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire (LOADDT) du 25 juin 2000, dite « Voynet » instaure quant à elle la possibilité pour les structures intercommunales d’établir un projet de développement du territoire, et d’obtenir le soutien de l’Etat et du niveau régional pour sa réalisation. La signature du contrat d’agglomération est cependant conditionnée par la création d’un Conseil de développement par l’organisme communautaire, permettant la participation de la société civile locale à l’élaboration du projet. Dans l’agglomération lyonnaise, cette loi donne notamment une caution légale et institutionnelle à la démarche de concertation et d’élaboration d’un projet de développement pour l’agglomération lancée par la mandature Barre à l’aube des années 2000 (voir infra).

Plus indirectement enfin, d’autres mesures législatives relatives à la planification urbaine et à la Politique de la Ville ont une influence notable sur la manière dont est conduite la régulation économique territoriale dans l’agglomération lyonnaise. La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) du 13 décembre 2000 instaure en effet le renouvellement des outils de la planification urbaine, à travers la création des Schémas de Cohérence Territoriale (SCOT) et des Plans Locaux d’Urbanisme (PLU), en remplacement des Schémas Directeurs et des POS. Elle vise ainsi à renforcer la cohérence des politiques urbaines et territoriales entre elles et donc une certaine intégration fonctionnelle des différents champs d’action publique (voir infra, Section 2). Elle permet notamment une relance de la planification territoriale à l’échelle de l’aire métropolitaine dans l’agglomération lyonnaise.

La loi SRU prévoit également des dispositions relatives au développement économique dans les quartiers prioritaires de la Politique de la Ville. Elles concernent le fonds de revitalisation économique des zones urbaines sensibles créé par la LOADT de 1995, destiné à fournir des aides financières aux entreprises ayant des projets sur ces portions de territoire. Elles s’inscrivent en complémentarité avec les dispositions du Pacte de Relance pour la Ville de 1996, qui a instauré des Zones Franches Urbaines permettant une certaine insertion par l’emploi des populations des quartiers prioritaires, et introduit l’enjeu économique dans l’action publique territorialisée de la Politique de la Ville. Toutefois, le volet social du développement économique n’est pas vraiment intégré dans la politique de développement économique communautaire dans l’agglomération lyonnaise, il tend même à en être soigneusement tenu à l’écart pour ne pas brouiller le message politique des responsables locaux en faveur de la compétitivité territoriale et de l’intérêt des entreprises (voir infra, Section 3).

Notes
205.

Circulaire du 10 septembre 1976.