La décentralisation des compétences au niveau local ne constitue pas un blanc-seing en matière d’interventionnisme économique pour les communes. Les principes de limitation des actions municipales aux aides indirectes 266 , énoncés par la circulaire Poniatowski de 1976, sont en effet confirmés, au nom du respect de la liberté de commerce et d’industrie et de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. La défense des finances locales et des intérêts des contribuables locaux, la lutte contre la municipalisation des risques économiques et la volonté d’harmoniser les initiatives locales avec les priorités de la politique nationale d’aménagement du territoire pour éviter une concurrence néfaste entre les différents échelons territoriaux justifient également ce strict encadrement des actions de développement économique au niveau local.
De plus, le pouvoir central réaffirme en 1978 le rôle des pouvoirs publics locaux en matière de régulation économique sur le territoire, rôle nullement remis en question par la décentralisation. Il se limite à l’amélioration de l’environnement des entreprises, à la création et à la reproduction des conditions optimales de fonctionnement des activités économiques sur le territoire : « La vocation des communes n’est pas l’aide directe à l’emploi, mais la politique d’accueil de l’emploi des travailleurs » (BIPE, 1978, p.4) 267 . L’intervention du niveau local en faveur du développement économique consiste ainsi à favoriser l’installation et le maintien des entreprises. La loi du 2 mars 1982 stipule cependant que lorsque la protection des intérêts économiques et sociaux de la population locale l’exige, la commune peut accorder des aides directes ou indirectes à des entreprises en difficultés (Priat, 1983). Le cadre juridique est donc assez flou, mais globalement limitatif.
La majeure partie des actions déployées par les autorités locales en matière de développement économique dans les années 1980 relève donc de l’aménagement de l’espace, de l’urbanisme et de la planification urbaine, dan la continuité des méthodes d’intervention employées pour assurer la régulation économique territoriale durant les années de croissance. Elles consistent en effet essentiellement à aménager et produire des zones industrielles, des zones d’activités ou des bâtiments pour accueillir les activités économiques, ainsi que des infrastructures et des équipements collectifs susceptibles de faciliter le fonctionnement des entreprises sur le territoire.
La pérennisation de la crise conduit cependant les pouvoirs publics locaux à diversifier les modalités d’intervention économique par le biais de l’action physique sur l’espace, mais aussi de façon plus immatérielle en déployant des actions qualitatives ou d’intermédiation plus directement en lien avec les milieux économiques locaux. Il s’agit par là d’assurer une double forme de prévention/curation des difficultés économiques, en complément de la simple production d’un environnement spatial favorable pour les entreprises.
Le traitement des friches industrielles et la remise sur le marché des terrains libérés par les activités économiques dans les zones centrales, qui se développent à partir des années 1980, s’appuient encore largement sur les savoir-faire techniques classiques relevant de l’aménagement urbain. Par contre, la recherche de nouveaux créneaux de développement pour l’industrie locale, l’animation du milieu économique, le renforcement du potentiel local de formation professionnelle ou la tentative de resserrer les liens entre la sphère de l’enseignement supérieur et de la recherche et le monde des entreprises, en d’autres termes la valorisation qualitative du territoire, mobilisent de nouvelles compétences, qui sont le plus souvent totalement étrangères à la culture technique des services municipaux et intercommunaux.
Les actions économiques mises en œuvre au niveau local par les villes face au constat de l’exacerbation de l’enjeu du développement économique et de la compétition territoriale sont ainsi de plus en plus dispersées, mais elles s’arriment quand même encore majoritairement au socle de base de l’aménagement urbain. Elles s’inscrivent en effet dans le prolongement quasi naturel de l’intervention spatiale traditionnelle, à laquelle elles ajoutent une nouvelle dimension qualitative, stratégique et immatérielle. Urbanisme, aménagement et développement économique sont perçus comme étant intimement liés, car « l’aménagement urbain met en place les conditions physiques du développement économique (…). Mais de plus, l’analogie des situations pousse à des comportements semblables dans les deux domaines : la commune fait l’expérience “en creux” d’une place un peu analogue à prendre dans le développement économique, ses moyens d’action dans les deux domaines se recoupant d’ailleurs largement » (Gares, 1980, p.2).
Les compétences de la collectivité locale sont donc amenées à s’élargir de l’urbain vers l’économique et à se globaliser au gré de l’intégration fonctionnelle progressive de l’une et de l’autre, du moins de leur articulation de plus en plus étroite. En outre, le contexte économique difficile renforce les situations de concurrence et de compétition entre les villes et les territoires, conduisant à la soumission de plus en plus poussée des logiques d’aménagement spatial et de planification urbaine à l’enjeu du développement économique, c’est-à-dire à la mise en avant du point de vue économique, au détriment des considérations urbanistiques qui n’occupent plus qu’une position subalterne, dominée par les questions économiques dans la conception de l’action publique locale :
« Si dans les années 1960/1970 les pouvoirs publics se préoccupaient beaucoup de la “maîtrise” des processus d’urbanisation, dans les années 1980/1990, la préoccupation principale des autorités locales, qui ont dorénavant pleinement la compétence en matière d’urbanisme, est avant tout la création d’emplois. Ayant pris conscience qu’un certain nombre de qualités urbaines sont des facteurs clefs de leur attractivité, les villes se livrent à une concurrence aiguë sur ces “facteurs” pour attirer les entreprises » (Ascher, 1992).
Ce déplacement de la focale de la régulation économique territoriale, de l’aménagement de l’espace à la gestion de la concurrence entre les territoires, implique un dépassement des modes classiques d’intervention des autorités publiques locales. La production de surfaces d’activités sous forme de zones industrielles équipées ou de quartiers d’affaires et les mesures d’aides fiscales ou financières doivent être complétées par une nouvelle manière de faire, qui permette d’intégrer les tendances plus récentes d’action économique, fondées sur le qualitatif, le marketing urbain et la mise en valeur des ressources locales. Il s’agit ainsi d’utiliser différemment les moyens d’action existants pour adapter l’action publique aux nouveaux enjeux du développement économique concurrentiel et de l’attractivité territoriale, conditionnés par le contexte de crise.
L’aménagement de l’espace, l’urbanisme et la planification urbaine sont donc mis au service du développement économique territorial, parallèlement à la montée en puissance des politiques publiques locales. En l’absence de compétence économique spécifique, les collectivités locales – municipalités ou structure intercommunale – se trouvent confrontées à la nécessité de s’appuyer sur l’intervention d’organismes extérieurs plus ou moins satellisés pour développer une expertise adéquate sur les questions de développement économique. Elles profitent en revanche de leurs compétences techniques en matière d’urbanisme, de planification et d’aménagement spatial pour développer un savoir-faire technique interne qu’elles puissent mettre au service de l’objectif économique, ou en recourant également à la sous-traitance de certaines tâches d’expertise auprès des bras exécutants externalisés que sont l’ADERLY et la l’AGURCO.
L’analyse succincte de la politique d’action économique de la Ville de Lyon au moment de la Décentralisation révèle ainsi particulièrement la période de transition méthodologique entre les modalités d’intervention dans le champ économique, qui sont focalisées autour des leviers urbanistiques et spatialistes (planification, aménagement urbain, etc.), et celles qui sont plus résolument tournées vers des considérations stratégiques de positionnement économique et de mise en valeur qualitative du territoire local.
Ainsi que la limitation des rabais consentis pour les baux et les ventes de terrains ou de locaux et la limitation des bonifications d’intérêts des prêts.
Allocution du Président de la République V. Giscard d’Estaing lors de la Conférence nationale d’aménagement du territoire à Vichy.