Une vision stratégique de la planification urbaine portée par les acteurs économiques

La CCIL, très proche de l’ADERLY qu’elle finance avec la COURLY, place son expertise économique et stratégique au service de l’élaboration du projet de développement territorial du nouveau schéma directeur de l’agglomération lyonnaise (voir infra, Section 3). Elle apporte en effet sa maîtrise de la démarche managériale au processus de définition de la stratégie de positionnement économique piloté par l’AGURCO (Leblanc 1993). Après avoir réalisé le diagnostic de l’économie lyonnaise, qui peut s’apparenter à une véritable étude de marché synthétisant les attentes des investisseurs économiques internationaux 275 ou technopolitains 276 vis-à-vis du « produit Lyon » (CCIL, 1987) et les caractéristiques des grandes villes potentiellement concurrentes, l’organisme consulaire énonce en effet un projet de positionnement pour l’agglomération : faire de Lyon une métropole internationale et technopolitaine, offrant un cadre de vie attractif.

Sa mise en application à travers le futur schéma directeur repose sur une série de propositions d’orientation énoncées sous la forme d’axes stratégiques, pouvant être divisée en deux catégories de priorités : celles destinées à améliorer l’environnement spatial des activités économiques, qui concernent essentiellement l’adaptation quantitative et qualitative des infrastructures d’accueil et des équipements d’accompagnement à vocation économique ; celles destinées à renforcer l’attractivité différentielle de l’agglomération en la positionnant sur le marché des métropoles internationales et technopolitaines. Ce projet de développement économique de l’agglomération est repris quasiment tel quel dans les rapports de présentation successifs du nouveau schéma directeur, y compris en ce concerne le vocabulaire employé et l’esprit pragmatico-managérial qui s’en dégage (SEPAL, 1988 ; SEPAL, 1992).

Toutefois, ces derniers sont adaptés à la cible « grand public » ainsi qu’à l’essence spatialiste et aménagiste du document de planification urbaine, qui ne peut être uniquement centré sur l’énonciation d’un projet de développement économique stratégique et qualitatif. La stratégie internationale pour Lyon se matérialise donc par la volonté de hisser la ville au rang de métropole européenne en renforçant son positionnement au sein de l’armature urbaine et son potentiel de fonctions métropolitaines, tandis que l’objectif technopolitain est traduit à travers le renforcement des pôles d’excellence en haute technologie de l’agglomération et le développement du potentiel universitaire et de recherche lyonnais par le biais des politiques urbaines.

Il est particulièrement significatif que les priorités identifiées par la CCIL s’expriment dans le nouveau schéma directeur essentiellement en matière d’infrastructures, d’équipements collectifs et d’amélioration de l’environnement des entreprises, eu égard non seulement à la nature de l’organisme consulaire qui représente l’intérêt des entreprises sur le territoire local, mais aussi à la vocation d’outil d’orientation des politiques urbaines et territoriales du document de planification. Les propositions de l’organisme consulaire consistent en effet essentiellement à placer l’urbanisme et l’aménagement au service du l’intérêt économique, selon une logique stratégique et pragmatique de mise en valeur de l’environnement offert aux entreprises par le territoire local, à des fins d’attractivité économique différentielle et de développement concurrentiel. Il s’agit aussi sans doute d’adapter les prescriptions proposées aux compétences d’action effectives de la puissance publique locale (urbanisme, aménagement, équipements collectifs, etc.).

Le contournement autoroutier de l’agglomération par l’Est est ainsi qualifié de priorité absolue, trois équipements collectifs sont identifiés comme étant indispensables au rayonnement de la métropole 277 , et quatre infrastructures de transports sont jugées nécessaires 278 . La vocation internationale de Lyon doit passer par la réalisation de deux opérations d’aménagement à vocation économique : la Cité Internationale (Quai A. Lignon) et le Sud de la Presqu’île (Confluent). L’enjeu technopolitain est matérialisé par les objectifs fonciers et urbanistiques relatifs à l’aménagement des trois technopôles de l’agglomération (la Doua, Gerland, communes de l’Ouest) : constitution de réserves de terrains suffisantes, réalisation de parcs d’activités haut de gamme présentant une grande qualité paysagère et urbaine, et accueillant des entreprises high-tech à proximité des centres de recherche et d’enseignement supérieur.

Enfin, des préoccupations plus générales concernant l’amélioration de l’image de Lyon et de son attractivité économique, grâce au renforcement des fonctions d’accueil hôtelier et au développement d’un aménagement urbain hautement qualitatif, complètent les prescriptions. Il s’agit notamment de produire des aménagements plus qualitatifs dans le centre-ville, de soigner les formes architecturales et l’aspect des façades, et d’embellir les espaces publics, y compris en bordure des fleuves et des principaux axes de transports. Le verdissement de la ville est même présenté comme un élément du paysage urbain « en passe de devenir “un facteur de production” à part entière » (Leblanc, 1993, p.55).

Toutes ces priorités s’inscrivent dans la continuité directe des efforts de promotion et de développement économique de l’agglomération lyonnaise réalisés par l’ADERLY depuis plus d’une décennie, dans le cadre de l’internationalisation de Lyon comme du développement de l’argument technopolitain (voir infra, Section 3). Il ne s’agit pas uniquement de satisfaire les attentes immédiates des entreprises locales, mais également de valoriser le territoire de l’agglomération d’un point de vue économique en complétant l’offre de grands équipements structurants ou métropolitains, et de faciliter la réalisation des principaux projets d’aménagement ou d’urbanisme à vocation économique en améliorant leur accessibilité et leur attractivités potentielles.

Le poids relativement important des organismes patronaux dans la phase amont de préparation des orientations du futur schéma directeur, qui se veut clairement placé sous le signe du développement économique, s’explique essentiellement par l’absence de structure institutionnelle ou politique à l’échelle du territoire de fonctionnement économique de l’agglomération lyonnaise, si tant est bien sûr que celui-ci corresponde au périmètre arrêté pour l’exercice de planification (voir supra). « Ni la commune de Lyon, ni la COURLY, ni le département du Rhône ne peuvent parler en son nom » (Prud’homme, Davezies, 1989, p.6) : les structures représentatives des intérêts des entreprises occupent donc l’espace de pouvoir laissé vacant par les collectivités locales.

L’ouverture de l’organisation institutionnelle du processus d’élaboration du nouveau document de planification à la sphère économique, et plus particulièrement aux experts de la CCIL et de l’ADERLY (respectivement associée et invitée par le SEPAL), favorise ainsi très directement le glissement des réflexions depuis des considérations uniquement spatiales vers des préoccupations d’ordre économique et stratégique. Les acteurs économiques placent les enjeux de développement futur de la métropole autour de la vocation internationale de Lyon, du développement des technopôles et de l’amélioration du cadre de vie local, selon une perspective de création d’un avantage territorial comparatif. Ils sont matérialisés par une liste de nouvelles infrastructures et équipements à réaliser pour créer un environnement plus favorable au développement économique (Lavigne, Dost, 1988).

Notes
275.

Organismes internationaux, sièges sociaux et centres de décision, services supérieurs aux entreprises, etc.

276.

Grandes écoles, universités, laboratoires de recherche, firmes appartenant à des secteurs d’activités à forte valeur ajoutée (biotechnologies, informatique, électronique, robotique, nouveaux matériaux, etc.).

277.

Un centre de congrès international (complexe hôtelier, commerces et services du même niveau), une gare ferroviaire TGV couplée à l’aéroport international de Satolas, un lycée international.

278.

Le développement du réseau de métro en direction des quartiers de Lyon faisant l’objet d’opérations d’aménagement à vocation économique (Gerland et l’ENS, La Doua et Vaise, qui ouvre vers les communes de l’Ouest, concernés par le Plan Technopole, et le Quai A. Lignon, future Cité Internationale), la réalisation de nouveaux parcs de stationnement en terminus des lignes de métro (pôles multimodaux), le raccordement de Satolas et d’Eurexpo au centre-ville par les transports en commun, le contournement routier de Vaise.