Divergences idéologiques au sein de la classe politique lyonnaise

Les divergences d’opinion entre élus de droite et de gauche influencent fortement le choix d’engager ou non la COURLY dans la conduite d’une politique économique d’agglomération au début des années 1980. L’incertitude idéologique qui plane sur la pertinence et le bien fondé de l’intervention du niveau municipal dans la régulation spatiale de l’économie se répercute logiquement à l’échelle intercommunale. Le niveau communautaire, très récent par rapport à l’ancienneté des communes, est encore considéré comme un outil technocratique de gestion territoriale, peu politisé et ne permettant pas la formulation d’un intérêt général d’agglomération. Son engagement sur les questions de développement économique n’est ainsi conçu que de façon indirecte et externe, à travers le financement et le portage politique de l’ADERLY (voir infra).

L’appartenance politique divise en effet traditionnellement le personnel politique français à propos de la légitimité et du bien-fondé de l’intervention publique dans le domaine économique au niveau local (Barge et alii, 1983). La droite, notamment libérale, est par principe idéologique hostile à toute implication de la puissance publique dans le fonctionnement de l’économie, au nom du respect du libre jeu du marché et de la concurrence. Bien que pour ces élus l’économie reste d’abord une affaire d’entrepreneurs et de financiers, ils s’ouvrent cependant progressivement à l’idée de développer l’action économique publique, notamment face à la demande pressante des entreprises en la matière et au contexte de pérennisation de la crise.

Les élus de gauche font en revanche le cheminement idéologique inverse : historiquement engagés dans l’interventionnisme économique des collectivités locales – voir le volet économique important des expériences de socialisme municipal de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle –, ils restent globalement favorables aux aides directes aux entreprises en difficulté, aux garanties d’emprunt et aux SCOP au nom de la sauvegarde de l’emploi. Ils soutiennent ainsi activement les nationalisations d’entreprises, la décentralisation des compétences d’action économique et l’avènement de la dynamique du développement local au début des années 1980. Face aux risques financiers encourus par les communes, ils prônent toutefois la limitation des aides aux entreprises malgré les nombreuses fermetures entraînées par la crise.

Toutefois, il existe un profond décalage entre le niveau local et le niveau national dans les discours et les clivages de la classe politique française. Droite et Gauche campent sur leurs positions idéologiques traditionnelles vis-à-vis de l’action économique publique au niveau national, mais se rassemblent sous la même bannière résolument interventionniste au niveau local (Barge et alii, 1983). Il en résulte donc une convergence globale des deux bords à propos de la nécessité de déployer des interventions en faveur des entreprises, face à la pérennisation de la crise économique.

Ce paradoxe politique concernant les questions économiques se retrouve au sein de la classe politique lyonnaise : la majorité municipale de droite, traditionnellement libérale et conservatrice, s’oppose idéologiquement au principe de l’interventionnisme, mais déploie dans le même temps une politique économique ambitieuse, quoi qu’encore peu structurée et dominée par la logique du « coup par coup » (Biarez, 1983). La décentralisation des compétences au début des années 1980 se traduit par la reconnaissance légale et officielle par l’Etat central du rôle de la commune dans la gestion des affaires locales, mais une partie des élus locaux continue à ne pas reconnaître de pouvoir d’intervention économique au niveau municipal. Ils sont soutenus dans cette position par les acteurs économiques et les représentants de la population.

Les représentants du patronat lyonnais alimentent en effet la polémique, à travers la définition des missions de l’ADERLY ou le refus du GIL de participer aux comités locaux pour l’emploi (Biarez, 1983). L’étroite proximité traditionnelle qu’entretiennent une partie des responsables politiques lyonnais avec le patronat local (voir supra, 2ème partie, Section 1), comme le système d’action particulier qui s’instaure à partir des années 1970 dans l’agglomération lyonnaise autour de l’ADERLY, placée sous la domination des structures de représentations des intérêts économiques locaux (voir supra, 2ème partie, Section 3), renforce cette situation de clivage idéologique et de flottement politique quant à l’engagement de la COURLY dans la régulation des affaires économiques locales.

Après avoir porté le projet de promouvoir Lyon comme une métropole européenne aux côtés de la Jeune Chambre Economique (JCE) dans les années 1960, s’alignant de fait sur les orientations définies par l’Etat et soutenues par l’équipe politique de L. Pradel, les comités populaires municipaux remettent eux aussi en cause ces priorités de développement international pour Lyon à la fin des les années 1970. La crise économique entraîne certes une évolution des préoccupations, la nécessité de limiter les dépenses et de revoir le programme des grandes opérations d’urbanisme ou d’aménagement, mais leurs responsables optent pour l’alignement sur la position idéologique traditionnelle et majoritaire des élus et des acteurs économiques lyonnais, en refusant de reconnaître les possibilités d’intervention de la collectivité locale dans le domaine économique et l’influence des questions économiques sur l’urbanisme ou l’aménagement du cadre de vie (Biarez, Kukawka, 1986).

« La philosophie de l’équipe dirigeante est de ne pas s’immiscer dans les décisions économiques. Le discours officiel dans ce domaine est d’établir une synergie, c’est-à-dire de faire concerter en permanence les parties prenantes de cette action » (Biarez, Kukawka, 1986, p.80). Cependant, ce principe idéologique de positionnement de la sphère politique publique, en retrait par rapport au fonctionnement de l’économie mais conférant aux représentants des entreprises un rôle central dans la définition de la politique d’intervention, est remis en question par la nécessité d’adapter les modes de régulation de l’économie, notamment territoriaux, aux évolutions structurelles du contexte d’ensemble. L’équipe libérale de Droite, alors au pouvoir à Lyon, reste ainsi fidèle à sa philosophie politique de prudence par rapport aux affaires économiques locales – sauf en cas de graves difficultés de la part d’une entreprise – mais s’autorise un certain engagement et une présence de plus en plus active dans l’économie (Lorrain, Kukawka, 1989).

La définition d’une nouvelle politique de régulation au niveau local, non plus seulement fondée sur des enjeux d’aménagement de la croissance sur le territoire national, mais sur un impératif de développement qualitatif et concurrentiel du territoire local, s’impose donc progressivement aux acteurs politiques lyonnais. Les pouvoirs publics locaux se doivent de s’engager de façon plus volontaire et active dans la conduite de la politique de développement économique de l’agglomération, aux côtés des acteurs économiques. Les responsables politiques lyonnais s’accordent sur le principe de limiter l’aide financière directe aux entreprises aux seuls cas extrêmes, et de concentrer l’effort public local sur l’amélioration de l’environnement des entreprises, la production d’une offre de surfaces d’activités adaptée et qualitative, le marketing urbain et la promotion territoriale, c’est-à-dire sur le large panel d’aides indirectes en faveur de l’économie mise en œuvre par l’ADERLY, de nature essentiellement qualitative, tel que l’autorise le cadre législatif et réglementaire (loi Le Chapelier de 1791, lois de Décentralisation de 1982-1983).

Les élus de l’opposition critiquent cette domination des intérêts patronaux sur la régulation économique territoriale, initiée par la politique étatique puis entretenue par les responsables de la majorité lyonnaise depuis la crise. Ils l’acceptent cependant au nom de la nécessité de développer les interventions publiques dans le domaine de l’économie au niveau local, face à la pérennisation de la crise et à l’augmentation de la demande sociale dans l’agglomération. Les intérêts dominants sont également perçus comme émanant plus des grands groupes nationaux et internationaux que des firmes lyonnaises, également confrontées à de graves difficultés à cause du contexte économique difficile.