Le recours aux entreprises privées dans l’aménagement urbain

Le premier signe d’une place nouvelle conférée aux acteurs économiques de la part des acteurs politiques locaux peut être perçu à travers la concession de certaines opérations d’aménagement ou d’urbanisme à des investisseurs privés durant les années 1980. Plus qu’une véritable évolution cependant, ce phénomène déjà observé sous d’autres formes et à d’autres époques 353 traduit plutôt le pragmatisme et une certaine volonté d’encadrement des initiatives privées de la part de la puissance publique, pour des opérations correspondant avant tout à des opportunités de valorisation du patrimoine foncier détenu par une entreprise.

Le groupe Rhône-Poulenc offre l’exemple le plus emblématique de ce type d’opération d’urbanisme privée destinée à remettre sur le marché des terrains dont il est propriétaire, en raison de son attachement historique à Lyon et de l’importance de son patrimoine foncier au niveau local. Le groupe est en effet directement impliqué dans la réutilisation urbanistique et économique de ses friches industrielles dans l’agglomération lyonnaise, à Vaulx-en-Velin, Vénissieux et à Lyon. A Vaise, la ZAC M. Berthet à proximité de la gare de Gorge de Loup est ainsi prise en charge à partir de 1986 par la société TISA, une filiale du groupe spécialisée dans la conduite des opérations d’aménagement et de restructuration urbaine de son important patrimoine foncier (Laferrère, 1989). Cette opération, mêlant réalisation de programmes immobiliers de bureaux et de logements, ne décolle cependant véritablement que dans la seconde moitié des années 1990, après l’arrivée du métro et avec le lancement du vaste projet de réaménagement de Vaise.

A Gerland également, des opérations importantes sont directement réalisées par des investisseurs privés. La ZAC des Berges du Rhône est ainsi lancée en 1981 par la société Plastic Omnium, pour la réalisation de son siège social, de celui de la société Mérieux et d’un grand complexe hôtelier. Les Magasins Généraux aménagent également certains de leurs entrepôts en parcs d’activités, tandis qu’un partenariat entre propriétaires privés et puissance publique est expérimenté sur les ZAC Porte Ampère et Massimy (Bourdin, Petitet, 2002).

Ce phénomène d’implication des acteurs privés en lieu et place de la puissance publique peut s’expliquer par différents facteurs. Le principal est directement lié au problème du portage foncier sur les périmètres en friches. Les parcelles appartiennent en effet le plus souvent à l’entreprise qui libère les terrains, il est donc plus facile pour elle, et souvent plus intéressant et rentable financièrement, de s’occuper de leur réutilisation à des fins de programmes immobiliers tertiaires ou de logements puis de leur commercialisation une fois aménagés, que de les céder à la collectivité au prix du terrain industriel pour que celle-ci se charge de leur revalorisation urbanistique et de leur remise sur le marché au prix des nouveaux usages.

De plus, la pensée dominante au sein du milieu politique au pouvoir à Lyon privilégie plutôt une gestion des questions de régulation économique par les principaux intéressés, à savoir les acteurs économiques que sont les entreprises ou leurs organismes de représentation comme les chambres consulaires. Le problème des friches industrielles est également perçu comme un problème essentiellement économique au début de la crise, dont la résolution dépend du fonctionnement du marché foncier et immobilier privé (remplacement quasi immédiat des usines par des immeubles de bureaux ou de logements, surtout dans le périmètre central des agglomérations urbaines), conformément à la situation générale durant les années de croissance. La multiplication des vacances et l’augmentation de leur durée entraînent cependant un changement de point de vue au cours des années 1980 : les friches deviennent ainsi un problème urbanistique à part entière, nécessitant l’intervention croissante et plus directe de la puissance publique (Tomas, 1982).

Enfin, si la COURLY n’a pas encore de véritable compétence en matière de développement économique durant les années 1980, elle dispose déjà de compétences en matière d’aménagement urbain et de conduite de projet de plus en plus développées en interne. Les services communautaires chargés de l’aménagement et des opérations d’urbanisme sont alors en effet en pleine phase de structuration et de développement de leur savoir-faire opérationnel, notamment grâce à la réalisation de l’opération de requalification du quartier de Gerland en régie directe (voir supra, Section 2). Le suivi des opérations d’aménagement privées permet ainsi de compléter l’expertise communautaire en matière d’urbanisme opérationnel, en combinant l’expérimentation du travail en partenariat avec des propriétaires fonciers privés et l’encadrement réglementaire de leurs initiatives par le biais de la procédure de ZAC.

Il résulte donc de cette situation une intense coopération juridique et urbanistique entre les entreprises lyonnaises impliquées dans des opérations de réaménagement de leurs terrains suite à la fermeture d’établissements productifs et les pouvoirs publics communautaires. Dès le début des années 1980, près de la moitié des opérations d’urbanisme en procédure de ZAC sont ainsi concédées à des acteurs privés 354 . Un service du département Développement de la COURLY se charge même expressément de la gestion des relations avec les investisseurs privés et les entreprises bénéficiant de concessions d’urbanisme ou de gestion de services publics locaux à partir de 1983 (voir supra, Section 2).

Notes
353.

Voir notamment l’urbanisme haussmanien de la fin du 19ème siècle, largement porté par des investisseurs privés, ou plus récemment certaines opérations de rénovation urbaine conduites dans les vieux centres-villes après la seconde guerre mondiale.

354.

Archives du Grand Lyon.