De nouvelles structures représentant des intérêts économiques lyonnais apparaissent dans l’agglomération et gagnent en visibilité politique au cours des années 1990. Elles sont certes le plus souvent à base sectorielle, d’une portée institutionnelle parfois limitée et moins bien ancrées historiquement dans les milieux socio-économiques et politiques lyonnais que le GIL et la CCIL, mais elles jouissent malgré tout d’une influence de plus en plus grande auprès des autorités politiques communautaires. Certaines sont soutenues financièrement par le Grand Lyon et incluses dans le dispositif de mise en application de la politique économique communautaire par le biais du versement de subventions, dans le cadre du Plan Technopole et dans celui de la sous-traitance des tâches d’exécution prévue par la nouvelle gouvernance économique lyonnaise instaurée en 2003 (voir infra).
Ce phénomène s’amorce avec la mutation tertiaire que connaît le tissu économique lyonnais durant les années 1980, parallèlement à l’émergence de nouvelles entreprises locales très dynamiques économiquement, mais qui demeurent largement étrangères aux traditionnels milieux industriels et négociants lyonnais. Elles conduisent en effet à d’importants changements dans le paysage des structures de socialisation du patronat local (Jouve, 2001a). Même la Jeune Chambre Economique (JCE), fidèle soutien de la CCIL dans sa volonté de faire de Lyon une métropole européenne durant les Trente Glorieuses, cherche à s’émanciper de la toute puissance des structures de représentation économiques historiques pour définir sa propre stratégie de développement.
Le vénérable Cercle du Commerce disparaît en 1984, victime de la crise économique et de la disparition des grandes sociétés lyonnaises de négoce. Le Cercle de l’Union et le Rotary Club de Lyon, qui monopolisent les relations sociales au sein de l’élite économique lyonnaises, sont rejoints et concurrencés par le Prisme en 1990, créé par R. Caille 339 et l’un des frères Pitance 340 . L’accès à ce nouveau club, dont l’effectif est limité à 200 membres non retraités, est financièrement très sélectif. Il se définit comme « une structure d’accueil pour les chefs d’entreprises. Un lieu où ils peuvent se retrouver, confronter leurs idées. Sans protocole. (…) Un club moderne de la nouvelle bourgeoisie d’affaires prospère » (Angleraud, Pellissier, 2003, p.772).
La préférence pour les actifs marque particulièrement la volonté des dirigeants du Prisme de se distinguer des clubs traditionnels ayant une moyenne d’âge relativement élevée. Le Cercle va encore plus loin dans la guerre des générations, bien que parrainé par C. Mérieux : composé de 20 décideurs âgés de trente à quarante ans, ce nouveau club fondé dans les années 1990 se veut être un réseau d’entraide, pour parvenir au statut de nouvelle bourgeoisie économique lyonnaise. Il reste lui aussi très sélectif, malgré un affichage alternatif (moins de cinquante ans, pas de femmes, sensibilité aux grands noms de l’économie lyonnaise, etc.) (Angleraud, Pellissier, 2003).
D’autres structures, plus ou moins formelles et sectorielles, voient aussi le jour dans les années 1990 : le Cercle de l’Ours rassemblant des acteurs de l’immobilier ; l’Aura ciblant des patrons, professions libérales et décideurs de la fonction publique, de la finance ou de la culture à une échelle régionale, conviés à partagés des repas en petits groupes dans des restaurants renommés ; etc. (Sapy, 2005). Tous ces clubs de dirigeants entretiennent le même concept : celui d’un regroupement plus ou moins intéressé d’élites économiques locales, qui cultivent un certain entre soi censé être le garant de la pérennité et de la prospérité de leurs affaires, mais aussi une prise de distance entre ancien et nouveau patronat lyonnais.
Le Club des 100, également créé à la fin des années 1990, reflète particulièrement cette tendance. Il rassemble en effet les dirigeants des sociétés qui sponsorisent le club de football de Lyon : l’Olympique Lyonnais (OL). Son créateur est J.-M. Aulas, patron de la société de progiciels CEGID et surtout président de l’OL. Ses membres lyonnais les plus illustres sont B. Bonnel (Infogrames), J. Seydoux (Groupe Pathé) et A. Dreyfus (Web-City) (Jouve, 2001a). Ils partagent avec d’autres nouveaux patrons lyonnais comme T. Ehrmann (PDG du Groupe Serveur) et S. Challon (Editing Serveur), une même appartenance au secteur d’activités high-tech émergent des loisirs marchands, qui explose à Lyon et partout dans le monde avec le développement de la technologie numérique. Ils figurent également tous parmi les signataires d’une pétition appelant à voter pour G. Collomb lors des élections municipales de 2001 (Demir, 2001), renouant ainsi avec la vieille tradition lyonnaise de grande proximité entre le responsables politiques et les sphères économiques locales (voir supra, 2ème Partie, Section 2).
Le nouveau patronat lyonnais, dont les membres ne sont pas toujours originaires de la région, s’inscrit cependant en rupture avec les institutions traditionnelles de représentation des intérêts économiques locaux comme la CCIL ou le GIL, voire s’en détourne ouvertement. La presse régionale relaie notamment l’opinion très négative que les dirigeants lyonnais de la Nouvelle Economie ont de la CCIL en 2000, jugée, comme les autres organismes consulaires et sans doute à tort, trop archaïque et dispersée dans l’exercice de ses missions et compétences (Jouve, 2001a). En critiquant la CCIL, ils s’attaquent aussi de façon indirecte au principal syndicat patronal lyonnais, longtemps majoritaire au sein de l’assemblée consulaire. Ils partagent ainsi tous une certaine distance vis-à-vis du GIL, pilier historique de la sociabilité des acteurs économiques locaux et de leurs relations avec le pouvoir politique local, mais souffrant désormais d’une connotation industrielle et passéiste trop marquée.
Y compris au sein du patronat industriel et négociant traditionnel lyonnais, les grands équilibres favorables au GIL sont remis en question à partir des années 1980. Le Centre des Jeunes Dirigeants (CJD), « aile innovante du patronat », attire quelques héritiers résolument progressistes et bien décidés à faire bouger le milieu patronal local et le CNPF au niveau national, comme J. Gontard 341 , A. Riboud 342 et C. Boiron 343 (Angleraud, Pellissier, 2003, p.760). Si la quarantaine de membres du CJD reste partisane de l’existence des réseaux patronaux « à l’ancienne », elle privilégie aussi le principe d’une organisation plus sociale, propice aux échanges et aux réflexions hors business, plutôt qu’un fonctionnement de simple club d’affaires (Grange, 2001). Leur influence dans la refondation des instances nationales autour du MEDEF en 1998 est loin d’être négligeable.
Dans les années 1990, le monopole du GIL au sein de la CCIL prend donc fin, en raison également de la concurrence nouvelle exercée par l’antenne départementale de la CGPME, représentant les PME-PMI qui sont largement majoritaires dans le tissu économique local. Au début des années 2000, celle-ci détient en effet près de la moitié des sièges au sein de l’assemblée consulaire, après être passé d’une trentaine d’adhérents à environ 3000 en une décennie. Elle joue cependant la carte de l’alliance avec le GIL-Medef au sein de l’assemblée consulaire 344 , malgré des relations politiquement conflictuelles et une opinion sur le fonctionnement de la CCIL parfois très critique. Les reproches formulés sont assez proches de ceux énoncés par le nouveau patronat lyonnais : archaïsme, immobilisme, conservatisme, etc.
Son fonctionnement se veut moins secret que celui du GIL, en affichant ouvertement son rôle de groupe de pression et de club d’affaires : « (…) on fait du business ensemble. On est aussi là pour donner des coups de pouce, simplifier les contacts. C’est ce que j’appelle le syndicalisme de services » (Grange, 2001) 345 . La CGPME revendique également une culture de petits patrons personnellement impliqués dans la vie quotidienne de leurs entreprises, une certaine convivialité interne et une grande proximité avec les chefs d’entreprises, en opposition avec la culture gestionnaire et distante des cadres de grandes entreprises rassemblés au sein du GIL (Guillot, 2004).
La perte d’influence relative du GIL au sein de la CCIL s’accompagne ainsi d’une remise en question de sa représentativité du tissu économique local. Le syndicat interprofessionnel pâtit notamment de sa configuration proche d’une forme de holding rassemblant une quarantaine de syndicats de branche, qui le rend structurellement très éloigné des réalités bigarrées du terrain. Son manque de proximité avec les entreprises se double en outre d’une grande difficulté à concilier les intérêts des grandes firmes internationalisées présentes sur le territoire avec celui des PME-PMI locales, ainsi que les intérêts de secteurs d’activités aussi différents que le BTP et les nouvelles technologies ou la métallurgie et le consulting en management (Lafay, 2005).
Au sein du système d’acteurs local de la régulation économique territoriale, la CCIL souffre non seulement des critiques assez dures formulées par une partie croissante du patronat, mais également de la montée en puissance des interventions de la Région et de la réorganisation des instances consulaires à cette échelle. La CCIL est en effet concurrencée dans ses missions d’accompagnement des projets de développement à l’étranger des sociétés locales par une agence créée par le Conseil Régional Rhône-Alpes au début des années 1990 : Entreprises Rhône-Alpes International (ERAI). La mise en place de la Chambre Régionale de Commerce et d’Industrie, fédérant les 12 CCI de Rhône-Alpes et mutualisant certains services, affaiblit aussi la capacité d’intervention de la CCIL.
Toutefois, la coordination entre les structures patronales de branches, dans la chimie et le textile notamment 346 , et entre l’ensemble des acteurs économiques 347 , fortement encouragée par le niveau régional, ne remet pas en cause l’existence de structures de représentation des intérêts économiques au niveau local. « La gouvernance régionale en constitution se surajoute à la gouvernance métropolitaine » (Jouve, 2001a, p.12)
Le Grand Lyon participe directement à cette fragmentation des structures de représentation des intérêts économiques locaux depuis 1995, notamment par le biais du versement de subventions et par une incitation à la création de nouveaux organismes associatifs pour accompagner certaines orientations majeures de sa politique économique. Le Plan Technopole à travers le soutien à certaines filières d’activités technologiques innovantes et la démarche de prospective Millénaire 3, lancés durant la seconde moitié des années 1990, sont en effet l’occasion pour l’organisme communautaire de soutenir l’émergences de nouvelles structures, comme Lyon Infocité et Lyon Game par exemple, qui rassemblent les entreprises lyonnaises du numérique. Des démarches associatives analogues sont également encouragées dans le domaine des biotechnologies, concourant directement à court-circuiter la vocation historique de représentation de l’intérêt des entreprises assumée par la CCIL et le GIL-Medef auprès des pouvoirs publics locaux.
Ainsi, les structures traditionnelles de représentation des intérêts économiques lyonnais voient leur influence sur la gestion de la régulation économique territoriale être remise en question par l’émergence de nouveaux organismes associatifs ou syndicaux dans l’agglomération. Même l’institution communautaire, pourtant partenaire de la CCIL et du GIL au sein de l’ADERLY, semble chercher à remettre en question leur place et leur rôle au sein du système d’acteurs local depuis le début des années 2000, parallèlement à l’organisation de la nouvelle gouvernance économique territoriale.
Dirigeant de la société Jet Service.
Les Frères Pitance sont à la tête de l’une des principale société de BTP de la région lyonnaise (voir supra, 2ème Partie, Sections 2 et 3).
PDG des Docks Lyonnais.
PDG de BSN Danone.
PDG des Laboratoires Boiron.
CH.M., « Medef et CGPME dévoilent leur liste d’union », Le Progrès, 12/10/2004.
J. Turcas, Président de la CGPME du Rhône.
Union des industries chimiques et UNITEX.
Création de la Conférence économique régionale en 1999, à l’initiative de la CGPME du Rhône, du GIL et des 12 CCI de la région Rhône-Alpes.