La domination politique de la municipalité lyonnaise sur l’appareil communautaire

Le manque de souplesse structurel de la COURLY, qui est encore perçue par une partie des élus comme l’expression institutionnelle locale du centralisme et du dirigisme étatique, rend la définition d’une politique économique d’agglomération très difficile au début des années 1980. Les ambitions internationales, du moins européennes, de la métropole lyonnaise, comme le développement de l’argument technopolitain se déploient ainsi d’abord techniquement au sein de l’ADERLY (voir supra), mais aussi politiquement au sein de la municipalité lyonnaise, c’est-à-dire en dehors de la sphère de pouvoir direct de la COURLY.

Elles contribuent notamment à brouiller les réflexions menées au sein de l’Agence d’urbanisme pour développer une nouvelle politique de régulation économique territoriale et locale à l’échelle de l’agglomération (voir infra). Cependant, il existe une étroite imbrication politique et institutionnelle entre la Ville de Lyon et la COURLY, qui explique et compense l’absence de volonté des élus pour développer une politique économique communautaire.

Le rôle d’énonciateur des principes et objectifs de la politique économique et urbaine de l’agglomération lyonnaise est ainsi en grande partie tenu par les élus municipaux de la Ville de Lyon, qui sont également les principaux responsables politiques de la COURLY. De fait, les intérêts politiques de la ville centre sont majoritairement représentés au sein de l’EPCI : le Maire de Lyon est aussi Président de la COURLY, les élus lyonnais sont nombreux au sein du conseil communautaire grâce au cumul les mandats. Les principaux adjoints municipaux lyonnais, chargés de l’urbanisme et du développement économique notamment (J. Moulinier et M. Noir), occupent en effet les mêmes fonctions au sein de l’appareil politique communautaire en qualité de vice-présidents 208 . « Le renforcement au sommet des structures administratives – instauration de deux cabinets, l’un assistant le président, l’autre le secrétaire général – confirme la volonté du maire de Lyon de mieux contrôler la communauté urbaine » (Biarez, Kukawka, 1986, p.56).

Sur cette base politique et institutionnelle, les orientations de politique économique au niveau communautaire sont essentiellement définies par les élus de la majorité lyonnaise, qui tendent ainsi à confondre les rôles respectifs de la municipalité et de l’établissement intercommunal dans la conduite de l’interventionnisme économique. Ils s’appuient notamment sur leurs très bonnes relations avec les techniciens de l’ADERLY pour faire appliquer leurs idées de façon concrète et privilégier à l’occasion le développement économique de la ville centre au détriment des communes de banlieue, ce que leur reproche d’ailleurs les élus de l’opposition (voir supra).

Les intérêts économiques de Lyon sont notamment partagés entre la volonté de maintenir un tissu industriel dynamique, éventuellement au détriment des communes de banlieue, et la nécessité d’assurer le renouvellement des fonctions économiques, en faveur des activités tertiaires et technologiques, en permettant la réutilisation des importantes surfaces de terrain libérées par les grandes entreprises industrielles. Cette hésitation politique se répercute assez nettement sur les capacités de la COURLY à déterminer et à conduire une politique économique cohérente à l’échelle de l’agglomération.

L’adjoint municipal et vice-président communautaire chargé des affaires économiques à partir de 1983 contribue précisément à faire exister ce lien politique entre la ville centre et l’intercommunalité. M. Noir utilise sa fonction au sein de l’appareil communal pour mettre en place une offensive politique en matière d’intervention économique à travers la publication du « Livre Blanc de l’économie lyonnaise » en 1984 (Noir, 1984). Il axe la politique économique municipale lyonnaise autour de cinq objectifs de développement très ambitieux : « affirmer le rôle de Lyon en tant que métropole internationale [notoriété, image] ; développer sa position de capitale d’une région européenne [centre de décision, services de haut niveau] ; faire de Lyon un pôle d’activités industrielles à haut niveau technologique [biotechnologies, électronique, robotique, nucléaire, matériaux nouveaux, chimie fine, parachimie et pharmacie] ; favoriser la création et l’émergence d’entreprises nouvelles [emplois] ; conserver à la ville un équilibre et un aspect humain [cadre de vie] » (Noir, 1984, p.34).

Le programme de mise en œuvre est volontaire et résolument interventionniste. Il souhaite en effet élargir la commission des affaires économiques à l’ensemble des partenaires institutionnels pour définir et ajuster les objectifs et moyens d’actions de la politique de développement économique municipale ; soutenir le « Plan Composants Lyonnais » en facilitant l’implantation foncière d’une usine de fabrication de composants, nécessaire au développement des activités des entreprises membres du CIEL 209  ; abonder au financement de la PRCEI 210 et adhérer au fond régional de garantie 211  ; favoriser la sauvegarde des activités artisanales et le développement commercial à Lyon, en s’appuyant sur la procédure de révision du POS et sur les opérations de réhabilitation des quartiers ; faciliter le maintien d’activités industrielles et technologique à travers la réutilisation des friches industrielles de Gerland (biotechnologies) et de Vaise (électronique) ; baisser le plafond légal de densité et la fiscalité pour aider certaines catégories d’entreprises 212  ; développer des actions visant à améliorer l’image internationale, technopolitaine et économique de la ville 213 (Noir, 1984).

Sa mise en œuvre est forcément conditionnée par la mobilisation de services techniques extérieurs, la ville n’ayant pas de service économique. L’ADERLY se charge ainsi des aspects purement économiques, comme le marketing urbain, la promotion territoriale, l’accueil des nouveaux investisseurs et la prospection à l’extérieur. La COURLY s’occupe de la mise en application des volets urbanistiques et spatiaux, notamment en développant ses compétences internes en matière d’aménagement spatial et d’urbanisme opérationnel 214 , et ses compétences externes en matière de planification urbaine et d’expertise économique par le biais de son Agence d’urbanisme (voir infra). Une collaboration étroite et un partage des tâches s’opèrent donc entre la COURLY et la Ville de Lyon au début des années 1980. La COURLY se charge de la réalisation des équipements lourds, de l’aménagement spatial et de l’urbanisme. La municipalité lyonnaise se concentre quant à elle sur l’action sociale et culturelle.

Si la COURLY peine à mettre en place une politique économique au début des années 1980, la Ville de Lyon s’engage donc dans un programme d’actions défini par le plan de mandat de F. Collomb de 1983 et le livre blanc de M. Noir, mais aussi largement déterminé par les habitudes et le pragmatisme propres aux responsables politiques lyonnais. La politique économique municipale combine ainsi « prestige et laisser-faire » (Biarez, Kukawka, 1986, p.77), à travers des actions de nature indirecte étroitement imbriquées avec celles de la COURLY (achèvement des grands équipements collectifs et des opérations d’aménagement ou d’urbanisme à vocation économique 215 ) et de l’ADERLY. L’établissement communautaire fonde ainsi sa stratégie d’intervention dans le domaine économique sur ses compétences de planification urbaine, d’urbanisme et d’aménagement spatial, qu’il exerce pour le compte des communes (voir infra).

L’absence de compétence économique propre et le manque de légitimité démocratique de la COURLY, la préférence municipale des élus, le clivage politique et idéologique qui les divise, et l’aggravation des phénomènes de concurrence économique entre les communes de l’agglomération qui en découle, déjà cristallisés autour des différences de taux de la taxe professionnelle, entraînent donc une certaine incapacité de la COURLY à diriger et mettre en œuvre une politique économique unifiée, cohérente et globale à l’échelle de l’agglomération. A cela s’ajoute également la difficulté de faire émerger une vision d’agglomération portée par le pouvoir politique intercommunal et la nécessité de changer profondément les méthodes d’intervention publique en faveur du développement économique afin d’adapter le contenu de la politique à l’évolution du contexte général. Toutefois, des initiatives existent.

Notes
208.

Un autre adjoint municipal (également vice-président de la COURLY) se charge des relations avec l’université et les organismes de recherche.

209.

Club Informatique, Electronique de Lyon.

210.

Prime Régionale à la Création d’Entreprises Industrielles. En application des lois de décentralisation, les communes peuvent aider financièrement les entreprises, en complétant les primes directes accordées par la Région ou l’Etat dans le respect des plafonds légaux.

211.

La région Rhône-Alpes offre une contre garantie à cinq sociétés de caution, pouvant aller jusqu’à 50 % des risques financiers d’une opération. La participation de la ville permet d’augmenter le taux de couverture et d’accroître la capacité de recours à l’emprunt des PMI lyonnaises.

212.

Taxes foncière et professionnelle.

213.

Lycée international, jumelages, équipements d’accueil touristique, grandes manifestations médiatiques, etc.

214.

Les compétences transférées par l’Etat à la commune lors de la décentralisation sont déléguées à l’EPCI.

215.

Métro, gare et quartier de la Part Dieu, palais des congrès, nouveau parc des expositions Eurexpo.