L’économie au centre de la politique urbaine lyonnaise

Les deux mandats politiques suivants à la tête de l’exécutif communautaire sont résolument et ouvertement placés sous l’étendard du développement économique du territoire, même si les deux présidents successifs n’appartiennent pas au même bord politique. Cette situation consensuelle traduit bien la convergence idéologique que connaissent la Droite et la Gauche françaises sur la problématique de l’interventionnisme économique local depuis la survenue de la crise (voir supra). La mandature Barre reste cependant celle qui marque le plus l’ancrage volontariste de la politique urbaine lyonnaise dans la problématique globale du développement économique et de l’inscription de la métropole lyonnaise dans le concert des grandes villes européennes. Celle de G. Collomb depuis 2001 apparaît en effet comme essentiellement positionnée dans la continuité des grands jalons stratégiques et dans la réappropriation de thématiques et d’orientations économiques définies par son prédécesseur, du moins en ce qui concerne les référentiels mobilisés pour justifier l’action publique en faveur de l’économie.

La politique économique figure en première position dans la présentation du plan de mandat 1995-2001 de R. Barre au Grand Lyon. La problématique du développement est présentée comme devant nécessairement s’imposer aux autres orientations de la politique urbaine, c’est-à-dire comme la condition qui détermine l’ensemble des politiques publiques locales pilotées par la Communauté urbaine : « Le développement de notre agglomération doit être notre objectif prioritaire. Toutes les autres politiques doivent être conduites au service de ce principe clé de notre action » 224 . Le parcours politique et le profil professionnel du nouveau chef de l’exécutif lyonnais, qualifié de « meilleur économiste de France » dans les années 1970, peuvent en partie expliquer ce choix de mettre la thématique de l’économie au premier plan de son programme politique pour l’agglomération 225 .

Il s’inscrit en outre dans une forme de continuité politique par rapport à la dominante centriste de Droite lyonnaise, étant apparenté à l’UDF à la différence de son prédécesseur affilié au RPR. Ceci lui permet de rétablir un certain consensus politique dans la région lyonnaise avec les différents échelons institutionnels (Conseil régional, CGR) partenaires du Grand Lyon au sein de la RUL, autour de la volonté de faire de Lyon une métropole internationale puissante économiquement. Il accepte également que l’association reste un simple forum de réflexion non engagé dans la conduite d’une quelconque politique économique, à la satisfaction des organismes représentatifs des intérêts économiques locaux (Bardet, Jouve, 1999).

Le Grand Lyon devient donc l’organisme central et unique énonciateur politique de la stratégie de développement économique de la métropole lyonnaise. Son président s’entoure, entre autres, d’un directeur de cabinet adjoint chargé de l’aménagement, de l’économie, de l’urbanisme et des transports, ayant une vision très globale des enjeux de politique urbaine en relation directe avec la problématique du développement économique, et d’un chargé de mission pour les affaires internationales qui complète le dispositif d’aide à la décision du chef de l’exécutif.

R. Barre définit ainsi la première véritable politique économique communautaire lyonnaise, fort de la compétence attribuée à l’EPCI par la loi ATR de 1992 (voir supra). Le programme d’action est ambitieux et global, prévoyant pour sa mise en application une nouvelle réorganisation des services du Grand Lyon (effective en 1998, voir infra) et une remise à plat du périmètre territorial et de la fiscalité locale pour les entreprises. Il repose sur une démarche globale de projet stratégique pour le développement économique de l’agglomération, organisé autour de l’amélioration des conditions d’accueil des entreprises sur le territoire et de la mise en œuvre d’actions destinées à jouer sur les facteurs environnementaux favorables au développement des activités économiques (voir infra, Section 2).

Les grands équipements structurants (universités et grandes écoles, réseaux de télécommunications, équipements sportifs et culturels) sont également mobilisés pour contribuer au développement économique de l’agglomération (voir infra, Section 2). Les fonctions supérieures indispensables aux activités économiques sur le territoire (logistique, fonctions décisionnelles et financières, tourisme) sont aussi pointées par la politique de développement économique du Grand Lyon. Leur développement doit permettre de poursuivre la stratégie qui consiste à hisser Lyon au rang de métropole européenne, amorcée sous la mandature précédente.

R. Barre s’appuie notamment sur son important réseau de relations à l’étranger et sur sa notoriété pour faciliter le développement métropolitain et le rayonnement international de la ville : accueil de la réunion du G7 en 1996, obtention de l’inscription de Lyon sur la liste des sites inscrits au patrimoine mondial de l’Humanité par l’UNESCO, etc. Il intègre le pilotage du dossier de l’ENS Lettres dans l’organigramme communautaire, renforçant encore son emprise sur les dossiers économiques. Le rôle central de l’ADERLY est cependant réaffirmé pour développer l’attractivité de l’agglomération, tant pour les fonctions supérieures que pour les activités technologiques dans le cadre du Plan Technopole.

Lancé en 1984 par l’ADERLY et la CCIL mais progressivement tombé dans l’ombre (voir infra, Section 3), celui-ci est en effet relancé par le Grand Lyon en 1998. Conçue à l’initiative du vice-président communautaire chargé des grands équipements d’agglomération et des délocalisations 226 , d’un agent du service économique du Grand Lyon recruté à cet effet et d’un jeune docteur travaillant à la Mission Prospective et Stratégie d’Agglomération du Grand Lyon 227 , cette nouvelle démarche politique vise à faire de Lyon une « Ville de l’intelligence » et une métropole technopolitaine (Healy, 2002). Elle mise sur le renforcement de l’image et du potentiel de l’agglomération dans les domaines de la recherche, de l’innovation et de la création d’entreprises dans les nouvelles technologies (Grand Lyon, 1998). Elle permet à l’organisme communautaire de s’emparer d’un champ de l’action économique jusqu’à lors largement accaparé par la Région, l’Etat (DRRT, DRIRE, ANVAR) et les organismes économiques locaux (CCIL et ADERLY).

Plus d’un million d’Euros par an sont budgétés pour financer le Plan technopole du Grand Lyon de 1999 à 2001, après les 150 000 Euros débloqués en 1998. Sa mise en œuvre s’organise autour de la valorisation du potentiel de recherche et d’innovation de l’agglomération, du développement de deux domaines d’activités (santé et sciences et technologies du vivant ; nouvelles technologies d’information et de communication) et de l’aménagement de sept sites spécialisés dans l’accueil des activités technologiques et innovantes répartis sur le territoire communautaire : Lyon-Centre, la Doua, Gerland, Rockefeller, Lyon-Ouest, Vaulx-en-Velin et Porte des Alpes. Seul le dernier volet, éminemment urbanistique et lié à l’aménagement spatial, relève directement de la compétence du Grand Lyon. La réalisation des deux premiers s’appuie donc sur un dispositif flexible de sous-traitance, relevant du principe de subsidiarité, qui consiste pour le Grand Lyon à subventionner différents organismes partenaires pour la mise en œuvre des actions (Grand Lyon, 1998) (voir infra, Section 2).

Dès 1996, une vaste démarche de réflexion prospective et stratégique, largement ouverte aux forces vives et aux membres de la société civile lyonnaise, est confiée à la nouvelle Mission Prospective et Stratégie d’Agglomération du Grand Lyon. Intitulée Millénaire 3, elle débouche sur la formulation du projet de développement de territoire « 21 priorités pour le 21 ème siècle : une agglomération compétitive et rassemblée » à la fin du mandat de R. Barre et sur la mise en place du Conseil de développement du Grand Lyon au début du mandat de G. Collomb, prévue par la loi Voynet de 1999 (voir supra). Elle dépasse toutefois le seul champ de l’économie, mais permet de relier cette thématique, encore fortement cloisonnée et souvent perçue comme un problème d’initiés, aux autres domaines de l’action publique et de la vie du territoire local en général. Elle permet également au président de l’Agence d’urbanisme 228 de concrétiser l’idée née en fin de mandat précédent d’élaborer une politique de développement économique pour l’agglomération 229 .

La démarche du Schéma de Développement Economique (SDE) est lancée sous la forme d’un diagnostic économique de l’agglomération en 1997 par l’Agence d’urbanisme. Elle privilégie le partenariat avec les acteurs issus du monde des entreprises (organismes patronaux, chefs d’entreprises, experts), au gré d’un comité de pilotage majoritairement constitué de structures à vocation économiques (voir infra, Section 3). Le Grand Lyon reprend cependant rapidement l’initiative à son compte par l’intermédiaire du vice-président chargé des questions économiques 230 , tout en laissant le pilotage technique aux soins de l’Agence. Les travaux d’enquêtes, de prospective, de connaissance des filières et de bilan des actions publiques débouchent fin 1999 – début 2000 sur la définition des orientations prioritaires d’un futur plan de développement économique territorial.

Cette politique économique est poursuivie par l’équipe de G. Collomb depuis son élection en 2001 : « Le Grand Lyon fait (…) de l’économie une de ses priorités. (…) C’est la démarche [que le Grand Lyon] a suivie pour l’élaboration du SDE (…) qui inspire largement ce plan de mandat » 231 . L’énonciation de la politique économique et d’internationalisation de l’agglomération figure de nouveau en ouverture du projet politique de la mandature. G. Collomb s’entoure lui aussi de personnalités très au fait des enjeux économiques, tant au niveau local qu’au niveau national et international, et très largement reconnus et respectés par les acteurs économiques lyonnais (chefs d’entreprises, organismes patronaux). Son adjoint municipal et vice-président communautaire chargé du développement économique et des relations internationales est en effet l’ancien conseiller du Premier Ministre pour les questions économiques 232  ; son directeur de cabinet au Grand Lyon est quant à lui le chargé de mission qui s’est occupé de conduire la démarche du SDE pour le compte de l’Agence d’urbanisme 233 (voir infra, Section 3).

Le nouvel exécutif opère cependant une importante réappropriation des différentes orientations stratégiques initiées sous le mandat précédent, en les rebaptisant progressivement : le Plan Technopole devient ainsi « Lyon Métropole Innovante » (LMI) en 2002, le SDE se poursuit au travers de la démarche de gouvernance économique locale « Grand Lyon l’Esprit d’Entreprise » (GLEE) en 2003 (voir infra, Section 3), tandis que la démarche de prospective Millénaire 3 cède la place à « Lyon 2020 » en 2004, dont le pilotage est confié à la Direction de la Prospective et de la Stratégie d’Agglomération (DPSA). Les grands axes de la politique économique – innovation technopolitaine, partenariat et concertation avec les grands acteurs économiques, réflexions prospectives – sont ainsi intégrés au sein d’une même stratégie de développement du territoire, essentiellement portée par les services économiques et de la prospective stratégique du Grand Lyon.

Le slogan de la nouvelle orientation politique du développement économique, qui vise à hisser Lyon parmi les 15 premières métropoles européennes, marque aussi une certaine rupture. « Voir loin, être proche » implique en effet à la fois un travail de réflexion stratégique et global avec les différents partenaires, notamment économiques, et un travail plus ancré dans le territoire local et plus pragmatique à leur côté (voir infra).

Notes
224.

Grand Lyon, Plan de mandat 1995-2001. 5 sur 5, Les documents thématiques des 55 communes du Grand Lyon, p.4, non daté.

225.

R. Barre est notamment agrégé d’économie, diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et professeur d’économie. Après avoir été Vice-président de la Commission européenne, il a été Ministre du commerce extérieur, Premier Ministre et Ministre de l’économie et des finances de Valéry Giscard d’Estaing.

226.

J. Moulinier, vice-président chargé de l’urbanisme sous le mandat de F. Collomb et vice-président chargé des systèmes d’information, des nouvelles technologies et des implantations tertiaires et administratives sous le mandat de M. Noir. Il est ainsi fortement impliqué dans l’accompagnement par la COURLY du premier Plan d’Action Technopole piloté par la CCIL et l’ADERLY à partir de 1984 (voir infra). Après la refonte des services en 1998 suite au lancement du Plan Technopole et de la Mission Prospective et Stratégie, il devient vice-président chargé de la stratégie d’agglomération, des équipements structurants, des implantations publiques depuis Paris, le recherche et de l’enseignement supérieur et des relations avec la RUL, la DTA et l’EPIDA.

227.

Il s’agit de J.-L. Molin, dont la thèse met en évidence le manque de synergie entre les milieux industriels et universitaires lyonnais, ainsi que la faiblesse des politiques publiques locales pour inverser cette tendance.

228.

H. Chabert, auparavant vice-président à l’urbanisme de M. Noir de 1989 à 1995. Il appartient au RPR et se présente contre R. Barre lors du scrutin municipal de 1995. Il se retrouve dans l’opposition politique à l’équipe de R. Barre à l’issu du scrutin, ce dernier ayant choisi de s’allier avec le PS plutôt qu’avec la famille politique de l’ancien maire, poursuivi par les tribunaux pour des problèmes de corruption et d’abus de biens sociaux.

229.

Entretien réalisé avec M. Bardel, Agence d’urbanisme pour le développement de l’agglomération lyonnaise par M. Zepf (UMR 5600), le 01/12/1999.

230.

M. Forien, proche d’H. Chabert, plus précisément chargé des relations avec les entreprises, les chambres consulaires et l’ADERLY, du développement de l’activité économique de l’agglomération et de l’emploi.

231.

Grand Lyon, 2001, Plan de mandat 2001-2007, PDF disponible sur le site web du Grand Lyon, p.11.

232.

P.-A. Muet, auparavant conseiller de L. Jospin à Matignon.

233.

C. Cizeron, auparavant chargé du projet de SDE au sien du cabinet de consultants Algoé (voir infra, Section 3).