Entre urbanisme économique et stratégie de positionnement international

L’intervention économique de la municipalité lyonnaise au début des années 1980 est caractérisée par une importante contradiction interne de l’orientation politique, tiraillée entre la volonté de renforcer le tissu industriel de la ville et la volonté de favoriser le développement des fonctions tertiaires et métropolitaines. Les dispositions du projet de POS, comme les opérations d’aménagement initiées ou soutenues par les autorités publiques locales, reflètent les hésitations méthodologiques et un certain flottement stratégique de la politique économique lyonnaise, entre nécessité de modernisation du tissu économique et volonté de maintien des activités industrielles par le biais d’actions assez classiques d’aménagement spatial.

Le contexte de crise et de profonde évolution des logiques de développement économique place en effet les décideurs locaux face à la nécessité d’adapter les modes de faire et le contenu même des actions publiques de régulation territoriale. Le modèle dominant durant les années de croissance s’avère de plus en plus obsolète. La situation d’ensemble appelle à un renouvellement en profondeur des logiques et principes de l’intervention publique en faveur de l’économie, dont la décentralisation des compétences de l’Etat vers le niveau local constitue l’une des étapes principales, mais non suffisante.

L’hybridation de l’urbanisme et des enjeux économiques de positionnement stratégique territorial s’opère essentiellement en raison du caractère limité des possibilités d’intervention économique des collectivités locales et du flou juridique relatif qui entoure l’attribution de la compétence de développement économique au niveau local (voir supra). Le manque de recul par rapport à la situation de crise et l’absence d’expérience ou de compétences des techniciens en charge des interventions expliquent également les difficultés éprouvées par les autorités publiques lyonnaises pour définir une politique de développement économique cohérente et clairement ciblée.

Le Parc de l’Artillerie à Gerland est la première opération de ce type, plus qualitative et flexible, censée être mieux adaptée pour accueillir des activités industrielles, mais aussi tertiaires ou de recherche. Elle fait figure d’opération pilote, marquant l’ouverture progressive des logiques d’intervention économique locale au pragmatisme et à la stratégie, par l’utilisation de l’urbanisme et des projets d’aménagement au service de la politique de régulation économique territoriale. Elle constitue l’amorce d’un croisement entre action quantitative et matérielle en faveur de la production de surfaces d’accueil pour les entreprises, et action plus qualitative destinée à modifier l’orientation sectorielle de la base économique locale ainsi que l’image globale de la ville.

Le concept de parc d’activités permet en effet de résoudre en partie le dilemme d’une politique économique tiraillée entre incitation à un certain retour des industries dans la zone centrale de l’agglomération, nécessité de réutiliser les nombreuses friches industrielles et volonté de développer le tissu tertiaire en multipliant l’offre immobilière. L’équipement du quartier en nouvelles surfaces d’activités permet en effet, comme à Vaise où de nombreux emplois industriels ont disparu, de reconstituer une offre en zones d’accueil plus attractive pour les entreprises, permettant à la fois de lutter contre la réduction de la base économique locale et remédier à la multiplication des friches industrielles dans le périmètre central de l’agglomération (Lorrain, Kukawka, 1989).

La problématique des friches industrielles, conséquence directe des effets de la crise économique et de la désindustrialisation sur les tissus urbains, est au cœur des enjeux de l’urbanisme au début des années 1980 (Tomas, 1982). La politique de desserrement industriel, qui prévalait durant la période croissance, a organisé le transfert des entreprises productives du centre de l’agglomération vers les zones aménagées et équipées par les pouvoirs publics dans les communes périphériques, libérant d’importants tènements fonciers à Lyon (voir supra, 2ème partie, Section 2). Les programmes résidentiels ou de bureaux remplacent en partie seulement les anciennes activités industrielles, et la survenue de la crise aggrave les phénomènes de vacance des surfaces libérées, en rétractant la demande des investisseurs. La demande s’essouffle également dans les zones industrielles de banlieue, rendant plus prégnant le problème de la rigidité fonctionnelle et du manque d’adaptabilité des zones d’activités produites par la puissance publique, face aux nouveaux besoins des entreprises.

L’urbanisme réglementaire et la planification sont ainsi mobilisés par les pouvoirs publics locaux pour faire face aux nouveaux enjeux : limiter le transfert des industries vers la périphérie, maintenir des activités dans la ville en permettant l’implantation de tous types d’entreprises, réutiliser les surfaces d’activités libérées par l’industrie pour d’autres fonctions, notamment tertiaires, et favoriser le rétablissement d’une certaine mixité des fonctions dans l’espace urbain de façon plus générale. La révision du POS de Lyon dès son approbation à la fin des années 1970 permet de faciliter cette dynamique d’intervention qualitative. Les POS constituent depuis la LOF de 1967 des outils de planification fonctionnelle des droits à construire sur le territoire, qui permettent d’orienter la localisation des sites d’accueil à vocation économique et d’agir ainsi la régulation de l’économie locale.

Si l’intervention publique « classique » permet d’orienter spatialement la localisation de la croissance grâce à la politique des zones d’activités (production de surfaces pour les entreprises ayant une portée incitative avérée sur leurs comportements), elle ne correspond que très partiellement aux attentes qualitatives et différenciées des entreprises en matière de localisation (centralité, rapport coût/équipement des terrains, mixité des fonctions). Deux scénarios d’intervention des pouvoirs publics locaux se profilent donc face au bouleversement des grands équilibres socioprofessionnels, à la mutation du tissu économique et à l’éclatement des marchés locaux d’activités et d’emplois, conséquences de la crise économique, des innovations technologiques et de la constitution des grands groupes industriels intégrés : le laisser-faire ou l’engagement de réflexions et d’actions sur les nouveaux rapports entre production et formation sur le territoire.

Cette dernière hypothèse débouche sur la nécessité de lier planification spatiale et économique au niveau local et doit conduire à la constitution de nouvelles cohérences économiques par la création de centres technologiques intégrés dans les grandes filières de production prioritaires au niveau régional (Plan), en collaboration avec les grands groupes industriels et leurs réseaux de PME-PMI sous-traitantes. Cependant, ces propositions qui peuvent être interprétées comme une première ébauche d’argument technopolitain pour Lyon (Cauquil, 2000) et d’ouverture de l’action économique locale à une logique de filières stratégiques pour le développement territorial, ne sont pas discutées par le conseil communautaire en 1983, en raison du double contexte électoral au niveau municipal et de décentralisation administrative au niveau national.

La stratégie visant à faire de Lyon une ville internationale et une métropole technopolitaine, qui émerge également vers le milieu des années 1980, s’inscrit en outre dans un champ nouveau d’action publique mal, voire pas du tout maîtrisé par les services municipaux, qui ne sont pas organisés en fonction de l’enjeu économique (voir supra, Section 1). Les promoteurs du premier Plan Technopole de l’agglomération lyonnaise au sein de la CCIL et de l’ADERLY soutiennent le principe d’une relation étroite nécessaire entre les volets spatial et économique de ce programme d’actions en faveur du développement économique local. L’aménagement spatial et l’urbanisme doivent être les moyens de mise en œuvre privilégiés des objectifs économiques, en donnant une matérialité physique et visible dans l’espace de la ville à l’intervention qualitative des pouvoirs publics locaux en faveur du développement territorial.

Les responsables politiques lyonnais utilisent donc le POS pour améliorer les possibilités d’implantation et de transformation des entreprises. Le document de 1984 prévoit en effet un système de zonage plus adaptable et moins restrictif pour l’accueil des activités économiques dans le tissu urbain (AGURCO, 1984a). Le projet réglementaire entend donner de nouvelles chances au développement du tissu économique dans la ville, en élargissant la vocation fonctionnelle des zones d’activités, en renforçant les pôles économiques existants, en facilitant le maintien des activités traditionnelles et en assouplissant les prescriptions d’implantation pour accueillir les entreprises innovantes. Cependant, ce ne sont pas les services techniques municipaux qui instruisent la procédure de révision du POS, mais les techniciens de l’AGURCO pour le compte de la COURLY, les compétences d’urbanisme et de planification urbaine ayant été déléguées au niveau intercommunal depuis la Décentralisation.

Ainsi, la Décentralisation permet certes aux autorités politiques lyonnaises d’opérer un certain rattrapage dans le processus décisionnel et le pilotage de la politique économique locale, en reprenant à leur compte une partie des orientations de principe définies par l’ADERLY (voir infra, Section 3), mais ils n’ont pas les moyens techniques en interne de mettre cette ambition en application, tant en matière de savoir-faire pratique spécifique que d’expertise économique et de moyens d’études. Ils doivent donc se tourner vers l’action urbanistique des services de la COURLY, ainsi que vers l’intervention des organismes extérieurs spécialisés que sont l’ADERLY et l’AGURCO pour réaliser les objectifs de développement économique, et notamment pour les connecter au mieux aux actions d’urbanisme et d’aménagement.