L’AGURCO, vecteur de l’acculturation stratégique de la puissance publique locale

Si la démarche pragmatique et stratégique du développement territorial est essentiellement portée par les acteurs économiques durant la seconde moitié des années 1980, en raison notamment de leur grande expérience et de leurs compétences reconnues en matière de développement économique, la diffusion de cette culture managériale au cœur du dispositif d’action publique locale, c’est-à-dire au sein de la classe politique lyonnaise et de la sphère des techniciens de l’urbain travaillant pour la COURLY, est assurée par l’AGURCO. L’AGURCO agit ainsi, non seulement comme un bras exécutant de l’organisme communautaire dans le domaine de l’expertise, mais également comme un vecteur du virage culturel, stratégique et économique de la politique urbaine dans l’agglomération lyonnaise.

Il s’agit d’une association rassemblant l’Etat, le département du Rhône et la COURLY, créée en 1978 pour faciliter la gestion de l’aménagement spatial et de la planification urbaine au niveau intercommunal, notamment dans une perspective de compétitivité territoriale nouvelle. Elle ne fait pas partie de l’organigramme communautaire, contrairement à l’ATURCO (voir supra, 2ème Partie, Section 2), mais contribue directement au renforcement de l’action qualitative, globale et stratégique de la COURLY sur le territoire de l’agglomération au cours des années 1980, en intégrant les problématiques économiques, résidentielles, de transport et de cadre de vie dans ses travaux d’études.

La nouvelle approche « utilitariste » et stratégique de l’urbanisme et de l’aménagement au service du développement économique dans l’agglomération lyonnaise est en effet portée, entre autres, par le personnel de l’AGURCO, et plus précisément par son directeur. C’est un ingénieur des Ponts et Chaussées, très proche des techniciens de l’ADERLY et de certains responsables de services de la COURLY, particulièrement ouvert aux nouvelles approches stratégiques et managériales du développement urbain en contexte de concurrence économique entre les villes (Frébault, 1987).

Le statut partenarial public de l’AGURCO offre plusieurs avantages à la COURLY. Il lui permet en effet de développer ses capacités d’expertise technique en matière d’aménagement spatial, de planification urbaine et de développement économique, en externe mais de façon étroitement liée aux services communautaires. Il lui permet aussi d’avoir une certaine autonomie en la matière par rapport aux autorités municipales de l’agglomération. En outre, le regroupement de l’Etat et des collectivités locales en son sein permet à la fois une démonopolisation du pouvoir d’expertise auparavant détenu par les techniciens de l’Etat (voir supra, 2ème Partie, Section 2) et le maintien des possibilités de contrôle et d’influence de la technocratie étatique sur la mise en place des politiques urbaines au niveau local. Toutefois, la participation financière de l’Etat est passablement réduite après la décentralisation, augmentant d’autant la dépendance de l’AGURCO vis-à-vis de la ville centre (Lavigne, Dost, 1988).

La nouvelle cellule de réflexion et de conception urbaines lyonnaise s’occupe donc de faire émerger une véritable culture de l’aménagement au service du développement économique et de l’urbanisme stratégique à vocation métropolitaine au sein du système d’acteurs lyonnais (Ben Mabrouk, Jouve, 1999). Elle favorise également une meilleure prise en compte de l’échelle de l’agglomération par les politiques urbaines communautaires, en conduisant notamment la révision des POS de 1976, en premier lieu dans la zone centre (Lyon et Villeurbanne). L’AGURCO établit aussi une amorce de politique de développement économique territoriale globale, plus soucieuse des besoins évolutifs des entreprises et des aspects qualitatifs de l’environnement économique, à travers ses premiers travaux sur les mutations des bassins d’emplois et des branches d’activités locales au tournant des années 1980.

Déjà, l’état des lieux du tissu économique de l’agglomération mené à la fin des années 1970 occasionne une réflexion importante sur les effets et limites de la planification urbaine et économique à l’échelle de l’agglomération (AGURCO, 1982). Il conduit notamment les responsables techniques, politiques et économiques lyonnais à prendre acte du caractère erroné et obsolète du SDAU approuvé en 1978, et sert de base de diagnostic pour concevoir une nouvelle orientation plus stratégique et pragmatique pour les nouveaux documents de planification de l’agglomération à venir (POS, SDAU). L’AGURCO affirme ainsi sa vocation d’outil de synthèse indispensable pour la préparation de l’action et donc complémentaire de la COURLY en matière de politique urbaine à l’échelle de l’agglomération.

Fin 1983, l’AGURCO réalise un document de synthèse sur les principaux enjeux économiques de l’agglomération, qui alimente les réflexions du colloque prospectif « Demain l’agglomération lyonnaise » et les propositions formulées pour le Plan d’action Technopole piloté par l’ADERLY à partir de 1984 (voir infra, Section 3). Dès avant 1985, date de la mise en révision du SDAU de 1978, l’AGURCO présente ainsi une bonne capacité d’expertise et d’études sur l’économie lyonnaise, portant notamment sur la structure des emplois et son évolution, le marché des bureaux et l’emploi tertiaire, les zones d’activités, les branches industrielles, le domaine de la recherche et des activités de pointe, l’urbanisme commercial, et de nombreuses contributions économiques à des études de quartier en amont des projets d’aménagement.

A partir du milieu des années 1980, elle permet le basculement de la politique urbaine lyonnaise dans une approche résolument stratégique et vouée à l’enjeu central du développement économique, grâce à l’organisation du colloque prospectif « Demain l’agglomération lyonnaise » (voir supra), qui débouche sur l’élaboration du nouveau schéma directeur de l’agglomération lyonnaise, « Lyon 2010 ». Par le biais de sa cellule « activités économiques et services urbains » créée en 1985 279 et placée sous la responsabilité d’un économiste, ou par le biais de sa collaboration avec des cabinets de consultants privés extérieurs, elle développe une expertise économique non négligeable dans le cadre de la conduite des travaux préparatoires à la révision du SDAU.

Elle s’inscrit ainsi au cours des années 1980 comme l’une des structures locales potentiellement porteuse de l’intérêt des entreprises, du moins de l’expertise spécifique nécessaire à la préparation de l’action en faveur de leur développement sur le territoire de l’agglomération lyonnaise. L’AGURCO noue des contacts étroits avec les organismes de représentations des intérêts économiques locaux pour la préparation du colloque de prospective urbaine. Elle participe ensuite directement à l’orientation économique du nouveau document de planification à l’étude, en reprenant quasiment à l’identique le diagnostic et les prescriptions fournis par la CCIL et l’ADERLY (voir supra), à travers les réflexions du groupe de travail « Activités économiques et Espaces ». Celui-ci se réunit cinq fois pour auditionner les différents groupes d’acteurs concernés dans l’agglomération 280 (voir infra).

L’AGURCO assure donc le transfert de la culture managériale, pragmatique et stratégique de l’action en faveur du développement économique, largement développée au sein des organismes représentatifs des entreprises que sont la CCIL et l’ADERLY, auprès des techniciens et des élus de la collectivité publique locale (COURLY, municipalités). « Dans son discours, l’Agence s’octroie un rôle de formateur vis-à-vis des élus locaux : engendrer une nouvelle prise de conscience des élus face aux potentialités de l’agglomération dans la mise en place d’un projet global » (Lavigne, Dost, 1988). L’élaboration du nouveau POS de Lyon, l’organisation du colloque de prospective sur le devenir de l’agglomération et la conduite de la révision du SDAU confèrent à l’AGURCO un rôle déterminant dans le nouveau positionnement proactif des pouvoirs publics en faveur du développement économique au cours des années 1980. Elle anticipe et accompagne le virage méthodologique et politique de la structure intercommunale, telle un éclaireur, en diffusant et en explicitant les nouveaux enjeux économiques et territoriaux de l’adaptation de l’agglomération au nouveau contexte hyperconcurrentiel.

Le contenu stratégique du nouveau schéma directeur de l’agglomération, notamment en ce qui concerne le volet économique et la soumission de l’ensemble de la politique urbaine à l’enjeu du développement économique concurrentiel, est en effet directement issu des réflexions des deux structures patronales locales, mais il est traduit en objectifs urbanistiques et aménagistes par les soins de l’équipe technique de l’AGURCO, qui favorise ainsi leur appropriation par les responsables politiques de la puissance publique locale. Les travaux d’élaboration du document de planification, menés par trois commissions composées d’élus, de membres associés ou invités et de techniciens 281 , s’appuient en effet sur le diagnostic territorial et les orientations proposées par l’AGURCO pour l’organisation du programme d’études (AGURCO, 1986a et b).

Cette concertation approfondie des acteurs de l’économie permet non seulement à l’AGURCO d’ouvrir son champ de compétence à de nouveaux domaines économiques 282 , mais également d’améliorer le diagnostic économique du territoire local et de mieux le positionner sur le marché des grandes villes européennes. La participation des cabinets de consultants à la réalisation des scénarii prospectifs renforce en outre l’influence de la pensée stratégique et pragmatique issue de la sphère des entreprises sur l’orientation du schéma directeur (TETRA, 1988), qui apparaît ainsi fortement marqué par l’enjeu économique et l’approche managériale (Padioleau, Demesteere, 1992).

Notes
279.

Elle est composée de 3 personnes.

280.

Conseils aux entreprises, aménageurs publics et privés, chercheurs en sciences économiques de l’université, services économiques municipaux existants, élus.

281.

« Espaces », « Réseaux et infrastructures », « Fonctions métropolitaines », placées sous l’autorité du Comité du SEPAL (19 élus et des représentants des organismes membres associés ou invités).

282.

Transports de marchandises, culture, activités financières et boursières, télécommunications, etc.