Un nouveau principe d’action économique pragmatique et flexible

D’après Gares (1980), la mise en concurrence des territoires et l’accroissement des logiques de compétition entre les villes à partir de la survenue de la crise économique dans les années 1970 ont pour corollaire l’adoption par les pouvoirs publics locaux des méthodes de management de l’action par projet stratégique, issues des techniques de gestion des entreprises développées aux Etats-Unis après la seconde guerre mondiale.

Ce nouveau modèle de développement économique territorialisé est qualifié de stratégique car « ces interventions ne peuvent se faire efficacement et sans danger que si elles sont intégrées dans une stratégie cohérente de développement propre à chaque ville » (Gares, 1980, p.16). Le développement stratégique représente ainsi une arme considérable pour les collectivités locales, dès lors qu’elles choisissent de participer à l’affrontement économique et à la compétition qui sévit entre les territoires urbains. Il s’agit d’une « réflexion cohérente, à partir d’un diagnostic de la situation, visant à déterminer des objectifs et organisant les moyens disponibles pour les atteindre » (Gares, 1980, 16). Elle permet d’établir des programmes d’action et de mise en œuvre de façon globale et pragmatique, c’est-à-dire de faire des choix raisonnés dans l’orientation des politiques publiques, issus d’une réflexion plus ou moins élaborée.

Conceptuellement cependant, la stratégie renvoie d’un côté au langage militaire relatif à la guerre (objectifs, positionnement, etc.) et de l’autre au langage médical (analyse, diagnostic, crise, remèdes, etc.). Il s’agit donc d’une approche assez ambiguë, qui se veut tour à tour thérapeutique ou conquérante face à l’enjeu économique et à la concurrence. En tant que principe méthodologique d’action appliqué à l’économie, la démarche stratégique renvoie à l’idée de pragmatisme, de flexibilité et à un certain rejet des théories abstraites, considérées par les acteurs économiques ou politiques comme trop rigides et peu adaptées aux réalités. Elle offre ainsi un champ des possibles très large, une grande souplesse dans l’organisation de l’action et peu de limites dogmatiques, renvoyant aussi plus indirectement au double principe libéral du « tout est permis » et de « la fin justifie les moyens ».

Elle est d’abord mise en application par les entreprises qui l’érigent en méthode de management à part entière, avant d’être adoptée par les pouvoirs publics pour gérer les problèmes relevant de l’action publique. Cette nouvelle méthode permet en effet de mobiliser les moyens existants pour permettre le développement économique territorial en contexte concurrentiel, c’est-à-dire de conduire une certaine forme de régulation économique territoriale plus stratégique et adaptée aux nouveaux déterminants du fonctionnement économique d’ensemble depuis la crise.

Ce nouveau modèle de développement économique stratégique se veut plus endogène et différent du modèle qui prévaut durant la période forte croissance des Trente Glorieuses. Il repose sur la mise en valeur des ressources et potentiels économiques du territoire local, à travers la définition d’un projet de développement économique et le rassemblement coordonné des volontés d’action, avec l’illusion que les grands déterminants du fonctionnement de l’économie au niveau global peuvent être maîtrisés localement. L’accent est mis sur le développement et le renforcement des interrelations ou des complémentarités au sein du tissu économique local, sur une attention accrue portée aux PME-PMI qui constituent le gros de la force économique du territoire et sur le soutien aux logiques de sous-traitance, sur la promotion des pôles de compétences locaux et l’identification de spécialisation sectorielles, permettant de différencier positivement le territoire local par rapport à ses concurrents, selon une logique nouvelle de positionnement et de compétitivité.

Le développement économique stratégique est également caractérisé par la volonté nouvelle de favoriser et d’encourager l’ancrage territorial des activités économiques, afin de limiter les phénomènes de délocalisations et d’insécurité économique au niveau local. Il consiste notamment à créer un milieu favorable et un environnement attractif pour les entreprises, grâce à une large mobilisation collective et à la mise en valeur des atouts du territoire local. Il s’agit ainsi plutôt de développer les facteurs et attributs économiques existants, et pas seulement de compter sur les éventuels apports extérieurs. En d’autres termes, il s’agit de distinguer la trajectoire économique du territoire considéré par rapport à la masse des possibilités en matière de localisation économique pour les entreprises, en agissant d’abord sur ses caractéristiques internes et spécifiques selon une logique de projet local et partenarial.

Les moyens d’action traditionnellement utilisés pour favoriser le développement économique territorial ne sont pas pour autant délaissés, ils sont au contraire mobilisés pour constituer des vecteurs de l’intervention publique en faveur du développement stratégique. L’aménagement spatial, l’urbanisme opérationnel et la planification urbaine, la réalisation d’infrastructures et d’équipements comme la production ciblée de zones d’activités complètent ainsi de façon plus efficace la politique de développement économique, en étant utilisés comme des outils au service de la promotion du tissu économique local et de la valorisation qualitative des ressources économiques du territoire.

L’endogénéisation des logiques de développement économique territorial induite par l’adoption de la démarche stratégique s’accompagne donc de la recherche d’une mise en cohérence des objectifs et des moyens propres au développement économique avec les objectifs et les moyens relevant du développement urbain. La logique de projet et le principe de l’action collective renforcent également cette tendance à la globalisation de l’intervention publique en matière de régulation économique sur le territoire. La démarche stratégique en tant que principe d’action souple et pragmatique entraîne une quête de transversalité et d’intégration fonctionnelle dans la conduite des politiques publiques, capable de permettre l’adaptation des formes d’action publique à l’enjeu économique de plus en plus dominant et contraignant.