La primauté des initiatives municipales en faveur de l’économie

En l’absence de véritable mobilisation politique en faveur de l’économie au niveau intercommunal au début des années 1980, et faute d’une compétence d’action en la matière de la COURLY clairement définie par les responsables politiques communautaires, certaines communes de l’agglomération se lancent dans l’interventionnisme économique, mettant à profit les nouvelles compétences d’action transférées par l’Etat pour tenter de remédier à la crise. Elles organisent ainsi des services économiques en leur sein et développent des initiatives en faveur de l’économie sur leur territoire. Ce phénomène concerne toutefois surtout les grandes communes centrales (Lyon, Villeurbanne) et de la banlieue Est, plus directement touchées par la stagnation économique et les fermetures d’usines, que les municipalités de la périphérie Ouest dont les initiatives sont plus tardives.

La mise en place des services économiques municipaux anticipe dans de nombreux cas les lois de décentralisation. Cependant, la plupart d’entre eux se situent encore au stade exploratoire, correspondant plutôt dans les faits à des services de développement et non à de véritables services économiques, dans la mesure où le contexte légal limite très fortement leurs possibilités effectives d’action. En outre, la définition et la mise en œuvre d’une politique économique locale semble déjà être plus pertinente et probante à un niveau géographique plus large que celui de la commune, au niveau de l’agglomération notamment (Gaudriault, Gatineau, 1982). C’est d’ailleurs précisément la mission conférée à l’ADERLY par la COURLY depuis le milieu des années 1970.

Les communes ont pendant longtemps été cantonnées dans un rôle d’équipement et de mise en application des orientations et actions définies par les services de l’Etat durant les années de croissance (voir supra, 2ème partie, Section 2). Avec la décentralisation des compétences et la pérennisation de la crise économique, les élus municipaux se trouvent confrontés à de nouveaux défis de positionnement territorial et de décision politique, comme le choix et la prise d’initiatives en matière de développement économique, la détermination d’une stratégie d’intervention et la conception d’une politique d’action volontaire (Biarez, 1983). A Lyon comme dans de nombreuses autres villes, les élections municipales de 1983 sont ainsi marquées par une importante prise de conscience de la part des responsables politiques locaux de la nécessité de renforcer les dispositifs institutionnels existants pour affirmer le rôle de la collectivité locale en matière d’intervention économique sur le territoire. Un nouveau poste d’adjoint chargé des affaires économiques est en effet créé et confié à M. Noir, occupant la troisième position dans la hiérarchie municipale (Lorrain, Kukawka, 1989).

M. Noir constitue la figure idéale typique d’un nouveau genre de responsable politique local 206 , proche des jeunes entrepreneurs locaux, bien décidé à développer l’intervention de la collectivité locale dans le domaine de l’économie face au nouveau contexte de crise et d’exacerbation de la concurrence interurbaine, quitte à bousculer quelque peu les positions traditionnelles des élites économiques et des notables lyonnais sur la question de l’interventionnisme des pouvoirs publics. Dans son Livre Blanc sur le développement économique de Lyon (Noir, 1984, p.1), il décrit la municipalité comme « un des acteurs le plus présent de la vie économique », grâce notamment à sa qualité de « puissant investisseur ». Il infirme également la traditionnelle rengaine de ses collègues de la majorité concernant la nécessaire neutralité politique de la collectivité locale dans les affaires économiques et l’impossibilité qui en découle pour les élus d’agir sur l’économie : « une ville n’est pas neutre car elle représente, par l’intermédiaire de son Conseil Municipal, la volonté clairement exprimée par le suffrage universel de réaliser une politique définie. (…) L’économie ne doit pas échapper à ces règles » (Noir, 1984, p.1).

Plusieurs municipalités de l’agglomération lyonnaise s’engagent ainsi dans des stratégies d’intervention propres, adaptées aux enjeux de leur territoire. Certaines disposent d’un service économique parfois important dès le début des années 1980, à l’exception notable de la Ville de Lyon. Une forme de compétition économique intercommunale s’instaure dans l’agglomération, notamment entre les communes de l’Est, largement industrialisées mais peinant à remplir les nombreuses zones industrielles programmées en raison des taux élevés de taxe professionnelle, et les communes de l’Ouest de l’agglomération, plus attractives pour les nouveaux investissements économiques grâce à leurs taux plus bas et à leur environnement géographique plus qualitatif.

Malgré l’augmentation des injonctions à la solidarité intercommunale, lancées parallèlement au processus d’élaboration du nouveau schéma directeur par l’Agence d’urbanisme de la COURLY (AGURCO) à partir de 1985 (voir infra, Section 2), les nombreuses initiatives municipales d’intervention économique entraînent donc une certaine fragmentation politique du développement économique dans l’agglomération lyonnaise.

Lyon dispose d’un Comité de Localisation Industrielle à partir de 1978, dont l’action vise à définir une démarche globale et cohérente de maintien des entreprises locales et de reconversion des friches industrielles, en collaboration avec la COURLY, l’AGURCO, la CCIL et le groupe chargé des questions industrielles au niveau de la RUL (Bonneville, 1982). Cette cellule assure un rôle d’observatoire sur le modèle du dispositif mis en place par l’ADERLY et le CECIM pour gérer le marché des bureaux (voir supra, 2ème Partie, Section 3), constituant une première réponse technique au phénomène de désindustrialisation et à la difficulté de définir un stratégie d’intervention publique locale adaptée aux nouveaux enjeux du développement économique en période de crise. Elle intervient également au niveau opérationnel, en proposant des solutions de réimplantation des entreprises industrielles ou de reconversion des terrains libérés face aux problèmes de départ, de transfert ou de fermeture d’établissements.

Cependant, la création d’un poste d’adjoint et d’une commission aux affaires économiques en 1983 ne s’accompagne pas de la mise en place de services techniques ad hoc au sein de l’appareil municipal lyonnais, mais plutôt, paradoxalement, de la suppression du Comité de Localisation Industrielle. Tous les services techniques municipaux lyonnais sont impliqués dans la gestion des problèmes économiques, sans qu’il n’y ait de structure de coordination spécifique. M. Noir, 3ème adjoint aux affaires économiques et à l’emploi, est ainsi contraint de laisser le maire, les membres de son cabinet ou l’adjoint à l’urbanisme (J. Moulinier) gérer les dossiers relatifs au développement économique, faute d’équipe technique spécialement dévolue à son service (Biarez, Kukawka, 1986). Il se tourne donc logiquement vers l’organisme communautaire, pour tenter de développer ses conceptions de l’intervention économique à travers l’organisation interne des services (voir infra).

J. Moulinier et M. Noir font en revanche partie d’un conseil des adjoints restreint, qui traite des questions jugées importantes et stratégiques d’un point de vue politique, comme le développement économique : leur influence sur les processus de décision de la Ville est donc particulièrement forte. Ce système de contrôle politique des décisions municipales par un petit groupe d’élus est renforcé par le fonctionnement des commissions spécifiques, qui court-circuitent assez largement le pouvoir décisionnel du conseil municipal. La commission des affaires économiques est ainsi créée par F. Collomb en 1983, après sa réélection. Bien qu’elle n’ait en théorie qu’un rôle consultatif en amont des votes du conseil municipal, le choix de l’opposition municipale de participer à son fonctionnement traduit le fort degré de politisation et l’importance de ses avis, ainsi que l’enjeu que représente l’accès à l’information pour les élus de Gauche dans ces conditions (Biarez, Kukawka, 1986). La majorité de Droite obtient en effet l’approbation du conseil municipal sur tous les dossiers sans grande difficulté.

La domination politique des élus de la majorité lyonnaise sur la définition des orientations en matière d’interventionnisme économique est également renforcée par le désintérêt des comités locaux d’habitants, plus diversifiés politiquement, pour les préoccupations économiques (voir supra). Depuis l’arrivée de F. Collomb, la gestion municipale est non seulement plus largement déléguée aux adjoints, mais également plus décentralisée et ouverte à la participation citoyenne. La loi PLM de 1982 instaurant des mairies d’arrondissement contribue aussi à consolider ce système de consultation démocratique, mais à l’exception notable des questions économiques, qui ne sont pas abordées dans le cadre local des quartiers, mais uniquement en mairie centrale.

Le Bureau Villeurbannais de Développement Industriel (BVDI) existe quant à lui depuis la fin des années 1970. Il est maintenu en place et même conforté dans ses missions après les lois de décentralisation. Il permet à la municipalité de Villeurbanne, gagnée par l’opposition socialiste en 1977, non seulement de déployer une politique d’intervention économique autonome et très volontaire, axée en grande partie sur la gestion des friches industrielles et le renforcement du tissu économique tertiaire, mais aussi de se démarquer politiquement et économiquement vis-à-vis de la domination lyonnaise. Vénissieux, Vaulx-en-Velin, Bron ou Meyzieu développent aussi leurs services économiques au cours des années 1980, adoptant une posture assez similaire, quoique paradoxale, de concurrence teintée de complémentarité avec la ville centre (Ben Mabrouk, Jouve, 1999). L’Est de l’agglomération s’ancre ainsi dans l’opposition politique par rapport à la majorité lyonnaise, en utilisant notamment le levier de l’action économique pour se démarquer.

Début 1986, une association intercommunale est instituée pour regrouper dix municipalités de l’Est lyonnais, situées dans et hors du périmètre territorial de la COURLY 207 . Sa vocation est d’assurer la promotion de cette portion de l’agglomération urbaine (Barbier de Reulle, de Courson, 1988), fortement marquée par la présence des activités productives et l’existence de vastes zones industrielles. Le contexte de crise pèse en effet de façon particulièrement sensible sur cette partie du territoire, fortement industrialisée. Il s’agit ainsi de faciliter le maintien et le développement des fonctions productives existantes et d’améliorer la gestion des zones industrielles, mais aussi d’attirer de nouveaux investissements pour conserver la densité du tissu économique, en contrebalançant la primauté de la partie centrale de l’agglomération.

Enfin, l’Ouest lyonnais s’organise aussi dans la seconde moitié des années 1980, parallèlement à la mise en place du Plan d’Action Technopole par l’ADERLY (voir infra). Une association de communes est créée en 1987 afin de promouvoir le développement économique du secteur, orientée vers l’accueil d’activités de recherche et de services à haute valeur ajoutée dans un cadre paysager et environnemental très qualitatif.

Notes
206.

Par ailleurs vice-président du CGR et député RPR du Rhône.

207.

Bron, Chassieu, Corbas, Décines, Genas, Meyzieu, Mions, Pusignan, St Bonnet de Mure, St Priest.