Expertise économique et vision stratégique du développement économique local

D’une façon plus générale, l’ADERLY et la CCIL, dont les services techniques sont étroitement imbriqués depuis l’origine (voir supra, 2ème Partie, Section 3), constituent dans les années 1980 les principales sources de l’inspiration stratégique et de l’acculturation des acteurs locaux aux nouvelles méthodes de management de l’action publique en faveur du développement économique territorial dans l’agglomération lyonnaise (voir supra, Section 2).

En 1986-1987, l’AGURCO choisit en effet de coopérer avec l’ADERLY et la Commission du Développement économique de la CCIL pour réaliser le diagnostic économique de l’agglomération et les études destinées à positionner la métropole lyonnaise par rapport aux autres métropoles françaises et européennes non capitales d’Etat 334 , menées dans le cadre des travaux préparatoires à l’élaboration du nouveau schéma directeur de l’agglomération (voir supra, Section 2). Dès 1984 lors du Colloque de prospective urbaine demain l’agglomération lyonnaise (AGURCO, 1984), la CCIL et l’ADERLY sont fortement impliquées dans les travaux de réflexion, cette dernière produisant même l’essentiel des orientations stratégiques d’action pour le développement économique à venir de l’agglomération, tandis que la première se contente de présenter ses missions d’accompagnement des entreprises et de gestion des grands équipements.

Les services communautaires comme les élus sont en revanche assez faiblement mobilisés sur le volet économique du futur document de planification, en raison de leur manque de compétence spécifique en la matière. Les techniciens économistes de l’AGURCO entretiennent donc des liens très étroits avec les organismes représentatifs des intérêts patronaux, afin d’aborder la réalisation du diagnostic économique puis du projet de développement territorial en ayant une conscience assez aiguisée des enjeux de développement territorial propres aux entreprises (Barbier de Reulle, de Courson, 1988). Les acteurs économiques sont en effet plus naturellement et traditionnellement porteurs de la vision stratégique et des enjeux du développement économique, même territorial, du fait de leur culture entrepreneuriale, que les techniciens de l’urbain et le personnel politique local.

Même si des dirigeants ou des représentants d’entreprises sont amenés à participer personnellement à l’élaboration du schéma directeur de l’agglomération de façon ponctuelle, notamment à travers des séminaires de prospective thématiques et autres consultations d’experts (voir infra), ce sont ainsi surtout les organismes institutionnels représentant traditionnellement les intérêts du monde économique local – CCIL, GIL et ADERLY – qui sont impliqués directement et durablement dans les travaux. Les chambres consulaires sont d’ailleurs officiellement associées au Syndicat d’Etudes et de Programmation de l’Agglomération Lyonnaise (SEPAL) tandis que l’ADERLY, structure partenariale rassemblant intérêts public et privés, est invitée à participer aux réflexions des commissions thématiques 335 .

La CCIL joue en effet un rôle très important dans la préparation du nouveau schéma directeur, en produisant sa propre expertise permettant de faire prendre en compte les préoccupations et les objectifs des industriels, des commerçants et des prestataires de services dans les projets d’orientation et d’aménagement spatial de l’agglomération lyonnaise (Leblanc, 1993). Début 1987, la Commission « Développement économique » de l’organisme consulaire présente ses propositions concernant les grands équipements publics collectifs à vocation économique et les principaux aménagements à réaliser, établies à partir d’une évaluation des perspectives de développement de l’économie lyonnaise (CCIL, 1987).

La réflexion de la CCIL pour préparer le nouveau document de planification urbaine de l’agglomération s’organise en deux temps, reflétant de façon particulièrement significative la grande maîtrise de la démarche stratégique dont font preuve les services techniques consulaires, à un moment – le milieu des années 1980 – où le reste des acteurs locaux du développement économique (COURLY, AGURCO) n’en est encore qu’au stade de l’acculturation progressive à ces nouvelles méthodes (voir supra, Section 2). Un diagnostic économique du territoire est d’abord réalisé, analysant les forces et faiblesses du tissu industriel et tertiaire, des structures d’accueil et des infrastructures de communications, mais aussi les opportunités et les menaces de son environnement national et international. La question de la concurrence élargie entre les régions et entre les villes, ainsi qu’une approche par le marché des implantations d’activités, inscrivent le travail de la CCIL dans la droite ligne des méthodes stratégiques issues du management des entreprises, fondées sur le recours aux études de marché et aux logiques de positionnement compétitif (Leblanc, 1993).

Le second temps de la réflexion menée par la CCIL consiste à élaborer des axes stratégiques d’orientation pour le futur schéma directeur. Ils correspondent à une liste d’équipements et d’opérations d’aménagement à réaliser dans l’agglomération lyonnaise, considérés comme prioritaires pour répondre aux besoins et enjeux de développement économique identifiés par le diagnostic. Ils doivent notamment permettre de conforter le positionnement de Lyon sur le marché des métropoles internationales et des grandes technopoles. La stratégie proposée consiste donc à mettre l’urbanisme et l’aménagement au service du développement économique, selon une logique de valorisation de l’environnement des entreprises (Lavigne, Dost, 1988).

Ce projet de développement pour l’agglomération, comme le diagnostic de l’économie lyonnaise qui le précède, correspond directement aux orientations stratégiques de l’action de l’ADERLY depuis le milieu des années 1970, fondées sur la mise en application de la culture pragmatique et managériale du monde des entreprises au service du développement économique (voir supra, 2ème Partie, Section 3). Il comporte en effet un volet prônant la vocation internationale de Lyon, devant s’appuyer sur de vastes opérations d’aménagement à vocation économique, un volet technopolitain, exprimé à travers l’enjeu foncier et urbanistique relatif à l’aménagement des trois sites de la technopole lyonnaise (La Doua, Gerland et Lyon Ouest) et un volet urbain plus global, visant à renforcer l’attractivité de l’agglomération et à améliorer l’image de Lyon (CCIL, 1987).

Cette démarche stratégique, véhiculée par les organismes patronaux locaux depuis la survenue de la crise (voir supra, 2ème Partie, Section 3), ainsi que la présentation préalable d’un diagnostic économique élargi du territoire de l’agglomération et la mise en avant du thème de la concurrence entre les territoires, sont directement reprises par l’AGURCO dans la rédaction du document de planification lyonnais final (SEPAL, 1992). Ceci traduit bien l’influence très forte dans la conduite de la politique économique locale et le rôle central des structures de représentation des intérêts économiques au sein du système d’acteurs lyonnais à la fin des années 1980, notamment en matière de transfert de la culture managériale et stratégique auprès de la sphère des techniciens de l’action publique territoriale et des responsables du pouvoir politique local (voir supra, Section 2).

Toutefois, si l’implication des organismes de représentation des entreprises dans le processus d’élaboration du nouveau schéma directeur de l’agglomération lyonnaise est certaine, elle n’est pas pour autant automatiquement synonyme de prise en compte réelle des attentes et aspirations des entreprises concernant le développement économique du territoire local. Les chefs d’entreprises ne participent guère directement aux réflexions et travaux (voir infra) : « aucun industriel, aucun banquier, aucun commerçant, aucun directeur de firme de services parmi les membres du SEPAL, ses associés, ses invités. Peu de chefs d’entreprise parmi les dizaines d’experts consultés. De la région et a fortiori du reste du monde. Cette lacune jure avec la volonté affichée d’orienter le Schéma Directeur du côté de l’économie » (Prud’homme, Davezies, 1989, p.13). La représentativité véritable des organismes consulaires (CCIL, Chambres des métiers et de l’Agriculture) comme de l’ADERLY, associées ou invitée par le SEPAL, vis-à-vis des souhaits des entreprises est en outre discutable.

Enfin, les actions préconisées par la CCIL et l’ADERLY pour favoriser le développement économique local restent globalement assez classiques, c’est-à-dire de l’ordre de l’accompagnement des entreprises dans leurs choix d’implantation : amélioration de l’environnement urbanistique et spatial des entreprises, production de surfaces d’activités et d’équipements collectifs à vocation économique. Elles sont également fortement imprégnées de la logique du marketing urbain, qui consiste à produire une image valorisante et attractive du territoire local vis-à-vis des acteurs économiques. En revanche, elles ne sous-entendent pas d’intervention des pouvoirs publics locaux dans le domaine de la stratégie économique et de la prescription d’orientations auprès des entreprises ; tout au plus tendent-elles à encourager le soutien à certaines filières industrielles, technologiques ou tertiaires moteurs pour le système productif local.

La volonté de plus en plus affirmée du Grand Lyon de s’emparer de l’approche stratégique au cours des années 1990, non seulement pour conduite l’ensemble des politiques urbaines de façon intégrée au service de l’enjeu économique, mais surtout pour développer sa propre capacité d’intervention dans le champ même de l’économie au sein de la DAEI (voir supra, Section 2), dénote donc une ambition nouvelle de prendre l’ascendant sur les organismes de représentation des intérêts économiques dans la conduite de la régulation économique territoriale. Le Grand Lyon s’arroge ainsi progressivement un rôle central en matière d’expertise économique et de vision stratégique du développement économique local, au détriment relatif de ses partenaires historiques qui sont pourtant porteurs de l’intérêt des entreprises.

Notes
334.

10 villes françaises (tertiaire supérieur) et 10 villes européennes (Düsseldorf, Munich, Zurich, Milan, Manchester, Francfort, Genève, Barcelone, Amsterdam).

335.

Aménagement de l’espace, réseaux et infrastructures de transports, activités économiques et fonctions métropolitaines.