Le cloisonnement sectoriel de l’action économique communautaire

A mesure que la DAEI développe ses services au cours des années 1990, les actions qu’elle développe prennent une orientation stratégique de plus en plus poussée (voir supra, Section 1). Dès sa création cependant, la mission qui lui est conférée est résolument stratégique et tournée vers la recherche de l’efficacité économique. Elle est en effet chargée de concevoir et de porter la politique économique du Grand Lyon, et de favoriser le rayonnement international de la métropole, dénotant d’une claire volonté du pouvoir politique local de faire prendre par l’instance communautaire le pas sur le rôle de l’ADERLY (voir supra, Section 3). La MDE n’est comparativement qu’un service d’urbanisme opérationnel consacré à la problématique économique, qui gère la mise en œuvre spatiale de la stratégie de développement économique (aménagement de sites d’accueil pour les activités).

La relance du Plan Technopole à partir de 1997, dont le pilotage est confié à la DAEI et non plus à l’ADERLY comme c’était le cas depuis le milieu des années 1980, marque à la fois une nouvelle étape dans l’appropriation de la culture managériale et stratégique par l’organisme communautaire, et la montée en puissance des services économiques du Grand Lyon dans l’expertise économique et dans la prescription des modes de faire liés au développement économique. La DAEI intègre dans ses activités des fonctions de veille économique conjoncturelle et structurelle, de marketing territorial, d’identification des filières, pôles d’excellence et fonctions économiques motrices ou émergentes du système productif local, en plus des tâches d’assistance aux implantations d’entreprises et de définition – évaluation de la stratégie d’agglomération (aide à la décision). Elle tend à se comporter de plus en plus à la manière d’une entreprise, mettant l’accent sur une gestion managériale de l’action économique.

La logique de filière et de promotion des pôles d’excellence économiques de la métropole lyonnaise est ainsi dominante dans la stratégie d’intervention de la DAEI à la fin des années 1990. Cette politique de soutien vise autant les filières industrielles (éco-industries, mécanique automobile, chimie, textile), la logistique (en relation avec l’Alliance Logistique créée au niveau de la RUL), les loisirs marchands (multiplex, hôtellerie et tourisme d’affaires, produits culturels haut de gamme, etc.), que les secteurs d’activités technologiques inscrits dans le nouveau Plan Technopole : les biotechnologies, sciences du vivant et de la santé, ainsi que les nouvelles technologies d’information et de communication. La production d’études et la promotion économique complètent cette approche qualitative et très peu spatialisée du développement économique territorial.

La démarche d’établissement d’une matrice de portefeuille local d’activités, utilisée dans le management stratégique du développement économique local (voir supra), inspire clairement les nouveaux responsables de la DAEI dans la choix de privilégier cette approche du développement par les filières économiques. Elle consiste en effet à identifier les secteurs d’activités dominants, moteurs ou émergents au sein du système productif local, dans le but de définir une stratégie de positionnement pour le territoire (Bouinot, Bermils, 1993). Elle est développée dans l’agglomération grâce aux travaux d’expertise économique produits par des chercheurs lyonnais et parisiens pour le compte de la RUL (Beckouche, Davezies, 1993) et du Grand Lyon (Davezies, 1994 ; Beckouche, Davezies, 1995 ; Minelle et Alii, 1996).

La création de l’Observatoire Partenarial de l’Agglomération Lyonnaise en Economie (OPALE) au début des années 2000 au sein de l’Agence d’urbanisme s’inscrit également dans cette logique qualitative de production d’indicateurs et d’observation permanente de l’évolution économique du territoire par le biais des filières d’activités, propre à l’approche stratégique et managériale du développement économique. Ces démarches directement inspirées des méthodes de gestion stratégique des firmes permettent en outre de conduire une forme d’évaluation en continu de l’action économique déployée.

L’établissement de rapports d’activités annuels à compter de 1998 marque aussi le virage résolument managérial amorcé par la nouvelle direction de la DAEI : il s’agit de gérer le service économique communautaire à la façon d’une entreprise privée, en rendant régulièrement compte aux élus et aux différents partenaires de la réalité et de la diversité de l’intervention, afin de convaincre de son efficacité économique. L’organisation des différentes missions qui composent la DAEI entre 1998 et 2000 traduit ainsi très nettement une orientation stratégique de l’action de plus en plus coupée de l’approche du développement économique par l’aménagement de l’espace et l’intervention urbanistique. Elle dénote cependant également d’une certaine confusion dans la répartition des rôles au sein du service économique du Grand Lyon, qui peut être interprétée comme une difficulté à définir de façon précise le sens et le contenu à donner à l’action économique communautaire.

D’un côté, une équipe gère le volet d’animation territoriale, de suivi des créations d’entreprises, de gestion de l’urbanisme commercial (et des loisirs marchands) et de l’offre de surfaces d’activités qui était auparavant dévolu à la MDE. Elle constitue la seule partie des services économiques communautaires ayant une approche véritablement axée sur le territoire et sur la relation entre développement économique et dimension spatiale de l’aménagement. De l’autre côté, une équipe gère l’accompagnement des projets d’implantation, une autre le Plan Technopole (Biotechnologies et Santé, soutien à la recherche et à l’innovation) et une troisième s’occupe des filières et pôles d’excellence (environnement, textile, logistique, télécommunications, numérique) ainsi que de la veille économique (DAEI, 2001).

En 2001, l’organisation de la mise en œuvre de la politique économique par la DAEI se scinde selon trois grandes orientations : l’accompagnement des pôles d’excellence économique (sciences du vivant, et technologies de l’information) et des filières en évolution (mécanique, tourisme et loisirs, mode et création, environnement, logistique) ; l’intervention en faveur du développement économique et territorial, qui apparaît comme une sorte de fourre-tout pour les actions ayant un lien plus ou moins évident avec l’espace (entreprenariat et création d’entreprises, offre foncière, marketing territorial, implantation d’entreprises, animation territoriale, innovation et animation technopolitaine, urbanisme commercial) ; la veille documentaire et l’intelligence économique, qui matérialise la volonté de constituer une capacité d’expertise économique en interne (Meynet, 2002).

Ce cloisonnement apparent est toutefois censé être atténué par le mode de fonctionnement matriciel du service économique 310 . Il demeure que le volet spatial du développement économique, qui constitue pourtant le cœur de compétences du Grand Lyon, est assez mal intégré au reste de l’action économique, essentiellement qualitative et fondée sur des actions de mise en relation, de soutien aux initiatives des acteurs économiques, aux filières d’activités et aux logiques d’innovation.

Le Plan Technopole fournit une bonne illustration de cette difficulté de la politique économique communautaire à s’intégrer aux objectifs plus globaux de développement urbain et territorial de l’agglomération, bien que le développement de l’innovation soit désigné comme un moyen de renforcer la position concurrentielle de l’agglomération (création d’un avantage comparatif économique). Si le premier Plan technopole porté par la CCIL et l’ADERLY dans les années 1980 arrive assez bien à combiner les volets qualitatifs et spatiaux, autour de l’aménagement et du développement de trois technopôles relativement bien insérés dans le tissu urbain et connectés au milieu universitaire lyonnais, le second lancé par le Grand Lyon peine à véritablement intégrer les entreprises, l’enseignement supérieur et l’aspect urbain au sein d’une seule et même dynamique de développement.

Celui-ci comporte en effet une dimension qualitative et immatérielle dominante (soutien, animation, valorisation et promotion des filières et des réseaux technologiques locaux), à laquelle est juxtaposée de façon assez décousue et mal connectée une dimension spatiale matérialisée par sept sites technopolitains : l’objectif d’aménagement est traité dans une partie à part du programme d’action, indépendamment du développement des deux filières prioritaires, du soutien aux entreprises, de l’animation des milieux technopolitains locaux et de la promotion de la culture scientifique et technologique. Ils sont pourtant censés constituer l’empreinte spatiale de la stratégie de développement technopolitaine et faciliter la lecture de l’image économique et scientifique de l’agglomération (Grand Lyon, 2000).

La volonté des nouveaux promoteurs du Plan Technopole de passer d’une culture d’aménagement à une approche plus globale du développement économique se traduit en fait par le renforcement du cloisonnement entre les actions d’animation et de promotion conduites au sein du milieu technologique et économique local, et les actions d’aménagement menées sur les sites. Alors que la promotion de l’innovation vise l’accroissement de la compétitivité des entreprises, le renforcement de certains secteurs d’activités et la stimulation des logiques de création, nécessitant l’implication étroite des acteurs économiques locaux dans la stratégie d’action, la mise en valeur des sites technopolitains relève essentiellement de l’aménagement (action foncière et immobilière 311 , prescriptions urbanistiques), donc de l’intervention et des compétences des services techniques communautaires.

Le problème est particulièrement visible dans le remplissage du parc technologique de Porte des Alpes, où le choix d’une spécialisation sectorielle et technopolitaine très particulière des entreprises ciblées par l’opération contraint fortement sa commercialisation (voir supra). La sélection s’opère en effet sur des critères très stricts d’appartenance des activités candidates à la filière des éco-industries, afin de correspondre à l’esprit de promotion des filières innovantes du Plan Technopole. Conjuguée au respect de certains critères environnementaux spécifiques à ce parc d’activités, elle s’avère être un frein au processus de mise sur le marché de l’opération d’aménagement spatial à vocation économique (Mouton-Benoît, 1998). Fin 2000, le parc n’est ainsi rempli qu’à hauteur de 15 % de ses capacités d’accueil (Frénéa, 2001), malgré son ouverture progressive aux implantations d’entreprises plus industrielles ou tertiaires que véritablement technologiques et innovantes. Aucune des firmes localisées dans le parc n’a en outre de lien avec l’université voisine, confirmant l’échec du pari technopolitain sur ce site.

Plus largement, la conception du Plan Technopole laisse apparaître des problèmes de mise en cohérence de la stratégie technopolitaine non seulement avec la politique d’aménagement de l’espace urbain, mais également avec le reste de la politique économique du Grand Lyon. En effet, malgré les besoins en matière d’immobilier dédié identifiés par la CCIL dès 1998, l’engagement des négociations sur le transfert de la compétence de gestion des Novacités en 1999 (voir infra, Section 3) et les instructions du vice-président chargé du volet technopolitain données à la DAEI pour développer une stratégie foncière adaptée fin 2000, la politique technopolitaine communautaire n’intègre cette priorité qu’en 2001, alors que le programme et le mandat s’achèvent. De la même façon, le SDE piloté par l’Agence d’urbanisme depuis 1997 n’est intégré aux missions de la DAEI qu’en 2001, une fois les principales orientations stratégiques arrêtées (voir supra, Section 1) : il ne mentionne pas le Plan Technopole ni n’implique les acteurs de la recherche, même s’il pointe l’innovation et l’entreprenariat parmi ses priorités (Reverdy associés, 2002a).

La mise en place d’animateurs technopolitains sur le terrain en 2000 tente de redonner du liant à l’ensemble de l’action de développement économique du Grand Lyon, mais le problème de fond semble être une question plus globale de compétences techniques et de moyens effectifs d’actions (financiers notamment) à la disposition de la DAEI. Le choix de la sous-traitance pour la mise en œuvre du programme technopolitain permet de remédier en partie aux limites de savoir-faire et de capacité d’intervention des services communautaires. Il n’évacue cependant pas totalement le problème des compétences mobilisées pour la conduite de la politique économique et de la pertinence pour l’organisme communautaire de miser sur l’action qualitative alors que son savoir-faire traditionnel relève plutôt de l’aménagement spatial et de l’urbanisme.

Notes
310.

Entretien réalisé avec L. Martinez, Chargé de mission Numérique à la DAEI, le 28/11/2001.

311.

Constitution d’une offre immobilière dédiée, sous la forme de pépinières d’entreprises (Alpha, Delta, Omega, sur les trois sites du premier Plan Technopole), d’un incubateur (Créalys), du Centre Scientifique et Technique Einstein (CSTE de la Doua), d’un village d’entreprises (pôle santé Rockefeller).