L’essence stratégique du projet de schéma directeur « Lyon 2010 »

Le nouveau schéma directeur de l’agglomération lyonnaise est issu d’une relecture critique du précédent document de planification urbaine. Adopté en 1978, celui-ci a été élaboré en référence à des principes de prévision et à des critères d’organisation de l’espace définis selon une logique de croissance économique (voir supra, 2ème Partie). Suite aux profondes modifications du contexte économique d’ensemble, des décalages urbains et économiques entre les orientations du SDAU et la réalité des évolutions territoriales sont mis en évidence, remettant en cause la forme et le fond du premier schéma, notamment concernant le traitement des problématiques économiques.

Le nombre d’emplois a en effet moins augmenté que prévu depuis 1975, tandis que l’explosion du secteur tertiaire n’a comblé qu’en partie seulement la nette décroissance de l’industrie. Si les activités économiques se sont globalement redéployées dans les zones périphériques de l’agglomération, notamment dans le secteur Ouest totalement sous-estimé par le SDAU de 1978, le changement de contexte remet cependant en question le principe des grandes zones industrielles impliquant la constitution d’importantes réserves foncières. Il donne en revanche une nouvelle valeur aux localisations centrales insérées dans le tissu urbain et à la reconquête des friches industrielles, ainsi qu’aux nouveaux produits fonciers et immobiliers de type « parc d’activités », pouvant mixer industrie, services et recherche (AGURCO, 1986a). Le débat autour de la révision est ainsi centré sur des considérations plus qualitatives que quantitatives, sur une problématique de gestion économique et urbaine globale, et sur des thèmes beaucoup plus stratégiques que précédemment (Lavigne, Dost, 1988).

Cependant, le véritable déclencheur de la mise en révision du SDAU est plus politique et pragmatique que méthodologique ou même conceptuel : le document de 1978 empêche en effet les élus communautaires et municipaux de conférer une orientation tertiaire à la ZAC « Sans souci » 283 , projetée à Limonest dans le cadre de l’aménagement du technopôle Nord-ouest de l’agglomération. Le nouveau document s’attache donc aussi à remplacer le caractère rigide et fortement contraignant de la planification fonctionnaliste des sols par un nouveau type de planification, présenté comme relativement dépolitisé et uniquement régi par des considérations d’ordres stratégique et pragmatique, permettant une certaine flexibilité dans l’aménagement et le développement futur du territoire local.

Il s’agit concrètement de retranscrire dans l’espace et à travers les prescriptions de la planification urbaine, les grands enjeux de développement et de promotion économiques de la métropole lyonnaise. Le nouveau document de planification se concentre ainsi essentiellement sur l’image urbaine globale de l’agglomération selon une logique de marketing urbain, sur le développement économique au sens large – i.e. la création d’avantages comparatifs territorialisés et de facteurs locaux d’attractivité économique –, et sur les équipements structurants qui sont censés l’accompagner et le favoriser (Ascher, 1992).

La contribution de l’aménagement spatial et de l’urbanisme au développement économique de la ville est d’autant plus légitime que le contexte d’ensemble a profondément changé par rapport à la période de croissance des Trente Glorieuses. La concurrence entre les villes et entre les territoires, qui caractérise le nouveau fonctionnement du système économique d’un point de vue spatial, justifie en effet une nouvelle utilisation de ces champs d’action publique à des fins de régulation économique au niveau local. La nouvelle logique de développement des territoires urbains ne repose plus simplement sur une dynamique de croissance spatiale, mais plutôt sur une dynamique de transformation qualitative de l’espace et de ses contenus (Frébault, 1987).

Cette nouvelle vision de la planification urbaine au service du développement économique est notamment portée par le groupe de travail « Activités économiques et Espaces », chargé d’alimenter les réflexions des commissions thématiques en charge de l’élaboration du nouveau document (voir supra). Ses membres se focalisent en effet sur la recherche d’une articulation entre la dimension économique et la dimension spatiale – éléments majeurs de la planification –, largement laissée de côté par le schéma de 1978. Ils s’inscrivent ainsi dans la mouvance de l’« urbanisme concurrentiel » (Lavigne, Dost, 1988), faisant de l’attraction de nouvelles activités économiques et de la promotion d’une image urbaine valorisante, bâtie autour du cadre de vie et de la performance économique, l’enjeu central pour les villes.

Leur conception très managériale de la gestion urbaine rejoint celle du directeur de l’AGURCO, qui compare l’exercice de la planification et la conduite des politiques urbaines au management des firmes. « L’urbanisme doit aussi concourir à la création de richesses économiques. L’organisation de l’espace, de même que les règles du jeu mise en place peuvent largement valoriser les atouts de l’agglomération qui sont facteurs de développement économique. (…) Les villes sont à certains égard des entreprises qui doivent être gérées et managées comme telles, avoir une stratégie de conquête des marchés, faire du marketing et de la publicité, et se donner les moyens de leurs ambitions, y compris à travers leur urbanisme » (Frébault, 1987, pp.19-20). Le recours à l’expertise des cabinets de consultants spécialisés dans les approches stratégiques et managériales de l’économie apparaît donc comme une évidence aux responsables publics de la démarche d’élaboration.

Le Cabinet Arnaud produit une première réflexion générale et méthodologique concernant les critères de localisation des activités (AGURCO, 1987). Le Cabinet TETRA, un autre bureau d’études parisien, propose une présentation prospective du développement économique et spatial de l’agglomération, fondée sur deux scénarii opposés de développement local. Le positionnement compétitif de l’agglomération est ainsi laissé au libre choix des responsables politiques locaux, mais orienté selon cinq grands défis à relever (TETRA, 1987). Trois d’entre eux sont directement liés à l’économie : le développement économique, qui doit nécessairement passer par le tertiaire et la mondialisation ; la concurrence entre les villes européennes au sein du Marché unique ; la technologie dans l’entreprise et la communication.

Le projet de positionnement inscrit ainsi de facto l’agglomération lyonnaise dans le jeu de la concurrence interurbaine. Il s’agit de gagner la compétition face aux autres ville (la première échéance de temps évoquée, révélatrice, est celle de l’ouverture du marché unique en 1993), mais l’hypothèse d’une exacerbation de la concurrence territoriale est affirmée sans véritable explication ni démonstration, telle une sorte de fatalité quasiment naturelle et inéluctable, ou peut être plus trivialement une simple mythologie mobilisatrice (Lavigne, Dost, 1988). Lyon vise donc le statut d’Eurocité, c’est-à-dire une place dans le système urbain européen, et pas tant d’aménager et de gérer l’espace urbain local comme le prévoit les exercices de planification urbaine classiques.

Face à ces urgences, la stratégie proposée par TETRA et le groupe d’experts (TETRA, 1987), largement inspirée de la vision des cabinets d’études et des acteurs économiques privés (voir infra, Section 3), repose sur deux volets complémentaires qui renvoient à la fois à la dimension économique et à la dimension symbolique de l’image urbaine : l’internationalisation et la modernisation de l’agglomération. La première passe par la réalisation d’équipements et d’infrastructures culturels, métropolitains, technologiques ou de transports, permettant d’atteindre le statut de métropole européenne, ou Eurocité. La seconde participe d’une stratégie plus complexe, interne et sociologique de transformation de la ville, qui repose sur la mutation globale de la société et la recherche d’une meilleure qualité de vie (Lavigne, Dost, 1988).

Le projet de développement qui fonde les grands principes du schéma directeur repose ainsi sur un important volet de marketing urbain, qui consiste à distinguer l’agglomération lyonnaise sur le marché des villes (SEPAL, 1988 ; SEPAL, 1992). Il vise en priorité la séduction des entreprises et des investisseurs extérieurs, c’est-à-dire essentiellement des acteurs économiques. L’agglomération est pensée comme un produit économique, confronté à la concurrence internationale (Padioleau, Demesteere, 1992). Selon cette conception éminemment stratégique et volatile, les prescriptions spatiales et réglementaires ne sont que des déclinaisons graphiques, des simples retranscriptions d’une véritable proposition de politique urbaine globale à vocation économique pour Lyon (Lavigne, Dost, 1988).

Notes
283.

Bien mal nommée en ces circonstances, cette ZAC s’inscrit en effet sur une portion du territoire réservée aux activités industrielles dans le SDAU de 1978.