Entre rhétorique métropolitaine et consécration légale

Au cours des années 1980, la proximité historique entre les élites politiques et les élites économiques lyonnaises (voir supra, 2ème Partie, Section 2) se recompose autour de l’arrivée au pouvoir local de nouvelles personnalités politiques. M. Noir notamment, bien qu’occupant un poste à responsabilité sous la seconde mandature de F. Collomb et appartenant à la même majorité politique que lui 216 , se positionne progressivement comme son plus sérieux adversaire pour la succession à la mairie de Lyon en 1989, en se servant précisément de ses fonctions d’élu chargé des affaires économiques pour rallier les représentants des entreprises et une partie de la classe politique sous sa bannière. Il attaque ainsi le premier magistrat lyonnais sur son terrain, celui des entreprises et du monde des affaires, en faisant du rayonnement métropolitain et de l’internationalisation de l’économie lyonnaise ses principaux chevaux de bataille.

Les principaux élus communautaires en charge des questions de développement comme J. Rigaud et M. Noir, politiquement proches des milieux économiques lyonnais, placent très tôt l’agglomération lyonnaise sur le marché concurrentiel des grandes métropoles européennes, profitant de la décentralisation pour annoncer en 1987 la définition d’un grand projet stratégique de développement pour le territoire de l’agglomération lyonnaise. Si l’enjeu du développement économique et du positionnement concurrentiel de la métropole sur le marché des villes ne peut être abordé de manière directe par les services de la COURLY faute de compétence économique officielle, ses responsables politiques tentent ainsi de participer de plus en plus à la définition de la politique économique de l’agglomération, et de placer l’action des différents services opérationnels ou de gestion et leur nécessaire coordination, au service de la cause plus globale du développement métropolitain. « Après avoir défini le contour de ses obligations, précisé la mesure de ses ambitions et de ses moyens, la COURLY entame et poursuit la réalisation des équipements qui vont lui donner sa dimension européenne » 217 .

Ces effets d’annonce s’inscrivent cependant tous dans la même perspective économique ambitieuse tracée par F. Collomb depuis 1977 : améliorer l’environnement existant, mettre en œuvre un nouveau type de croissance et préparer l’avenir économique de l’agglomération Même si ces options ne sont pas discutées en conseil communautaire et ne débouchent pas sur la définition d’une véritable politique économique portée par la COURLY durant son premier mandat (Biarez, 1983), elles sont réaffirmées et approfondies lors de son second mandat (1983-1989), notamment par l’adjoint aux affaires économiques M. Noir : faire de Lyon une métropole internationale, favoriser le développement d’un pôle économique composés d’activités de haut niveau technologique, tout en permettant la création d’emplois pour remédier à la crise industrielle et conserver l’équilibre général au sein de l’agglomération (Biarez, Kukawka, 1986).

Une fois les élections remportées, M. Noir et son équipe s’attachent à conduire deux entreprises parallèles de construction d’un gouvernement urbain apte à prendre en charge la régulation économique territoriale : la réactivation de la RUL comme lieu de concertation et de décision concernant les questions de développement économique à l’échelle métropolitaine, et la réorganisation en profondeur des services et des modes de gestion politique de la COURLY pour en faire un organisme participant de plein pied à la mise en œuvre du développement économique local. Les propositions en faveur du développement économique et du rayonnement international de la métropole lyonnaise contenues dans le nouveau schéma directeur en préparation (voir supra, Section 2) lui servent en outre de justification pour son projet politique de mandature.

Les mandats municipal et communautaire de 1989 à 1995 marquent ainsi un tournant dans le rôle joué par la COURLY, et par la sphère politique de manière plus globale, dans la conduite de la politique économique locale, après une campagne axée par M. Noir sur les thématiques du gouvernement métropolitain et du rassemblement nécessaire des compétences d’action et de gestion territoriales au sein d’un seul même organisme institutionnel, au nom de l’impératif du développement économique. Il s’agit d’inscrire Lyon dans le jeu de la concurrence économique et internationale interurbaine afin d’en faire une métropole attractive et dynamique pour les entreprises, en développant notamment l’implication des services techniques communautaires dans l’intervention plus ou directe en faveur du développement économique : création de missions thématiques, en lien avec les différentes politiques urbaines. Le nouveau maire de Lyon et président de la COURLY cherche ainsi à pallier son manque d’ancrage politique local et à asseoir concrètement son nouveau style managérial de gestion urbaine, par le recours à une démarche stratégique de grands projets et de développement économique territorialisé (Ben Mabrouk, Jouve, 1999).

La recréation de la Conférence de la RUL en 1988 sous la forme d’une association de collectivités locales (COURLY et départements 218 ) permet également à M. Noir d’amplifier cette dynamique, en l’instrumentalisant à des fins politiciennes. Le nouveau responsable politique lyonnais utilise en effet l’association pour s’affranchir du manque de compétence économique de l’organisme communautaire, en déplaçant la focale du gouvernement urbain lyonnais de l’échelle de l’agglomération – qui correspond grosso modo au territoire de la COURLY – à l’échelle de la région urbaine, qui représente la réalité territoriale – largement fantasmée – de la métropole depuis la fin des années 1960 (voir supra, 2ème Partie, Section 1). Les tentatives de M. Noir de s’emparer de ce nouvel échelon territorial et institutionnel sont motivées par la volonté de renforcer son pouvoir politique sur les questions économiques, y compris au détriment éventuel des autres acteurs publics et privés locaux (maires, Conseils généraux et régional, administrations étatiques 219 , CCIL) (Guéranger, Jouve, 2003).

La démarche politique de M. Noir concernant l’action économique en faveur des entreprises sème en effet le trouble parmi les responsables des autres niveaux territoriaux et des structures à vocation économique, d’autant plus qu’il poursuit son offensive en récupérant l’initiative de constitution d’un observatoire économique d’agglomération au profit de l’association. Le projet, porté par la CCIL et l’AGURCO sur la base d’une expertise économique et scientifique (TEN, 1989), est ainsi mis au service de la définition du nouveau périmètre économiquement pertinent de la RUL en 1990 (RUL, 1989 ; TEN, 1990). Ce travail de délimitation territoriale fait l’objet d’âpres querelles politiciennes et technocratiques jusqu’à 1994, sur fond de pseudo scientificité économique et statistique, et de retour de l’Etat dans la gestion du devenir métropolitain de l’ensemble lyonnais (SGAR, 1994 220  ; Bardet, Jouve, 1999).

La RUL apparaît en définitive comme un forum de réflexion collective sur le devenir spatial et économique de la métropole lyonnaise, instrumentalisé tour à tour par les élites lyonnaises et les représentants de l’Etat (Ben Mabrouk, Jouve, 1999), mais aussi combattu par les représentants des intérêts économiques locaux (ADERLY, CCIL, GIL), qui craignent la concurrence de cette nouvelle institution et des autorités politiques lyonnaises dans leur pré carré de l’action économique territorialisée (voir infra).

Parallèlement, la nouvelle équipe politique réorganise à son arrivée les services communautaires pour les recentrer sur le développement économique de l’agglomération, alors que la COURLY n’a encore aucune compétence en la matière (voir infra). Deux vice-présidents sont chargés des questions de développement : l’un des activités économiques, l’autre de la stratégie d’agglomération 221 . Un groupe restreint composé du président et de quelques vice-présidents, le « G9 », monopolise les décisions, minorant fortement le travail des commissions techniques spécialisées (Guéranger, Jouve, 2004), et remplaçant de fait l’ancienne logique d’action communautaire en matière de développement local, fondée sur le clientélisme municipal et la redistribution, par la formulation et l’application d’une véritable politique économique d’agglomération (Bardet, Jouve, 1999). M. Noir s’entoure aussi de plusieurs conseillers techniques très au fait des enjeux économiques au sein de son cabinet, dont certains sont issus des milieux d’affaires locaux, afin de verrouiller le système d’expertise politique et décisionnelle autour de sa personne tout en s’assurant de bons contacts avec le monde économique 222 .

L’année suivante, copiant les métropoles anglo-saxonnes 223 , la COURLY adopte une nouvelle appellation, plus explicite et en phase avec les objectifs de rayonnement métropolitain et de développement économique international de l’agglomération : le Grand Lyon. M. Noir tente également d’élargir le périmètre communautaire pour qu’il corresponde mieux à la réalité urbaine et économique de l’agglomération, sans succès. Le chef de l’exécutif communautaire poursuit ainsi l’offensive politique autour de la thématique de la métropolisation économique de Lyon, en l’absence de légitimité institutionnelle à intervenir sur ces questions. L’aménagement urbain et les grands projets sont donc instrumentalisés pour concrétiser la réalisation de ces ambitions, grâce à la nouvelle configuration des services techniques communautaires (réaménagement des espaces publics centraux, périphérique Nord, Cité Internationale, Manufacture des Tabacs, Boulevard de l’Europe, implantation de l’ENS Lettres à Gerland) (voir infra, Section 2).

En 1992, un nouveau vice-président chargé de l’économie, de l’urbanisme commercial et des relations internationales est nommé au sein de l’exécutif, en application de la loi ATR qui donne enfin la compétence du développement économique au Grand Lyon (voir supra). La même année voit l’adoption du nouveau schéma directeur de l’agglomération lyonnaise (SEPAL, 1992), qui matérialise à la fois le renouveau de la planification urbaine et territoriale, le virage stratégique de la politique de développement locale et sa soumission totale à l’enjeu économique (voir infra, Section 2). Le mandat de M. Noir marque donc la montée en puissance et la consécration de l’enjeu économique au cœur de l’agenda politique de l’agglomération lyonnaise.

Notes
216.

M. Noir fait partie de la Droite française, mais il appartient à une autre famille politique que le maire de Lyon, le RPR de J. Chirac, dont il a été ministre de 1986 à 1988. F. Collomb est quant à lui plus proche des centristes de l’UDF, famille politique fortement ancrée dans la région lyonnaise, tenant également le CGR et la Région Rhône-Alpes à partir de 1986.

217.

Extrait de l’introduction de F. Collomb, 1987, Bilan d’activités de la COURLY. Source : Archives du Grand Lyon.

218.

Ain, Isère, Loire, Rhône.

219.

Secrétariat Général à l’Action Régionale (SGAR) notamment, qui remplace l’OREAM à partir de la fin des années 1970 sur le périmètre de la RUL. Il est rattaché à la Préfecture de la Région Rhône-Alpes.

220.

Résultat d’études commandées par la Préfecture de Région à des organismes d’études (Beckouche, Davezies, Schébath, 1993 ; Beckouche, Davezies, 1993b).

221.

Il préside également le SEPAL, syndicat d’études chargé de l’élaboration du nouveau schéma directeur de l’agglomération lyonnaise (voir infra, Section 2).

222.

G. Besson s’occupe du contrôle de gestion, des finances et des affaires économiques, F. Pons et C. Boiron, adjoint au maire chargé du développement économique et des relations internationales durant une partie du mandat, apportent leur connaissance du monde économique, M. Rivoire (ingénieur TPE) gère l’urbanisme, les grands projets et les déplacements urbains.

223.

Greater London, Greater Manchester, Greater Philadelphia, Greater Cincinnati.