La dimension économique du projet urbain

La démarche de projet urbain est le pendant opérationnel de la démarche de planification stratégique, qui produit des projets de territoire et des projets de ville à l’échelle des agglomérations urbaines (voir supra). Elle émerge donc de façon massive dans les pratiques et les modes de faire de la puissance publique au cours des années 1980, parallèlement à la montée en puissance de l’enjeu économique au cœur des politiques urbaines.

Ce concept d’action publique, adapté à la fois de l’architecture et de la gestion managériale, est apparu à la fin des années 1960 à Bologne. Il correspond à une logique post-moderne de production de la ville, définie en opposition au productivisme fonctionnaliste moderne qui caractérise les Trente Glorieuses et en réaction aux logiques d’aménagement et d’équipement intensif de la croissance économique, conduites de façon technocratique et autoritaire par un pouvoir politique éloigné des réalités concrètes du territoire. Plus que le fruit d’un modèle pseudo-scientifique, il est ainsi le produit d’un choix politique de positionnement libéral de l’action publique (Tomas, 1998).

Le projet urbain est également une nouvelle méthode d’intervention sur la ville, plus flexible et participative, respectueuse de l’identité des territoires, de leur histoire et de l’esprit des lieux – ce que certains nomment le génie du lieu (Rey, 1998). Elle s’avère être plutôt adaptée au traitement de la ville en crise, et plus précisément au traitement des morceaux de la ville touchés par les dysfonctionnements ou l’obsolescence. « L’histoire récente du projet urbain est indissociable de celle de la friche industrielle » (Tomas, 1998, p.25), comme de celle des friches urbaines de façon plus générale.

Le projet urbain apparaît ainsi comme une méthode permettant de gérer l’existant, de procéder au renouvellement des fonctions et des usages des territoires urbains laissés à l’abandon, notamment ceux ayant une vocation économique plus ou moins ancienne (zones industrielles de première génération essentiellement, situées dans les quartiers péricentraux et/ou à proximité des gares et des ports), afin de contribuer à leur réinsertion dans un processus marchand et dans le fonctionnement général de la ville.

En effet, le contexte de crise économique instaure non seulement un rapport de concurrence nouveau entre les territoires, mais également une nouvelle logique de valorisation compétitive et différentielle de l’espace dans la manière de concevoir l’action publique en faveur du développement local. Celle-ci répond au processus de valorisation / dévalorisation des espaces qui est à l’origine de l’inégalité et de la compétition entre les territoires, mais elle contribue aussi assez fortement à son accentuation. Evolutions du contexte et des modalités de l’action publique concourent ainsi à donner aux territoires locaux une dimension nouvelle de ressource économique à valoriser, notamment à travers le déploiement de démarches de projets urbains de développement, de régénération (Chaline, 1999) ou de restructuration.

Le recours au management stratégique dans la conduite de l’action publique en faveur du développement économique introduit en outre l’usage du marketing et son application à l’aménagement du territoire local (Masson, 1998). Cette technique confère un rôle accru à l’image urbaine (Rey, 1998), pour satisfaire aux stratégies d’attraction des investisseurs et de remise sur le marché des localisations des morceaux de ville délaissés par les acteurs économiques. Le projet urbain, malgré ses racines puisant dans une philosophie politique tout autant opposée à l’urbanisme fonctionnaliste qu’à « l’a-urbanisme libéral » (Rey, 1998, p.46), se trouve ainsi progressivement placé au service de la mise en œuvre des politiques urbaines transversales à portée globale, issues de l’imprégnation stratégique et de l’acculturation aux enjeux économiques des pouvoirs publics locaux.

Le vocable de « projet urbain » est en effet conféré à la quasi-totalité des opérations d’aménagement et d’urbanisme ayant une vocation économique plus ou moins importante, lancées dans l’agglomération lyonnaise à partir de la seconde moitié des années 1980. Elles correspondent pour la plupart d’entre elles aux différents sites stratégiques pour le développement économique local, localisés à proximité immédiate du centre ville de Lyon et identifiés comme tels par le SDAL. Il en va ainsi notamment de la Cité Internationale, du nouveau quartier technopolitain de Gerland, de la restructuration urbaine du quartier de Vaise lancée au milieu des années 1990 (Jouve, Linossier, Zepf, 2003), comme des opérations plus récentes du Confluent et du Carré de Soie (Villeurbanne – Vaulx-en-Velin) (voir cartes n°2 et 3).

A l’exception de l’opération de Porte des Alpes, également récente mais consistant en un projet d’aménagement situé sur des terrains anciennement agricoles, donc vierges d’urbanisation (voir infra), toutes ces opérations emblématiques de renouvellement urbain ont en commun de concerner des zones urbaines péricentrales occupées jusque là par de vastes emprises industrielles et urbaines plus ou moins désaffectées (Linossier et alii, 2004a). Celles-ci représentent le « syndrome le plus évident d’une dévitalisation des économies urbaines » (Chaline, 1999) et correspondent au changement de rationalité survenu dans la localisation des activités productives ou logistiques au sein des métropoles. Il s’agit de recréer des quartiers intégrés dans le fonctionnement de la métropole en leur conférant notamment une nouvelle vocation économique, grâce à une orientation stratégique vers l’accueil d’activités tertiaires, technologiques ou ludiques à forte valeur ajoutée (NTIC, loisirs marchands, etc.). Des effets de leviers économiques importants sont attendus de l’implication des acteurs privés dans la conduite des opérations (voir infra).

Ainsi, les projets urbains dont il est question ici cumulent des objectifs primaires d’incitation à l’augmentation ou au retour de l’investissement économique privé sur des portions clairement définies du territoire local, et des objectifs secondaires d’amélioration de la position concurrentielle de la ville sur le marché des localisations économiques, définis à l’échelle plus large de l’agglomération urbaine. Ils s’inscrivent donc dans une stratégie de marketing territorial et urbain destiné à séduire les acteurs économiques, qu’ils soient investisseurs immobiliers (promoteurs – constructeurs notamment) ou entrepreneurs. Ils correspondent clairement à une instrumentalisation de l’aménagement spatial et de l’urbanisme au service du développement économique local concurrentiel.