Un cas d’école, la Cité Internationale

Parallèlement à la montée en puissance des préoccupations politiques en faveur du développement économique au cours des années 1980, les responsables de la Ville de Lyon et de la COURLY, comme les techniciens de l’Agence d’urbanisme chargés de l’élaboration des documents de planification urbaine et territoriale, sont amenés à rechercher l’expertise spécialisée des chefs d’entreprises et des représentants du monde des affaires pour définir les orientations et même réaliser les grandes opérations d’aménagement considérées comme stratégiques pour le développement économique local. Ces derniers sont en effet considérés comme étant plus au fait des enjeux stratégiques du développement dans un contexte d’exacerbation des logiques de concurrence, ainsi que des attentes du monde économique vis-à-vis du territoire.

Ainsi, la définition du programme de l’opération de rénovation urbaine à vocation économique située sur le site de l’ancien Palais de la Foire (Quai A. Lignon), lancée en 1984-1985 par la COURLY et la Ville de Lyon à l’initiative de F. Collomb 355 , est l’occasion pour l’équipe politique qui lui succède de mobiliser une partie du patronat local au service de la conception du programme. Ce grand projet d’urbanisme est destiné à combler le déficit tertiaire et d’internationalité de l’agglomération lyonnaise, grâce à l’implantation d’Interpol et à la réalisation d’un nouveau palais des congrès. Les premières années cependant, l’opération a du mal à décoller faute d’un contenu urbanistique et fonctionnel précis, comme d’un nom porteur de développement et d’attractivité, autre que celui correspondant à sa localisation géographique.

Après son élection en 1989, M. Noir demande donc à son adjoint aux implantations tertiaires et administratives 356 de constituer un groupe de réflexion et de proposition rassemblant les principaux chefs d’entreprises lyonnais et des dirigeants de grands organismes internationaux présents dans l’agglomération. Ils sont en effet considérés comme les meilleurs experts locaux sur les questions relatives à l’enjeu international de Lyon, et les mieux à même d’exprimer les attentes du monde économique en matière de nouveaux produits urbanistiques. Ce rassemblement d’experts, baptisé Conseil International de Lyon (CIL), est constitué notamment de représentants d’Interpol, des Laboratoires Mérieux, de Péchiney, des sociétés Boiron et BSN Danone ou encore du Centre International de Recherche contre le Cancer (CIRC) 357 . Il est chargé d’étudier la faisabilité et les modalités de l’internationalisation de la métropole lyonnaise, et plus précisément de trouver un contenu et une substance concrète au concept de Cité Internationale, nouveau nom de l’opération.

Il fait office de bureau de consultants et de conseil de compétence économique auprès du pouvoir politique local, qui bénéficie ainsi de précieuses entrées et de relais utiles au sein des milieux d’affaires lyonnais. Leurs préconisations influencent aussi notablement les orientations stratégiques du SDAL élaboré à la fin des années 1980 (voir infra), et les choix de rénover l’Opéra de Lyon ou de transformer les anciens abattoirs de Gerland en nouvelle salle de spectacles et d’expositions polyvalente. Les préconisations du CIL mettent ainsi l’accent sur la nécessité de ne pas uniquement travailler sur les seuls aspects économiques des projets urbains en cours de réalisation, mais aussi sur les atouts induits par une politique culturelle ciblée et orientée en faveur du rayonnement international (voir supra, Section 1).

C. Boiron 358 pointe en effet dès son arrivée dans l’équipe politique de M. Noir la nécessité d’élargir le champ de l’action de promotion territoriale à d’autres domaines que le simple affichage d’une économie compétitive, et la nécessité d’ouvrir la ville sur l’extérieur en intégrant la dimension culturelle dans la stratégie d’internationalisation de la métropole : « On pense souvent « international » sur le seul plan économique. On doit aller plus loin que la simple évidence. Une ville doit lier des contacts culturels » 359  ; « le patrimoine culturel et artistique est sous-exploité dans nos relations internationales. La politique culturelle lyonnaise doit être conçue comme un ambassadeur de notre volonté de développement politique international » 360 .

L’extension considérable de la gestion déléguée des travaux et des services urbains au bénéfice de grandes sociétés privées est par ailleurs l’une des caractéristiques principales de la réorganisation de l’action publique au niveau local après les lois de décentralisation. Une partie croissante des responsables politiques français – les jeunes cadres de Droite très influencés par la pensée libérale comme M. Noir en tête –, considère que le partenariat public/privé constitue la solution idéale à l’épuisement des ressources publiques, à la difficulté de gestion économique des projets ou des services urbains et au manque d’expertise stratégique des collectivités locales.

Les grandes firmes privées du secteur se recomposent donc autour d’un rapprochement entre leurs activités de gestion des réseaux techniques et leurs activités de construction immobilière à partir du milieu des années 1980, selon un « schéma ensemblier » leur permettant de proposer des contrats de réalisation clés en main aux collectivités locales pour les grandes opérations d’urbanisme (Lorrain, 1992 ; Lorrain, 1993).

La Cité Internationale de Lyon est ainsi le théâtre du recours à la concession d’urbanisme, cette fois-ci non plus rendu nécessaire par les conditions de portage du foncier (voir supra), mais motivé par des raisons idéologiques et politiques de développement du partenariat public/privé dans l’aménagement urbain. M. Noir plaide pour un financement totalement privé de l’opération, qui est confiée dès 1989 à la SARI, filiale spécialisée dans l’immobilier de la CGE 361 (Bourdin, Petitet, 2002). Celle-ci, soutenue par la vision stratégique du CIL, privilégie la rentabilité des investissements engagés au détriment de la valeur patrimoniale du site, pour rejeter le projet architectural initial prévoyant la réhabilitation de l’ancien palais de la Foire 362 . Elle se satisfait du nouveau parti architectural plus moderne et dense défini par R. Piano, mais pâtit de la crise immobilière du début des années 1990 pour commercialiser les programmes, qui accueillent au final plus d’investisseurs locaux qu’internationaux 363 .

La SPAICIL 364 , créée par la CGE pour conduire la seconde tranche de l’opération de 1993 à 1999, finit même par se désengager de l’investissement et de l’aménagement en raison des difficultés économiques de l’opération, pour ne plus intervenir qu’en qualité de constructeur – opérateur. C’est donc la SEM de la Cité Internationale, créée par la COURLY en 1987 et premier aménageur historique de l’opération, qui se charge de son achèvement et de sa commercialisation depuis 2001 365 , après avoir été confinée dans des missions de pilotage global, de coordination des actions, de suivi de la maîtrise d’ouvrage, de garantie du respect du parti architectural et de lieu de concertation durant l’interlude décennal de concession de l’opération au secteur privé (Bourdin, Petitet, 2002).

Notes
355.

Il a été adjoint municipal chargé de la Foire de Lyon dans les années 1960, sous le « règne » de L. Pradel.

356.

Il s’agit encore de l’incontournable J. Moulinier, que l’on retrouve dans les exécutifs de F. Collomb, M. Noir et R. Barre. Il est sans doute mobilisé ici en raison de sa très bonne connaissance du projet, qu’il a contribué à mettre en place sous la mandature précédente, en ses qualités d’adjoint municipal et de vice-président communautaire à l’urbanisme.

357.

16 personnes au total.

358.

Adjoint au Maire de Lyon chargé du développement économique et international, héritier du célèbre fabriquant lyonnais de médicaments homéopathiques.

359.

C. Boiron, cité dans « Tempête cérébrale pour Lyon internationale », Lyon Libération, 13/10/1989.

360.

C. Boiron, cité dans « La culture, ambassadeur du rayonnement économique international », Le Progrès, 28/04/1990.

361.

La Compagnie Générale des Eaux est la société bénéficiant, en majorité et entre autres, du contrat d’affermage de la production et de la distribution d’eau potable dans l’agglomération lyonnaise.

362.

Il est conçu par l’architecte italien Renzo Piano, qui est également le concepteur du projet finalement réalisé à partir de 1993.

363.

Musée d’Art Contemporain de Lyon, multiplexe UGC Ciné-Cité, Hôtel Hilton et Casino le Pharaon (Groupe Partouche). Les surfaces de bureaux sont en outre occupées en partie par d’autres filiales de la CGE.

364.

Société Privée d’Aménagement et d’Investissement de la Cité Internationale de Lyon.

365.

De mi-1999 (liquidation de la concession d’aménagement privée) à 2001, le service d’urbanisme opérationnel du Grand Lyon (DGDU) gère l’opération en régie directe, le temps de modifier les statuts de la SEM d’aménagement pour lui permettre de reprendre la maîtrise d’ouvrage.