3- La gouvernance économique lyonnaise

Le partenariat entre le Grand Lyon et les structures de représentation des entreprises de l’agglomération lyonnaise pour la gestion de la régulation économique territoriale est assez ancien et notamment matérialisé par l’existence de l’ADERLY (voir supra, 2ème Partie, Section 3). Suite à la montée en puissance de l’organisme communautaire sur les questions relatives à la régulation économique territoriale, celui-ci est réaffirmé par la signature d’une Charte de partenariat avec la CCIL en 1997 notamment, destinée à accélérer le développement économique de l’agglomération (CCIL, 1997, p.17), mais également passablement modifié pour conférer un rôle directeur plus important au Grand Lyon.

Les prolongements récents de la démarche du SDE lancée par l’Agence d’urbanisme, et notamment son intégration politique par le Grand Lyon depuis 2001, permettent en effet à l’organisme communautaire de structurer le partenariat au sein du système d’acteurs local à son avantage et d’organiser la répartition des tâches entre les différents organismes impliqués dans la conduite de la politique économique sous sa direction. La démarche est rebaptisée Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise en 2003, lors du lancement officiel de la nouvelle phase de mise en application de la politique économique territoriale définie dans le cadre du SDE. Le Grand Lyon s’arroge le leadership et la CCIL apparaît dans ce nouveau contexte politique local comme la principale perdante de la mise en place de la gouvernance de la régulation économique territoriale dans l’agglomération lyonnaise.

Toutefois, le même constat plus large peut être formulé pour les autres organismes de représentation des intérêts économiques locaux (Chambre des Métiers, GIL-Medef, CGPME) : ils sont tous placés par le nouveau dispositif de gouvernance dans une position légèrement inférieure de partenaires – sous-traitants par rapport au Grand Lyon. Celui-ci détient la plus grande capacité financière au sein du système d’acteurs de la régulation économique territoriale, ce qui lui permet de le contrôler et d’imposer son leadership à grand renfort de subventions. C’est lui également qui perçoit l’impôt économique sur les entreprises par le biais de la TPU (voir supra, Section 1) : cette ressource représente le tiers du budget communautaire depuis 2003, qui s’élève à plus d’1.3 milliards d’Euros par an. Le Grand Lyon affirme ainsi également son leadership et sa domination sur ses partenaires à travers sa puissance financière, largement supérieure à celle des autres acteurs.

Le nom même du dispositif politique de gouvernance de la régulation économique territoriale dénote la totale domination de l’organisme communautaire. Certains partenaires, notamment la CCIL et le GIL-Medef qui voient leur rôle fortement diminué au sein du système d’acteurs par rapport à leur primauté historique, n’apprécient ainsi guère la méthode GLEE, ni la dénomination choisie. Celles-ci confèrent en effet au Grand Lyon, non seulement le rôle central et directeur dans la conduite de la régulation économique territoriale, mais aussi la légitimité de la défense de l’intérêt des entreprises, alors que cette mission leur est traditionnellement dévolue.

Les partenaires institutionnels représentatifs du monde économique (CCIL, GIL-Medef, CGPME, etc.), relativement dominants au sein du système d’acteurs local de la régulation économique territoriale jusqu’à la fin années 1990 (voir supra), ont désormais bien moins de liberté de manœuvre qu’auparavant au sein de GLEE, car ils se trouvent soumis à la domination politique et aux tentations hégémoniques du Grand Lyon sur le système d’action collective. Il se sert notamment du dispositif partenarial de gouvernance économique pour organiser un vaste système de sous-traitance de la mise en œuvre de la politique économique d’agglomération, dont il est le principal donneur d’ordres et le chef d’orchestre. La DAEI du Grand Lyon se charge de la coordination générale des aspects techniques du dispositif GLEE, et le plan de mandat de G. Collomb fait office de programme pour l’encadrement politique des orientations stratégiques de l’action. Celui-ci reprend les grandes orientations résultant de la démarche du SDE, arrêtées en 2001 (voir infra).

Les axes prioritaires d’intervention du nouveau plan stratégique de développement économique territorial sont ainsi « Lyon_Ville de l’entreprenariat », « Rapprocher et innover », « Renforcer les pôles d’excellence », « Promouvoir le territoire métropolitain », « Aménager et gérer le territoire » et « Eco-développer » (GLEE, 2004). Ils sont déclinés en plusieurs actions qui sont toutes plus ou moins directement financées par le Grand Lyon, grâce à des subventions de fonctionnement versées aux différents partenaires chargés de leur mise en œuvre.

Le partenariat entre le pouvoir politique lyonnais et les principaux acteurs économiques au sein de la démarche GLEE est cependant organisé de façon à établir un double pilotage politique et technique collectif. Au niveau politique, l’animation du dispositif est ainsi assurée par le Groupe de gouvernance, qui réunit deux ou trois fois par an les cinq présidents du Grand Lyon, de la CCIL, de la Chambre des Métiers du Rhône, du GIL-Medef et de la CGPME, et par le Directoire, qui rassemble toutes les six semaines les cinq directeurs généraux des organismes partenaires. Au niveau technique et opérationnel, une vingtaine d’actions prioritaires sont choisies parmi les 64 identifiées en 2001 à l’issue de la démarche du SDE : chaque partenaire se voit confier la responsabilité du pilotage de plusieurs de ces actions, en fonction de ses compétences particulières.

De nombreux autres partenaires sont associés à la démarche pour assurer la mise en œuvre de projets spécifiques : la Fédération des Associations d’Entreprises des Zones d’Activités (FAEZA) pour l’animation économique locale (GLEE, 2005a) et la requalification des zones d’activités, la Villa Créatis pour la gestion de l’Espace Numérique Entreprises, l’association Lyon Game pour le développement du cluster des loisirs numériques, l’Office du Tourisme et des Congrès pour la promotion culturelle et touristique, la SERL pour l’aménagement des zones d’activités, le SPIRAL et l’APPEL pour la gestion du cluster environnement, l’EM Lyon pour le soutien à l’entreprenariat, etc. Des institutions publiques nationales, régionales, locales, ainsi que des organisations professionnelles, des établissements d’enseignement et de formation, des experts et des investisseurs, et de nombreuses associations participent également à la mise en œuvre de certaines actions (GLEE, 2005).

Ils forment un large réseau d’acteurs économiques publics et privés qui contribuent à légitimer la démarche aux yeux des investisseurs et des responsables d’entreprises, en concrétisant la mise en application des principes du partenariat et de la concertation public/privé par l’organisme communautaire. Il s’agit aussi de réduire la distance entre la technocratie communautaire et les « administrés » qui paient la taxe professionnelle, de rendre l’action plus lisible et d’améliorer la visibilité du travail des équipes techniques de la DAEI, souvent raillées par les acteurs économiques (chefs d’entreprises notamment) pour leur manque de connaissance des réalités du monde des entreprises et de leurs contraintes au quotidien, malgré leurs efforts d’acculturation managériale (voir supra, Section 2).

Le Grand Lyon peut ainsi s’appuyer sur cette démarche nouvelle de gouvernance économique territorialisée pour renforcer sa crédibilité et sa légitimité vis-à-vis du monde économique, en affirmant sa présence au plus proche des entreprises au niveau politique comme sur le terrain de l’action. Le dispositif partenarial de sous-traitance des tâches les plus techniques du développement économique lui permet aussi de pallier avantageusement son manque de compétence et de savoir-faire spécifiques en la matière. La volonté de se positionner comme un acteur central de l’économie locale, d’agir tel un véritable prescripteur de stratégique économique auprès des entreprises, de favoriser le développement de certaines filières d’activités et autres clusters, nécessite en effet pour les pouvoirs publics communautaires de pouvoir capter et s’approprier l’expertise développée au sein du monde économique.

L’intégration de la nouvelle organisation territorialisée de la politique économique du Grand Lyon au sein de la démarche GLEE permet en outre de contrer la présence et l’influence très forte de la CCIL sur le terrain depuis le début des années 1990, par le biais de ses antennes locales (voir supra). La DAEI apparaît ainsi plus clairement comme l’interlocuteur principal et central aux yeux des entreprises sur le territoire, grâce à la nouvelle tutelle organisationnelle de fait exercée sur les services déconcentrés de l’organisme consulaire à travers la mise en place du système d’externalisation du portage de l’animation économique territoriale par le Grand Lyon.

La situation de concurrence larvée tend même à devenir conflictuelle sur le terrain, y compris avec les associations d’entreprises locales qui ont souvent des liens étroits et anciens avec les antennes de la CCIL. Les développeurs économiques mis en place par le Grand Lyon au sein des Conférences des Maires sont notamment accusés d’empiéter sur le rôle des organismes à vocation économique présents de plus longue date sur le territoire, du moins de n’avoir avec eux qu’un rapport utilitariste destiné à pallier les carences de compétences techniques dont ils souffrent, à l’image de la DAEI (voir supra, Section 2).

La politique de développement économique communautaire est donc désormais confondue avec celle organisée de façon partenariale au sein de la gouvernance économique Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise (Grand Lyon, 2004a), ce qui permet à la structure intercommunale de s’afficher comme l’acteur dominant de la régulation économique territoriale dans l’agglomération lyonnaise, en lieu et place des organismes patronaux et autres structures de représentation des intérêts économiques locaux. Les autorités politiques lyonnaises semblent ainsi avoir conquis le premier rôle au sein du système d’acteurs local au détriment des organismes économiques et patronaux, et gagné la bataille relative au portage de l’intérêt des entreprises, en l’intégrant directement dans leurs prérogatives de conduite de l’action publique sur le territoire.