Suite au changement de mandature de 2001, une évaluation du Plan Technopole est réalisée par un cabinet de consultants grenoblois (Reverdy associés, 2002a, b et c). Elle fait apparaître que les principales réussites de la politique économique communautaire relèvent d’abord du domaine de l’aménagement de l’espace : la réalisation d’une offre d’immobilier dédié permettant l’accompagnement du développement des nouvelles activités et la qualification des sites technopolitains de la Doua et de Gerland, dont la mise en valeur technopolitaine a cependant été amorcée avec le lancement du premier Plan Technopole dans les années 1980. Il note également une certaine reconnaissance du positionnement de l’agglomération sur les deux thématiques prioritaires, notamment grâce à l’articulation de la thématique des biotechnologies avec la logique de site, ainsi que la qualité du soutien apporté à la création d’activités innovantes, qui est toutefois en grande partie lié au volet territorial du programme d’action technopolitain par le biais de l’immobilier dédié (DAEI, 2002).
En revanche, les points faibles concernent plutôt les actions qualitatives de stimulation des réseaux scientifiques et techniques locaux et le caractère limité des effets de levier effectifs au regard de l’investissement financier consenti 312 . Seule la partie de la communauté scientifique en lien avec les activités industrielles a été véritablement mobilisée. L’information et la communication ont mal circulé entre les différents acteurs, qui ont bien souvent négligé d’engager leurs établissements dans le programme par le biais de leurs stratégies propres de développement. Le rapport reconnaît toutefois un certain effet fédérateur au Plan Technopole, notamment grâce à la mise en place du Pôle Universitaire Lyonnais (PUL), la création d’un continuum intéressant entre recherche, développement économique et attractivité territoriale dans l’agglomération, ainsi qu’une bonne capacité d’incubation de grands projets de la part du Grand Lyon (création de manifestations, d’associations et de produits immobiliers thématiques essentiellement).
Enfin, les modalités de pilotage s’avèrent être mal définies, ce qui influe sur la lisibilité et l’efficacité globale du programme d’actions technopolitain. Les changements importants survenus dans l’organisation du leadership du Plan Technopole au sein du Grand Lyon expliquent en grande partie ce problème. D’une part, le technicien de la DAEI ayant lancé le projet en 1998 (publication des documents d’orientation, organisation et valorisation de la production des groupes de travail) a été remplacé de façon un peu chaotique fin 1999. D’autre part, son départ s’est accompagné de l’abandon de l’idée de faire porter le Plan Technopole par une association expressément créée. Cette situation d’hésitation n’empêche cependant pas la signature des conventions de partenariats pour la mise en œuvre des actions, mais induit toutefois une certaine faiblesse du travail de synthèse et de diffusion de l’information dévolu à la DAEI (Reverdy associés, 2002 ; Healy, 2002).
En bref, l’évaluation du Plan Technopole met en évidence le caractère limité des compétences effectives de la DAEI en matière d’animation du milieu économique local et de management de projet de développement. Par contre, il pointe la pertinence et l’efficacité de son intervention en matière d’aménagement et de mise en valeur des territoires à vocation économique (ou technopolitaine en l’occurrence). Indirectement, puisque tel n’est pas son objectif affiché, le rapport d’audit révèle ainsi le travers principal de l’orientation stratégique et managériale prise par la politique économique du Grand Lyon à la faveur de la relance du Plan Technopole à la fin des années 1990 : sa relative inefficacité et son inadaptation par rapport aux compétences et savoir-faire des services techniques de la DAEI en matière de développement économique, malgré le recours à la sous-traitance.
Le processus de montée en régime de l’action de prescription de stratégie de la part de la DAEI est fortement lié au profil de formation très spécifique de la plupart des personnels techniques du service, chargés d’études comme responsables, recrutés à partir de 1998. Ceux-ci sont en effet majoritairement issus de cursus économiques et d’écoles de commerce ou de management, voire directement issus du monde de l’entreprise pour certains. Seuls les techniciens qui s’occupent des opérations de requalification des zones industrielles ont un parcours lié à l’urbanisme ou à l’aménagement, leur permettant de saisir les problématiques propres à la gestion de l’espace et à l’approche d’intervention globale, transversale et pluridisciplinaire du projet urbain.
En outre, un tel profil managérial du personnel technique n’est que partiellement mis à profit par l’intervention effective de la DAEI, en raison de la double nécessité politique de limiter les dépenses publiques communautaires et de privilégier les actions qui sont aisément lisibles et perceptibles par les contribuables comme par les acteurs économiques. Les actions physiques et matérielles relevant plutôt de l’aménagement sont donc prioritairement mises en œuvre par les services communautaires (ou par la SERL, bras exécutant de la collectivité), tandis que les actions plus immatérielles relatives à l’animation et à la promotion des filières stratégiques sont sous-traitées aux partenaires économiques, associatifs ou universitaires par le biais du PUL. Ce système d’externalisation des tâches techniques de mise en œuvre permet de pallier les carences de compétences spécifiques de la DAEI.
Le recours à la sous-traitance constitue ainsi une solution organisationnelle pour la mise en application de la politique économique, satisfaisante du point de vue de la culture professionnelle de la DAEI (culte du management), comme des impératifs de gestion économe et de prise de leadership du Grand Lyon au sein du système d’acteurs local (voir infra, Section 3). La sous-traitance des tâches les plus techniques permet de s’appuyer sur les compétences spécifiques très pointues des différents acteurs économiques, institutionnels ou universitaires impliqués dans le Plan Technopole, qui ne sont pas forcément maîtrisées en interne par les techniciens de la DAEI, et de mobiliser plus directement tous les partenaires autour de l’objectif politique communautaire. Elle permet aussi à la DAEI de mettre en œuvre l’un des principes centraux des démarches pragmatiques et stratégiques développées par les entreprises, afin d’apparaître comme un interlocuteur crédibles à leurs yeux : la flexibilité des dispositifs et l’externalisation des tâches subalternes d’exécution (Veltz, 2002).
Le profil économique et managérial dominant rend les techniciens de la DAEI particulièrement sensibles aux logiques de fonctionnement du marché, aux démarches stratégiques, à l’approche en termes de marketing et de bench-marking, et de façon plus globale à la recherche de la défense de l’intérêt des entreprises, mais beaucoup moins aux logiques plus classiques de promotion de l’intérêt général public ou simplement d’aménagement équilibré du territoire local. En cela, ils se démarquent très nettement de leurs collègues des services du développement urbain (DGDU), plutôt issus de formations en urbanisme, aménagement ou d’écoles d’architecture et rompus à la logique de l’action transversale et à a recherche de la cohérence d’ensemble au sein de l’action publique locale.
Pourtant, le développement économique est également a priori un domaine fondamentalement transversal et politique de l’action publique locale où la recherche de conciliations entre des points de vues divergents doit primer (entreprises et intérêts privés versus pouvoirs publics et intérêt général essentiellement). Il demande donc à ses protagonistes relevant de la sphère publique, c’est-à-dire au personnel technique de la collectivité locale, une formation plutôt pluridisciplinaire à même de permettre la mise en adéquation, du moins en cohérence, de l’intervention spécifique en faveur de l’économie avec la logique globale d’intervention urbanistique et spatiale liée à l’aménagement du territoire.
Or, l’équipe technique de la DAEI du Grand Lyon cultive, outre son origine disciplinaire peu diversifiée, un certain enfermement autour de ses compétences économiques et managériales et de sa relative proximité culturelle avec le monde des entreprises, au détriment du décloisonnement nécessaire en direction des autres services communautaires, notamment ceux de la DGDU qui gèrent l’urbanisme opérationnel, l’urbanisme territorial et la planification – donc l’aménagement spatial – dans l’agglomération. Les techniciens des services économiques privilégient le plus souvent les aspects qualitatifs et immatériels de l’intervention sur le milieu économique local et tendent à négliger ou à sous-estimer la dimension spatiale et urbanistique du développement économique.
Il résulte de cette situation une opposition assez forte entre des visions fondamentales de l’économie et de l’urbain très différentes, et un éloignement problématique entre la logique de soutien aux entreprises locales pour des motifs de développement économique promue par la DAEI, et la logique d’ensemble de développement urbain et de coordination globale des différents volets de l’action publique au sein des démarches de projet d’aménagement, soutenue par la DGDU (voir infra, Section 3).
Plus simplement, les services économiques du Grand Lyon ne jouissent pas encore de compétences légales ni d’un savoir-faire très développés en matière de régulation économique territoriale (Linossier, 2004a). Le développement économique n’est en effet exercé que depuis une dizaine d’années au sein de l’organisme communautaire et constitue de surcroît un champ d’action publique très spécifique quant aux modalités d’intervention qu’il mobilise (action indirecte à la marge de l’économie, instrumentation des autres champs d’intervention publique comme l’urbanisme, l’aménagement, la planification, etc.). Ces particularités contribuent à fragiliser la légitimité et la crédibilité des initiatives de la DAEI, tant vis-à-vis des entreprises que vis-à-vis des autres acteurs de la régulation économique territoriale, partenaires institutionnels du Grand Lyon qui sont souvent plus expérimentés que ses services techniques et reconnus de longue date dans la conduite d’actions de développement économique (communes et structures de représentation des intérêts économiques locaux notamment).
S’ajoute enfin le problème de l’hypercentralisation des services économiques, confinés dans l’Hôtel de la Communauté Urbaine de Lyon à la Part Dieu. Ils imposent depuis le haut, ou plutôt depuis le centre géographique du pouvoir intercommunal dans l’agglomération, une vision très technocratique, qui n’est pas sans rappeler l’attitude des autorités centrales de l’Etat durant les Trente Glorieuses (voir supra, 2ème Partie). Ce problème n’est d’ailleurs pas spécifique au domaine de l’action économique, mais il se pose avec une force particulière pour celui-ci en raison de l’enjeu stratégique et politique très important accordé par les responsables communautaires à la question du développement économique (voir supra, section 1). Il nécessite de la part des services de la DAEI une grande efficacité et une meilleure lisibilité de leur action vis-à-vis de ses cibles, que sont les entreprises et les acteurs économiques présents sur le territoire.
Budget total effectif 1999-2002 : 4.9 Millions d’Euros, soit un peu plus d’1.2 million d’Euros par an (au lieu d’un million d’Euros par an prévu initialement).