Sous-traitance et partenariat, solutions à la quête de pragmatisme économique

Le contexte de crise et la montée de la concurrence économique entre les villes imposent un changement de conception radical dans l’organisation des moyens d’action en faveur du développement économique dans les années 1980. La recherche d’une plus grande efficacité et le souci d’adopter un pragmatisme proche de celui qui caractérise le comportement des entreprises amènent notamment les autorités publiques locales à se tourner vers la mobilisation d’informations économiques et statistiques pour préparer l’action, c’est-à-dire à ouvrir le champ de l’action publique en faveur du développement économique à des compétences nouvelles relevant du domaine de l’expertise technique de l’économie, qu’elles ne maîtrisent pas en interne.

Les besoins en moyens de réflexion et de coordination augmentent en effet, tout comme les besoins en matière d’études de marchés, d’études de viabilité économique des projets d’intervention ou en matière de diagnostic (sectoriel, territorial, etc.). Ces nouvelles exigences accompagnent l’adoption de la démarche stratégique et son application à la conduite de la politique de développement économique locale. Il s’agit de s’appuyer sur de nouveaux outils d’observation et de connaissance du fonctionnement de l’appareil économique local, tant d’un point de vue conjoncturel que d’un point de vue plus analytique (spécialisations, interdépendances, élaboration de diagnostics, possibilité de mesurer les effets de l’intervention dans un souci d’évaluation, etc.). Il s’agit également de produire des réflexions prospectives, de proposer des pistes d’orientation pour l’action, c’est-à-dire de faciliter la prise de décision en la préparant en amont.

Les autorités lyonnaises municipales et communautaires lyonnaises, bien qu’étroitement imbriquées et complémentaires (voir supra, Section 1), ne possèdent pas ces compétences techniques d’observation, de production d’information économique spécialisée et d’études stratégiques en leur sein. En revanche, l’ADERLY et l’AGURCO jouissent d’un certain savoir-faire en la matière, la première grâce à son expérience dans la conduite de la politique économique locale durant les années 1970 (voir supra, 2ème Partie, Section 3), la seconde grâce au développement de ses capacités d’études et d’expertise à la fin de cette même décennie (recrutement d’économistes et autres spécialistes contractuels), et à son rattachement institutionnel et technique avec les services de l’Etat – Ponts et Chaussées notamment (voir infra).

Les pouvoirs publics locaux ont donc recours à l’expertise économique et au savoir-faire managérial de l’ADERLY d’une part, et à l’expertise urbaine et aux moyens d’études de l’AGURCO d’autre part. Les deux organismes satellites de la COURLY agissent comme des bras exécutants et des sous-traitants de la nouvelle politique économique lyonnaise, dont les objectifs sont par ailleurs de plus en plus directement définis par les instances politiques locales, en lien avec les opérations d’aménagement et d’urbanisme lancées dans l’agglomération (voir supra, Section 1). Cette nouvelle forme d’action publique locale, qualifiée « d’urbanisme partenarial », s’appuie ainsi une certaine restructuration des relations entre pouvoir politique, opérateurs techniques et acteurs locaux (Ascher, 1992).

Fin 1984, l’AGURCO organise le colloque de prospective urbaine « Demain l’agglomération lyonnaise », avec le concours du Ministère de l’Equipement 268 (AGURCO, 1984b). Cet évènement marque l’amorce de la révision du SDAU de 1978 et le point de départ d’une nouvelle approche globale et stratégique du développement économique par le biais de la planification territoriale à Lyon (TETRA, 1988). Il permet également de réorienter le rôle de l’Agence vers la production d’études prospectives sur le devenir de l’agglomération et d’amplifier son influence dans le système d’acteurs lyonnais comme lieu d’expertise économique et de réflexion territoriale élargie, dans un contexte d’ensemble marqué par la pérennisation de la crise économique (modes de production, structures de l’emploi, comportements sociétaux) et par un certain repli de la pensée urbaine sur l’échelle micro-locale des quartiers.

Les techniciens de l’AGURCO saisissent en effet l’opportunité de conduire et d’animer le débat autour de l’enjeu de l’internationalisation et de la mise en concurrence des villes, « répondant à une attente immuable des élus lyonnais qui sont avant tout des « libéraux-planificateurs » » (TETRA, 1988, p.4). L’AGURCO développe une approche générale, ancrée dans des considérations d’équilibre spatial et de mobilisation des solidarités communales au service du développement économique et urbain territorial. Elle se place ainsi au centre des nouvelles réflexions menées à l’échelle de l’agglomération en matière de développement économique local, à la pointe de la prise en considération des nouveaux enjeux de positionnement stratégique et concurrentiel du territoire (TETRA, 1988).

La réflexion collective part du constat d’un ralentissement de la croissance économique et démographique dans l’agglomération, marqué par une perte d’emplois massive dans l’industrie (fermeture de grands établissements des groupes Rhône-Poulenc, RVI et PCUK notamment), non compensée par le développement de l’emploi tertiaire. Elle porte essentiellement sur la recherche de solutions pour permettre à l’agglomération de s’adapter à ce nouveau contexte économique dominé par le secteur des services et les logiques d’innovation technologique. Plusieurs champs de prospective sont explorés (habitat, fonctions métropolitaines et activités économiques, planification et gestion urbaines, déplacements), mais un seul fil conducteur relie toutes les contributions produites : le développement économique à venir de la métropole lyonnaise (AGURCO, 1984).

Le volet économique de la démarche est fortement soutenu par l’ADERLY, qui prône le dépassement des problèmes urbains et des potentialités de l’agglomération pour souligner la nécessité d’un positionnement international et européen de la métropole (voir infra, Section 3). L’ADERLY fournit en effet plusieurs contributions au débat.

D’abord, elle dresse un état des lieux des points forts de l’économie lyonnaise en matière de spécialisation sectorielle dans les domaines d’activités de haute technologie (ingénierie nucléaire, chimie fine, pharmacie et phytosanitaire, biotechnologies, matériaux composites, électronique et informatique) et de nouveaux équipements lyonnais à vocation économique (pôle d’activités internationales du Quai A. Lignon 269 , gare TGV de la Part Dieu, parc des expositions Eurexpo, biopôle de Gerland en cours de réalisation autour du site de l’ENS 270 ). Celui-ci constitue à la fois une sorte de premier diagnostic économique du territoire local et une forme de bilan de l’action de promotion économique et territoriale déployée à Lyon par l’ADERLY depuis 1974 (ADERLY, 1984b).

Les chambres consulaires rendent compte quant à elles de leurs actions en faveur du commerce, des entreprises industrielles et de l’artisanat dans l’agglomération, mais ne participent pas directement à la réflexion stratégique concernant les orientations à donner au développement économique local 271 . Seule l’ADERLY propose des pistes concrètes pour orienter la définition d’une stratégie d’action, qualifiées de « moyens d’une ambition » (AGURCO, 1984a). Il s’agit en fait de la présentation des deux axes de politique économique dans lesquels s’engage alors l’association : faire de Lyon une ville internationale, doublée d’une métropole technopolitaine (ADERLY, 1984b).

Ces propositions s’inscrivent dans la continuité naturelle du diagnostic économique de l’agglomération également réalisé par l’ADERLY. Elles sont en effet le fruit du travail réalisé par l’association de développement lyonnaise au cours des dix dernières années, au service des responsables politiques et des acteurs économiques locaux, et dans le cadre du partenariat noué entre la COURLY, la CCIL et le GIL au début des années 1970 (voir supra, 2ème Partie, Section 3). Forte de son expérience et de son expertise, elle occupe ainsi la place centrale dans le système d’acteurs local du développement économique aux côtés de la CCIL qui héberge et finance son personnel (voir infra, Section 3), en l’absence de compétence spécifique et de véritable savoir-faire technique de la part de la collectivité publique (municipalités comme intercommunalité).

L’impact des conclusions du colloque prospectif est très important sur l’évolution de la conduite de la politique urbaine dans l’agglomération lyonnaise, et particulièrement sur sa mise au service de l’enjeu économique plus global et de la compétitivité territoriale. Certaines réflexions portant sur la planification invitent en effet également à conférer un nouveau rôle au territoire dans l’organisation du développement économique (Rey, 1984b), ou à développer un nouvel urbanisme plus stratégique et global, capable d’adapter la planification aux nouveaux enjeux de la compétition économique et de la concurrence (OPAC du Rhône, 1984b).

Il conduit donc les responsables politiques locaux à reconnaître la nécessité de dépasser l’ancienne planification territoriale et économique, fondée sur l’exercice de la prévision et la répartition fonctionnaliste des activités dans l’espace mais tenue en échec par les évolutions de la conjoncture, et à se lancer dans une nouvelle démarche de planification résolument stratégique et basée sur la définition d’un véritable projet de développement économique du territoire.

Notes
268.

Plan Urbain.

269.

La future Cité Internationale.

270.

Ouverture de l’ENS Sciences en 1987.

271.

Les autres contributions du volet « Développement économique et fonctions métropolitaines » traitent de l’artisanat dans la ville, de l’agriculture périurbaine, de la ville nouvelle de l’Isle d’Abeau, du développement économique dans les quartiers d’habitat social du Sud de l’agglomération, du marché des locaux d’activités, de la télématique et de la planification des implantations commerciales.