La TPU et l’officialisation de la compétence économique confèrent une nouvelle légitimité renforcée à l’organisme communautaire pour prendre en charge la gestion des affaires économiques et l’organisation de la régulation économique territoriale dans l’agglomération. Ajoutées à l’énorme puissance financière de l’EPCI, elles permettent à la DAEI du Grand Lyon de s’imposer comme l’organe central et directif au sein du système d’acteurs local de l’économie.
Alors que la loi « Libertés et responsabilités locales » du 13 août 2004 fixe un délai d'un an aux EPCI existants pour procéder à cet arbitrage concernant la définition de l’intérêt communautaire et le partage des compétences entre niveaux communal et intercommunal, le Grand Lyon adopte dès juillet 2004 de nouveaux statuts actualisant ses compétences déjà exercées. Le contenu de la décision s’appuie notamment sur l’expertise produite par le Cabinet KPMG dans le domaine du développement économique (KPMG, 2003). Le Grand Lyon se charge donc désormais de :
Ces nouveaux statuts en matière d’intervention économique ne mentionnent pas explicitement l’animation territoriale qui tend pourtant à devenir l’élément central de la politique économique communautaire depuis 2002 (voir infra, Section 2), mais l’incluent de façon implicite à travers le vocable suffisamment flou et ouvert « des actions de développement économique » 259 . Ils éludent en revanche totalement la question de la participation communautaire à la gestion des politiques en faveur de l’emploi et de l’insertion, malgré les préconisations de l’audit allant dans le sens d’une implication de l’échelon intercommunal en la matière pour renforcer l’action des municipalités. Ils se focalisent ainsi uniquement sur les domaines d’action relatifs à la satisfaction des besoins des entreprises sur le territoire local, à la promotion concurrentielle et à l’attractivité économique de l’agglomération, c’est-à-dire sur les interventions motivées par la recherche de l’intérêt des entreprises (voir infra, Section 3).
Toutefois, la proposition de s’appuyer sur les Conférences des Maires de l’agglomération lyonnaise pour mettre en place la territorialisation de la politique économique communautaire est mise en œuvre en 2002, avant même la réalisation de l’audit. Celui-ci constitue donc plutôt un élément de légitimation a posteriori de la démarche de territorialisation de l’action économique déjà lancée par le Grand Lyon malgré le flou juridique encadrant sa compétence officielle dans le champ de l’économie, qu’un véritable outil d’aide à la décision permettant à l’organisme communautaire de procéder à des choix organisationnels en amont de toute initiative de réorganisation de la mise en œuvre de la politique économique dans l’agglomération.
Source : www.grandlyon.org
La territorialisation de l’intervention économique communautaire repose sur le découpage de l’agglomération en neuf Conférences des Maires institué en 2002, regroupant les communes par secteurs géographiques (voir carte n°3) 260 . La création de ce nouvel échelon intermédiaire et normatif, imposé aux municipalités par les autorités communautaires, représente une démarche d’innovation territoriale (Giraut, Antheaume, Maharaj, 2003 ; Antheaume, Giraut, 2005) inédite à l’échelle de la métropole lyonnaise, du moins pour la mise en œuvre de politiques publiques. Les seules formes de découpage territorial antérieures correspondent en effet à des périmètres de gestion de certains services techniques locaux (voirie, propreté, etc.). Elle n’est pas uniquement mis en place pour le développement économique, puisqu’elle doit permettre à terme de conduire la plupart des politiques urbaines communautaires de façon décentralisée, en lien étroit avec les territoires locaux (planification spatiale, aménagement urbain, déplacements, logement, etc.). Le champ de l’économie est cependant le premier à faire l’objet d’une expérimentation poussée de cette nouvelle manière de gérer l’action publique territorialisée.
Cette nouvelle organisation est censée permettre l’organisation de relations institutionnelles plus étroites et différenciées entre les communes et le Grand Lyon, par le biais de contrats territoriaux fixant les modalités de l’intervention économique et la répartition des rôles entre les différents intervenants sur le territoire local. Elle s’inspire directement du maillage territorial défini par les antennes locales de la CCIL (voir infra, Section 3), mais ne se conforme pas totalement à la même logique de découpage de l’espace. Si le découpage territorial instauré par la CCIL répond essentiellement aux logiques de fonctionnement des entreprises sur le territoire et notamment aux périmètres définis de manière spontanée par les nombreuses associations d’entreprises locales sur la base des zones d’activités auxquelles elles appartiennent, celui qui est mis en place par la Grand Lyon répond plutôt à des dynamiques politiques locales d’entente entre les maires des communes ainsi qu’à des logiques technocratiques de sectorisation géographique du territoire communautaire héritées de la gestion technique de certains services publics locaux (voirie, assainissement, etc.).
Les territoires de régulation économique ainsi créés ne constituent toutefois pas réellement un nouveau niveau de pouvoir décisionnel, car ils n’ont pas de statut institutionnel clairement défini ni de compétence propre. Ils représentent plutôt de nouvelles scènes de négociation de la décision entre les communes et le Grand Lyon, de mise en cohérence de l’action entre les municipalités, le pouvoir intercommunal et les divers partenaires de la régulation économique territoriale en présence (entreprises, associations d’entreprises, organismes consulaires, etc.), et d’organisation d’un dispositif territorialisé de sous-traitance destiné à faciliter la mise en œuvre de la politique économique communautaire sur l’ensemble de l’agglomération.
Ce dispositif organisationnel qui s’appuie sur un nouvel « entre-deux » territorial permet ainsi de résoudre en grande partie le dilemme de la gestion de la régulation économique territoriale à l’échelle de l’agglomération. Celle-ci est en effet tiraillée entre l’échelle globale de la gestion politique et stratégique du développement de la métropole, et l’échelle locale de l’animation du tissu économique, de la solidarité et de la pratique quotidienne du territoire. Or, les deux éléments qui fondent la légitimité et la nécessité d’intervention des pouvoirs publics locaux dans la gestion des affaires économiques sont fondamentalement contradictoires sur le plan territorial.
D’une part, il s’agit de dégager une stratégie d’ensemble et des orientations pour le territoire métropolitain, c’est-à-dire de prendre de la hauteur et de s’éloigner des spécificités disparates du terrain afin de définir une politique globale de développement économique. D’autre part, il s’agit dans le même temps d’être suffisamment proche des entreprises et du tissu économique local pour pouvoir répondre au mieux aux besoins exprimés, voire les anticiper, c’est-à-dire être présent sur le terrain au quotidien aux côtés des acteurs économiques du territoire et adapter en permanence l’action économique aux attentes.
Une telle production de territoires adaptés aux exigences du développement économique local, souhaitée par les responsables du Grand Lyon, s’oppose à la vision très classique de l’organisation des services communautaires, fortement centralisée et héritée du centralisme étatique des Trente Glorieuses (voir supra, 2ème Partie). Elle correspond à une logique nouvelle de différenciation territoriale fondée sur la démarche stratégique de projet et sur une approche transversale, intégrée de l’action publique au niveau local, adaptée aux exigences du développement local et incompatible avec l’impératif d’homogénéisation territoriale des politiques économiques qui prévalait avant la Décentralisation (Descoter, 2000).
La tentative d’ancrage territorial de l’action de développement économique communautaire au travers de la déclinaison économique des Conférences des Maires et la création des postes d’animateur technopolitain et de développeur économique sur le territoire est donc sans doute l’aspect le plus novateur dans la reconfiguration des services de la DAEI, comme de l’organisation fonctionnelle du Grand Lyon. Il dénote en outre d’un profond changement d’approche méthodologique dans la conduite de la politique économique locale et notamment d’un souci nouveau de favoriser à la fois la transversalité au sein l’action économique entre les approches spatiales par l’aménagement et les approches qualitatives par les filières d’activités, et la décentralisation de certaines tâches sur le terrain (voir infra, Section 2).
Délibération n°2004-2042 du Conseil communautaire du Grand Lyon, « Adoption de statuts pour la Communauté urbaine, actualisation des compétences dans des domaines d’activités déjà exercées, travaux de la commission spéciale dans le cadre de la loi Chevènement en date du 12 juillet 1999 », Séance publique du 12 juillet 2004.
Délibération du Conseil communautaire du Grand Lyon n°2002-0870, « Organisation de relations institutionnelles entre les maires et la Communauté urbaine sur la base de conférences locales de maires », Direction Générale des services – Mission de coordination territoriale.