… ou tentations hégémoniques de la part du Grand Lyon ?

La démarche de territorialisation de la politique économique lyonnaise symbolise également le changement d’orientation politique en matière de développement économique local, consécutive de l’instauration de la TPU dans l’agglomération. Celle-ci confère en en effet une plus grande légitimité d’intervention en matière de régulation économique territoriale à l’institution communautaire, en même temps qu’elle concrétise la définition d’un intérêt général communautaire dans le domaine du développement économique, supérieur à celui défini au niveau des municipalités.

Le travail de développement économique mené en partenariat avec les acteurs économiques, les autres niveaux de collectivités locales et différents acteurs publics est cependant de plus en plus mis en avant par le Grand Lyon dans ce nouveau cadre territorial, notamment sous la forme de conventions et de projets collectifs. Le volet technopolitain de la politique économique voit ainsi la mise en place de nombreuses structures associatives thématiques 261 et repose sur un recours accru à la sous-traitance des tâches relatives à la mise en œuvre concrète du programme d’actions. Des salons et autres grandes manifestations thématiques ou sectorielles sont également organisés avec l’appui de la DAEI, qui élargit ainsi toujours plus son champ d’intervention en faveur du développement économique et du rayonnement international de la métropole lyonnaise, en développant les formes de partenariat politique et opérationnel avec les acteurs économiques et institutionnels locaux.

Le cas de la RUL représente aussi un exemple intéressant pour illustrer les manœuvres du Grand Lyon pour s’affirmer comme l’acteur central et dominant en matière de gestion des questions économiques dans la métropole lyonnaise. Il s’agit en effet d’une autre maille territoriale, également dénuée de véritable pouvoir politique institutionnalisé comme les Conférences des Maires, mais définie cette fois-ci à une échelle beaucoup plus large que celle de l’agglomération. Elle rassemble sous un statut associatif les principales collectivités locales et établissements publics de l’aire métropolitaine lyonnaise 262 . Réactivée par les responsables politiques communautaires depuis la fin des années 1980 (voir supra), elle constitue un autre moyen détourné pour imposer le leadership politique du Grand Lyon sur la conduite de la régulation économique territoriale.

Celui-ci se décharge en effet de certains volets de l’action économique considérés comme peu valorisants pour le positionnement high-tech et tertiaire de la métropole, à l’image de la problématique de la logistique notamment, qui est gérée par l’Alliance Logistique au niveau de la RUL. Il encourage par contre la mutualisation des efforts de promotion économique territoriale au sein de la RUL, afin de renforcer le positionnement concurrentiel et métropolitain de l’agglomération lyonnaise à l’international. La mise en application du principe de subsidiarité (Faure, 1997) par le Grand Lyon dans le cadre de la conduite de la politique économique locale s’avère donc être particulièrement pragmatique et intéressée d’un point de vue politique.

Les services économiques du Grand Lyon tendent ainsi d’une part à occuper une place de plus dominante, voire hégémonique au sein du système d’acteurs lyonnais de la régulation économique territoriale, mais aussi d’autre part à privilégier le développement de démarches associant les entreprises et les intérêts économiques privés de façon plus générale à la conduite de la politique économique locale. Ce positionnement stratégique s’effectue notamment au détriment des municipalités de l’agglomération, qui se trouvent reléguées au simple rang de réceptacle et de courroie de transmission des objectifs de politique économique définis au niveau communautaire, voir même de simple exécutant des actions décidées par l’échelon intercommunal.

Il s’avère également être largement déconnecté des attentes et intérêts de la population locale, tant en matière de développement économique territorial à proprement parler, que de prise en compte plus large de l’insertion de la thématique du développement économique dans l’orientation générale des politiques urbaines : urbanisme, qualité du cadre de vie et de l’environnement, logement, organisation des déplacements, etc. (voir infra, Section 2).

Par contre, un tel choix de positionnement de l’action économique communautaire au service des entreprises bénéficie directement à celles-ci et à la poursuite de leurs intérêts de développement spécifiques. Il se matérialise notamment à travers la nouvelle démarche « Grands comptes », mise en place en 2002 sur la base d’un principe d’action défini à la fin de la mandature de R. Barre. Elle vise les plus grosses firmes implantées dans l’agglomération, avec lesquelles les services économiques du Grand Lyon nouent des relations de plus en plus étroites et directes (voir infra, section 3). Elle est essentiellement justifiée politiquement par l’importante contribution fiscale apportée par ces grandes entreprises à l’organisme communautaire : les 25 plus gros établissements du Grand Lyon représentent en effet plus d’un cinquième des bases de taxe professionnelle de l’agglomération.

Cette démarche contribue non seulement au court-circuitage des structures de représentation des intérêts économiques locaux (CCIL, syndicats patronaux), qui perdent ainsi de leur capacité d’influence au sein du système d’acteurs local de la régulation économique territoriale, mais aussi à une dissociation croissante entre la logique propre au développement économique, mue pour une large part par l’intérêt particulier des entreprises, et la logique plus collective de l’aménagement urbain, liée à la recherche d’une certaine forme d’intérêt général partagée par l’ensemble de la population locale (voir infra, Section 3).

Notes
261.

Agence Régionale du Numérique (ANR), Agence Rhône-Alpes pour le développement des Technologies médicales et des Biotechnologies (ARTEB), Lyon Life Science Network, etc.

262.

Conseils régionaux du Rhône, de l’Ain, de l’Isère et de la Loire, Conseil régional Rhône-Alpes, Grand Lyon, Communauté d’agglomération Saint Etienne Métropole.