… et progressivement relégués au second plan par la DAEI du Grand Lyon

Il semble que ce travail de sape de fond soit motivé en partie par la stratégie des responsables du Grand Lyon de conquérir le leadership politique et d’expertise au sein du système de gouvernance de la régulation économique territoriale, au détriment des acteurs économiques locaux. Celle-ci est particulièrement visible à travers l’organisation territorialisée de la politique économique communautaire, qui s’appuie sur un mode de répartition des rôles directement inspiré de la méthode de gestion des entreprises fondée sur la sous-traitance et l’externalisation des tâches les plus techniques (Veltz, 2002). Dans cette entreprise peu avouée de domination du Grand Lyon sur le dispositif collectif d’intervention économique territorialisé, la DAEI joue un rôle relativement important, en contribuant au court-circuitage des services de la CCIL par le biais notamment d’un volontarisme conquérant et de la culture managériale de ses techniciens ou chargés de mission.

Le Grand Lyon profite amplement du processus de perte de légitimité des organismes patronaux traditionnels de l’agglomération lyonnaise à participer en tant que pilotes à la conduite de la régulation économique territoriale. Il lui permet en effet d’affirmer progressivement sa domination politique sur le système d’acteurs local dans le domaine du développement économique, et d’organiser ainsi la gouvernance économique locale autour de son leadership (voir infra). Si l’investissement sur l’économie de la part du Grand Lyon reste largement incantatoire durant les années 1990 (Jouve, 2000), puisque essentiellement fondé sur des annonces politiques et des interventions très indirectes dans le champ des politiques urbaines (aménagement, urbanisme, grands équipements, etc.), la restructuration de la DAEI parallèlement au lancement du nouveau Plan technopole en 1998 et la territorialisation de l’action économique au sein des Conférences des Maires opérée au début des années 2000 inversent radicalement la tendance (voir supra, Section 2).

Pour remodeler le système d’acteurs local sous sa domination, l’organisme communautaire s’appuie sur plusieurs avantages relatifs, d’ordres financier, politique et institutionnel : une très grande capacité financière – un budget annuel en constante augmentation depuis les années 1990 et avoisinant 1,3 milliard d’euros en 2003, dont 1/100ème est consacré uniquement au développement économique – ; la montée en puissance de la politique économique communautaire qui se décline sur un panel d’actions de plus en plus large (Plan Technopole – Lyon Métropole Innovante, animation territoriale, réhabilitation des zones d’activités, veille et prospective économiques, etc.) ; une nouvelle légitimité officielle à intervenir dans le champ économique conférée par la captation de la TPU au détriment des communes, permettant la construction d’un intérêt général communautaire sur les questions relatives au développement économique (voir supra, Section 1).

Le choix politique des responsables du Grand Lyon de privilégier les contacts directs avec les entreprises (voir infra), l’apparition de nouvelles structures de représentation des intérêts économiques locaux et la prise en main de l’argument technopolitain, auparavant porté par les acteurs économiques (voir supra) ont également pour conséquence principale la perte de centralité progressive de la CCIL et de l’ADERLY dans la conduite et la définition des orientations de la régulation économique dans l’agglomération lyonnaise, ainsi que leur subordination progressive au leadership de la DAEI dans la conduite de la politique économique locale. La DAEI du Grand Lyon s’accapare ainsi le contrôle de l’expertise économique (par le biais de la sous-traitance notamment) et de l’approche stratégique du développement économique.

L’ADERLY voit son rôle et ses missions être de plus en plus concurrencées par l’action croissante des services économiques du Grand Lyon dans le champ de l’action économique dans la seconde moitié des années 1990. Déjà, la MDE empiète progressivement sur ses prérogatives en matière de gestion de l’offre de sites d’accueil pour les entreprises à partir de 1990 (voir supra, Section 1). La DAEI développe également très largement ses services à partir de 1996, prenant en charge certains volets de la promotion territoriale, l’assistance aux implantations d’entreprises dans l’agglomération et le soutien aux filières technologiques ou innovantes grâce à la relance du Plan Technopole. En 1998, une Mission ENS est attachée au secrétariat général du Grand Lyon pour accompagner les décentralisations d’établissements jugés stratégiques depuis Paris ou les nouvelles implantations à la place de l’ADERLY. En 2004, cette dernière se voit retirer complètement la gestion du dossier des implantations publiques, désormais internaliser dans les missions du Grand Lyon par les autorités communautaires 348 .

Les missions de l’ADERLY sont donc recentrées sur sa vocation de base : la promotion de la région lyonnaise et la prospection de projets susceptibles de s’y implanter, en France et à l’étranger, et l’accueil des nouveaux prospects ainsi identifiés (CCIL, 1997). Elle devient un simple exécutant au service de la politique communautaire, parfois même concurrencée plus ou moins directement par l’action débordante des services de la DAEI du Grand Lyon, après avoir été à la pointe de la régulation économique territoriale et des approches managériales et concurrentielles du développement économique local durant deux décennies.

La DAEI participe par ailleurs dès 1994 au groupe de travail SPIRAL 349 , qui organise la concertation des acteurs économiques lyonnais sur la question de la conciliation entre protection de l’environnement et développement industriel sur le territoire local. Elle représente le Grand Lyon dans la préparation de la Charte des implantations industrielles, signée par la CCIL, le Grand Lyon et le GIL-Patronat du Rhône début 1995 (voir supra). Cette démarche renouvelle en quelque sorte le partenariat institué entre les principaux acteurs politiques et économiques de l’agglomération à travers la Charte Industrielle et la création de l’ADERLY au début des années 1970 (voir supra, 2ème Partie, Section 3). Cependant, cette nouvelle coopération est beaucoup plus placée sous la domination politique de la communauté urbaine qui porte l’initiative, que celle initiée par les structures de représentation des entreprises locales vingt ans plus tôt.

La CCIL et l’ADERLY se trouvent ainsi reléguées dans une position quelque peu à la remorque des initiatives de développement économique territorial portées par le Grand Lyon. Le cas du parc technologique et environnemental de Porte des Alpes est très éclairant sur ce sujet (voir supra, Section 2). Les services économiques de la DAEI, qui portent la réalisation du nouveau Plan Technopole dans l’agglomération, confinent les structures économiques à un simple rôle de promotion et de communication, qui s’ajoutent aux efforts de publicité réalisés directement par la DAEI et la SERL (plaquettes, brochures, présentation dans des salons spécialisés comme le MIPIM de Cannes) (Frénéa, 2001). Les techniciens de la CCIL et de l’ADERLY jouent pourtant un rôle central durant la phase amont du projet au début des années 1990, au sein du comité de pilotage chargé de définir le contenu fonctionnel de l’opération : ils sont notamment à l’origine de son orientation scientifique et environnementale, étant encore porteurs à ce moment-là de la démarche technopolitaine et de la gestion de l’offre de sites d’accueil pour les entreprises dans l’agglomération.

l’ADERLY, qui porte en grande partie le premier Plan Technopole de l’agglomération lyonnaise dans les années 1980 (voir supra) se trouve en effet complètement mise sur la touche du pilotage et de la mise en œuvre du second Plan Technopole relancé en 1998 par la mandature de R. Barre. Le nouveau programme piloté par le Grand Lyon ne mentionne l’association de développement économique que de façon très marginale, uniquement pour rappeler sa mission de promotion territoriale et de prospection à l’extérieur du territoire métropolitain lyonnais. L’ADERLY n’assure ainsi, au mieux, que des tâches subalternes de diffusion de supports promotionnels vantant les compétences spécifiques de certains pôles d’excellence ou des filières innovantes de l’agglomération.

Il en va de même pour la CCIL. Le Plan Technopole de 1998, plutôt que de renforcer le partenariat historique existant entre l’organisme communautaire et la CCIL dans le domaine de la régulation économique territoriale, agit comme un révélateur des stratégies d’évitement, ou du moins de non prise en compte déployées par le Grand Lyon. En effet, il ne mentionne pas les projets d’accueil des jeunes entreprises technologiques ou innovantes souhaités par l’organisme consulaire dans des programmes d’immobilier dédié (pépinières, hôtels ou villages d’entreprises) spécifiques à chaque site technopolitain. Pourtant, la CCIL, gestionnaire des pépinières Novacités, réalise un audit qui montre dès 1998 – date du lancement de l’élaboration du programme d’action technopolitain – que le parc existant ne suffit plus pour répondre aux besoins des créateurs. Celui-ci préconise donc une double opération de réhabilitation et d’augmentation de l’offre dans l’agglomération, notamment sur les sites principaux de Gerland, la Doua et Lyon Ouest.

La réponse du Grand Lyon consiste plutôt à entamer des négociations pour transférer la compétence de gestion des Novacités depuis la CCIL vers la DAEI en 1999. Fin 2000, le vice-président chargé du dossier technopolitain demande à cette dernière de mettre en place une stratégie foncière et immobilière intégrant la problématique des pépinières, qui est adoptée début 2001 (Reverdy associés, 2002a). La CCIL n’est ainsi pas vraiment incluse dans le système d’acteurs du nouveau Plan Technopole piloté par le Grand Lyon, alors qu’elle est à l’origine du premier programme d’action technopolitain lancé dans les années 1980. Elle en est non seulement dépossédée par l’initiative politique communautaire, mais également délestée de la gestion du volet territorial du Plan technopole – la gestion des pépinières – alors que celui-ci s’avère être au final la plus pertinente et la plus efficace des actions contenues dans le programme (voir supra, Section 2).

En revanche, la CCIL reste impliquée dans le pilotage de la démarche Centre Européen d’Entreprise et d’Innovation Novacité mise en place en 1991 dans l’agglomération lyonnaise 350 . Celle-ci s’inscrit dans le dispositif « Lyon_Ville de l’entreprenariat » inclus dans la politique économique communautaire depuis 2001. Il s’agit d’un service d’incubation et d’accompagnement des projets de création de services ou de produits répondant aux besoins du marché, exploitant les technologies émergentes et comprenant ou non une dimension innovante. Cette mission de service aux entreprises portée par la CCIL correspond ainsi à une forme de sous-traitance de l’intervention économique en faveur du développement économique territorial, assurée pour le compte du Grand Lyon dans le cadre de la nouvelle organisation de la gouvernance économique instaurée depuis 2003 (voir infra).

La CCIL voit également sa crédibilité et sa légitimité concernant la gestion les grands équipements à vocation économique, dont elle a traditionnellement la charge (voir supra, 2ème Partie, Section 2), être mises à mal par les choix du Grand Lyon en matière de politique économique. Après avoir acquis les terrains destinés à accueillir le nouveau Marché d’Intérêt National de l’agglomération, le Grand Lyon se désengage en effet du financement de la réalisation des bâtiments en 2003, laissant la CCIL porter seule l’opération de délocalisation 351 . L’organisme communautaire multiplie par contre les offensives visant à renforcer son contrôle sur la gestion certains grands équipements considérés comme stratégiques en termes de développement économique.

Dans le cadre de la Décentralisation, un projet de loi examiné en 2004 prévoit la création de Sociétés d’Exploitation Aéroportuaires rassemblant à terme l’Etat, les CCI et les collectivités locales (conseils généraux notamment). Le Grand Lyon est ainsi à l’origine de la création du Club des entrepreneurs pour l’aéroport Lyon Saint-Exupéry fin 2003, mobilisant les forces économiques locales et régionales pour conduire des actions de lobbying auprès des autorités centrales et d’Air France 352 . L’association, imposée à la CCIL qui en devient partenaire, permet notamment au Grand Lyon de mieux exercer son influence et de revendiquer sa part de compétence dans la gestion du grand équipement d’agglomération, en l’inscrivant dans le contenu de la politique économique territoriale.

L’organisme communautaire lyonnais se positionne donc progressivement comme l’acteur dominant du système d’acteurs de la régulation économique territoriale dans l’agglomération. Il impose son leadership à ses partenaires traditionnels représentant les intérêts des entreprises locales, en empiétant toujours plus sur leurs compétences et prérogatives d’action. La DAEI joue un rôle non négligeable dans la mise en œuvre technique et opérationnelle de cette stratégie hégémonique, légitimée d’un point de vue plus politique par l’organisation d’une nouvelle forme de gouvernance économique territoriale pilotée par le Grand Lyon.

Notes
348.

J.-M. Daclin, consultant en communication de profession, est le vice-président communautaire chargé du rayonnement international de l’agglomération qui est à l’origine de ce transfert de compétence.

349.

Secrétariat Permanent pour la prévention des pollutions Industrielles et des Risques dans l’Agglomération Lyonnaise.

350.

Initiative créée par la commission des communautés européennes (DG XVI) pour favoriser une dynamique économique s'appuyant sur le potentiel local. Dans l’agglomération lyonnaise, elle est née du partenariat entre la CCIL, le Grand Lyon, le CGR et les communes de Lyon, Villeurbanne et Ecully, rassemblés au sein du Syndicat Mixte pour la Promotion des Pépinières d'Entreprises Innovantes (SMPPEI) créé dans le cadre du premier Plan Technopole.

351.

Le déplacement du MIN du quartier de Perrache vers la zone d’activités de Corbas est prévu depuis 1991, mais il est rendu impératif d’ici 2007 par la réalisation du projet de renouvellement urbain de Lyon Confluence.

352.

Lettres d’informations du Club des entrepreneurs pour l’aéroport Lyon Saint-Exupéry, 5 n° de novembre 2003 à mars 2005. Disponibles sur le site économique du Grand Lyon (http://www.entreprendre.grandlyon.com).