Les structures patronales, acteurs incontournables du développement économique local…

La CCIL est historiquement et institutionnellement, pour les entreprises du moins, un acteur économique incontournable de la régulation territoriale. En matière de développement économique, il s’agit en effet d’un point de passage obligé dans le système d’acteurs local, du fait de ses missions traditionnelles d’accompagnement et de conseil auprès des entreprises, de son implication très directe dans le fonctionnement de l’ADERLY depuis les années 1970, de sa participation à l’élaboration du nouveau schéma directeur et de son implication plus récente dans le SDE, au sein de l’OPALE ou dans la démarche de gouvernance économique territoriale Grand Lyon l’Esprit d’Entreprise (GLEE).

L’organisme consulaire bénéficie d’une double légitimité institutionnelle et économique à intervenir dans la gestion de la régulation économique territoriale, grâce à son statut d’établissement public oeuvrant pour l’intérêt général, à sa représentativité de quelques 50 000 entreprises locales par le biais des élections consulaires et à sa proximité historique avec le GIL, principal syndicat patronal lyonnais représentant la puissante industrie locale (voir supra, 2ème Partie, Section 2). Elle gère notamment des grands équipements collectifs à vocation économique comme les aéroports, accompagne les entreprises dans leur fonctionnement et leurs stratégies de développement et prend en charge une partie de la formation professionnelle.

Les missions d’accompagnement, d’assistance et de conseil aux entreprises sont sans doute les plus développées au sein de la CCIL 336 , même si elles consistent surtout à orienter les entreprises demandeuses vers des organismes spécialisés après avoir diagnostiquer le problème et à organiser des actions collectives. Elles couvrent essentiellement les questions de développements industriel (innovation technologique, sous-traitance, etc.), commercial (études de marché, fichiers de clientèle, etc.) ou international (exportation, fournisseurs, etc.). La CCIL apporte également son expertise très pointue aux entreprises sur les questions relatives à la stratégie de développement et au management. Elle s’appuie notamment pour cela sur son potentiel en matière de formation professionnelle, développé depuis les années 1980 à travers l’Ecole de Management de Lyon (EM Lyon), le centre de formation de Vaise et l’Ecole de Chimie, Physique et Electronique.

Depuis 1974, la CCIL finance aussi l’intégralité des salaires, des charges sociales et des frais généraux de l’équipe d’animation de l’ADERLY, qu’elle héberge dans ses locaux. Elle participe ainsi de manière directe à l’action de promotion territoriale, de prospection internationale et d’accueil des investisseurs extérieurs dans l’agglomération lyonnaise. Elle est directement impliquée dans la conduite du premier Plan Technopole lancé au milieu des années 1980, à travers la gestion des trois pépinières d’entreprises innovantes et technologiques implantées dans les principaux pôles d’enseignement supérieur et de recherche de l’agglomération. Elle participe aussi aux actions qui visent à faire de Lyon une métropole internationale (voir supra).

« (…) la région lyonnaise dispose de chambres consulaires qui, tout à la fois par tradition et modernisme, interviennent dans l’action publique. “La CCI dispose d’un pouvoir d’influence incontestable sur le développement économique et l’aménagement, dont peu de CCI, sinon aucune autre, ne disposent en France… Le développement économique apparaît en région lyonnaise vraiment porté par la CCI”. Ces jugements d’observateurs se fondent en particulier sur les activités d’une “institution originale” – comme on dit à Lyon – l’ADERLY (…) » (Padioleau, Demesteere, 1992, p.37).

La CCIL et l’ADERLY, intégrées organiquement et partageant la même culture économique et managériale, participent notamment très activement aux réflexions prospectives du Colloque « Demain l’agglomération lyonnaise » organisé par l’Agence d’urbanisme de la COURLY (AGURCO) en 1984, ainsi qu’à l’élaboration du nouveau schéma directeur de l’agglomération lyonnaise de 1986 à 1988. A ces occasions, elles énoncent au nom des entreprises lyonnaises, la nécessité de se saisir de l’enjeu international et de l’argument technopolitain pour assurer le développement économique de la métropole (voir supra). De 1992 à 1997, la CCIL porte également les services techniques de la SODERLY, SAEML prolongeant l’action de promotion territoriale et de prospection de l’ADERLY, sorte de bras exécutant externalisé de la politique économique communautaire naissante agissant pour le compte de la COURLY (voir supra, Section 1).

La CCIL détient donc le quasi monopole de l’expertise économique dans l’agglomération lyonnaise grâce à ses services internes, ses missions de portage technique et à son étroite imbrication avec l’ADERLY, du moins jusqu’à ce que les services du Grand Lyon ne la rattrapent dans ce domaine à la fin des années 1990 (Jouve, 2001a). Les organismes de représentation des intérêts économiques lyonnais font ainsi office de creuset méthodologique et conceptuel pour la définition des orientations stratégiques de la politique économique locale dans les années 1980, alors que les responsables politiques des collectivités locales, et notamment de la COURLY, sont encore faiblement mobilisés sur ces questions et que l’institution communautaire n’a aucun moyen d’action, tant légal que technique en interne, dans le champ spécifique du développement économique.

Dix ans plus tard, la CCIL est à nouveau impliquée par l’Agence d’urbanisme dans la démarche d’observation et de diagnostic territorial du SDE. Elle accueille certaines réunions dans ses locaux, mais participe cependant à la démarche avec un regard assez critique sur la méthode et sur les articulations partenariales choisies, ne voyant pas forcément d’un très bonne œil la volonté des responsables de la démarche de privilégier la participation directe des entreprises au détriment des organismes institutionnels chargés traditionnellement de représenter leurs intérêts dans ce type de dispositif. De la même façon, les syndicats patronaux et la Chambre des Métiers sont relativement en retrait par rapport à la très forte implication des représentants d’entreprises dans les différents groupes de travail. Ils ne participent au SDE qu’à travers le Comité de pilotage, dont le rôle est plus de légitimer et de valider politiquement la démarche que de véritablement conduire les travaux de réflexion.

Les organismes patronaux lyonnais (CCIL, GIL) doutent en particulier de la capacité d’expertise de l’Agence d’urbanisme et des pouvoirs publics locaux – i.e. du Grand Lyon, qui se profile derrière la démarche en tant que structure politique donneuse d’ordre (Jouve, 2001a). La légitimité fonctionnelle de l’organisme d’études financé par l’Etat et le Grand Lyon est en effet bien mince, son seul fait d’armes notable en matière de développement économique étant l’élaboration du schéma directeur de l’agglomération dix ans plus tôt, dont le contenu économique reste finalement largement incantatoire et mal connecté aux attentes des milieux économiques locaux. Ils estiment également que la vision stratégique des entrepreneurs, trop contingente et calquée sur les problématiques de développement propres à leur firme, ne peut se substituer complètement à celle des techniciens du développement économique territorial, qui sont plus en mesure de concilier les aspects collectifs relatifs à l’aménagement du territoire et la vision pragmatique de la compétitivité économique.

Ils voient ainsi dans la démarche du SDE, à juste titre, une tentative des pouvoirs publics locaux de court-circuiter les acteurs économiques institutionnels au profit de relations plus directes et individuelles avec les entrepreneurs. En effet, les responsables de la démarche du SDE au sein de l’Agence d’urbanisme et du Grand Lyon 337 ont tendance à privilégier la participation des représentants directs des entreprises (dirigeants et grands cadres) au détriment de celle des organismes institutionnels comme la CCIL ou l’ADERLY, qu’ils considèrent comme trop imprégnés de la culture administrative et non économique de la puissance publique (voir infra).

Pourtant, la CCIL réorganise ses services sur le territoire communautaire durant les années 1990, afin d’adapter ses prestations aux réalités différenciées des contextes économiques locaux à l’intérieur de l’agglomération, et de renforcer sa présence auprès des entreprises 338 . Elle fait ainsi preuve d’une grande capacité de réaction face aux exigences du « marché » et de ses cibles (c’est-à-dire ses ressortissants), donc d’un certain pragmatisme dans le management de ses services dénotant une étroite proximité culturelle avec le monde des entreprises. Ce dispositif territorialisé permet en effet aux services consulaires, non seulement de se rapprocher des entreprises à titre individuel, mais également de nouer de plus étroites relations de proximité avec les nombreuses associations d’entreprises présentes sur le territoire, qui rassemblent les entreprises présentes sur la même zone d’activités. Elle soutient activement ces dynamiques de regroupement, en participant notamment à des actions collectives thématiques et localisées (gestion des déchets, animation commerciale, etc.).

La première antenne de proximité est ainsi créée en 1990 à Chassieu, au cœur de la vaste zone industrielle de Mi-Plaine. La seconde est mise en place en 1993 à Limonest, pour desservir le technopôle vert de Techlid, suivi d’une troisième à Corbas en 1996, chargée de couvrir les vastes zones industrielles du Sud-est de l’agglomération. En 2001, le découpage territorial s’enrichit de deux nouvelles antennes : à Villeurbanne pour satisfaire la demande des entreprises (et de la municipalité ?) visant à bénéficier d’une lisibilité différenciée par rapport à Lyon, et à Rillieux-la-Pape pour desservir le Val de Saône, où une pépinière d’entreprises généraliste a vu le jour en 1996, et les zones d’activités du plateau Nord. Enfin, la dernière est créée en 2003 à Oullins, tandis que le Palais de la Bourse continue de répondre aux demandes des entreprises implantées à Lyon.

La CCIL apparaît donc comme un organisme de développement économique particulièrement crédible d’un point de vue économique et compétent historiquement, voir même précurseur en matière d’organisation territoriale décentralisée de la régulation économique dans l’agglomération lyonnaise (voir supra, Section 2). Elle présente une importante réactivité stratégique et une certaine capacité d’amélioration de l’efficacité de ses services et prestations en matière de régulation économique territoriale, se montrant notamment capable d’adapter son maillage territorial pour satisfaire ses adhérents et mieux répondre aux besoins différenciés des entreprises sur le territoire.

Cependant, la CCIL souffre également depuis une dizaine d’années d’une perte relative de légitimité et de représentativité vis-à-vis du tissu économique local. Celle-ci est essentiellement due à l’émergence d’un nouveau patronat local et de nouvelles structures plus ou moins formelles de représentation des intérêts des entreprises (Jouve, 2001b). Ajoutées aux contraintes financières très fortes qui pèsent sur le fonctionnement de l’organisme consulaire du fait de la tutelle étatique, elles contribuent à diminuer l’influence de la CCIL sur le terrain de la représentation des intérêts économiques locaux et confortent la prise de leadership du Grand Lyon sur l’organisation de la régulation économique dans l’agglomération.

Notes
336.

Une centaine de personnes environ au début des années 2000.

337.

Le président et le directeur de l’Agence d’urbanisme, comme le vice-président communautaire chargé du dossier, sont des anciens dirigeants d’entreprises ou des anciens travailleurs indépendants, qui gardent une préférence très nette pour la culture libérale et le point de vue des chefs d’entreprises face aux conceptions et modes de faire technocratiques ou trop rigides de la puissance publique.

338.

Dès les années 1970, la CCIL possède déjà deux antennes territoriales (Lyon, Tarare). En 1983, elle en crée une nouvelle à Givors, confirmant ainsi une logique de découpage territorial d’abord uniquement fondée sur la dichotomie agglomération lyonnaise / reste du territoire de compétence.