L’élaboration du nouveau schéma directeur de l’agglomération lyonnaise à partir de 1985 constitue une autre occasion d’ouvrir la sphère publique de l’aménagement, du moins l’étape de la préparation de la décision en matière de planification urbaine située en amont de l’aménagement à proprement parler, à la participation active des acteurs économiques. Le recours à la démarche de la planification stratégique, inspiré des méthodes de management des firmes et justifié par le contexte de crise et d’exacerbation de la concurrence interurbaine, permet en effet aux pouvoirs publics à la fois de mobiliser les représentants des entreprises au sein du système d’action local en faveur du développement économique, et de légitimer cette participation accrue des acteurs privés (Padioleau, Demesteere, 1992).
Ces derniers semblent beaucoup plus adhérer au principe de la planification spatiale, jugée moins contraignante et même nécessaire pour la réussite des objectifs de développement économique du territoire local, que durant les années 1970 (voir supra, 2ème Partie). Ils bénéficient pour cela de l’écoute attentive de la Cellule Economie de l’AGURCO, à travers les contacts d’échanges et de travail noués avec les acteurs économiques lyonnais dans le cadre des nombreux exercices de concertation et de réflexion collective qu’elle anime (Barbier de Reulle, de Courson, 1988) (voir supra, Section 2).
L’AGURCO, chargé de conduire l’élaboration du SDAL, privilégie ainsi les représentants du monde des entreprises dans ses consultations d’experts et d’acteurs, au détriment notable des représentants politiques des collectivités locales et surtout du reste de la société civile : habitants, usagers, syndicats, associations… (Prud’homme, Davezies, 1989). Les communes et la COURLY n’ont encore qu’une très faible légitimité sur les questions de développement local, notamment économique, malgré la Décentralisation, et leurs services économiques, quand ils existent, sont très techniques et assez éloignés des enjeux stratégiques de développement du territoire pour les entreprises. En revanche, les acteurs économiques locaux, qu’il s’agissent des entreprises ou surtout de leurs organismes de représentation (voir supra), jouissent d’une très grande crédibilité et d’une certaine expérience en matière de vision stratégique et de logique de positionnement territorial à des fins de développement économique.
Le choix d’adopter une démarche stratégique pour élaborer le SDAL peut être mis en parallèle avec le modèle interactionniste défini en référence à l’analyse des politiques publiques (Padioleau, Demesteere, 1992). Celui-ci renvoie à la reconnaissance du statut de protagonistes agissants aux acteurs qui sont directement concernés par l’objet de l’action publique, c’est-à-dire à la principale cible du développement économique territorial : les entreprises. Le nouvel exercice de planification, dicté par le constat de l’inadaptation du précédent document aux évolutions du contexte économique, est en effet largement placé sous la domination de l’enjeu économique. Il appelle donc la participation active des représentants du monde économique. Ceux-ci peuvent confronter leurs intérêts économiques privés à l’intérêt général des pouvoirs publics, notamment concernant la question des temporalités et des modalités du développement, voire imposer leurs intérêts et points de vue spécifiques en matière d’orientation des politiques urbaines locales.
« Ces partenaires proches ou éloignés, outre les enjeux dont ils sont porteurs, projettent sur la ville des jugements, des attentes. (…) Si dans le modèle classique les bonnes réponses, les solutions, s’imposent par la force irrésistible de l’évidence, le rapport social fondamental sur lequel repose le modèle interactionniste est celui de l’influence. Les consensus ne sont pas donnés mais à faire, en activant les solidarités d’intérêts et de sentiments (valeurs, idéologies, etc.) entre partenaires de l’action publique. Une telle problématique nécessite de créer des situations d’échange et d’apprentissage favorables à la mise au point de positions communes » (Padioleau, Demesteere, 1992, p.31). Cependant, le nombre et la représentativité des entrepreneurs consultés au cours du processus d’élaboration du schéma restent globalement très limités.
Quatre auditions d’experts et onze groupes de travail concernant les problèmes économiques au sens large, incluant aussi à l’occasion les questions culturelles ou les enjeux relatifs à l’aménagement, sont organisés par l’AGURCO entre 1986 à 1988, sous la forme de séminaires prospectifs ou de réunions de travail. Les représentants des organismes patronaux participent à la plupart de ces rencontres, ainsi que quelques chefs d’entreprises. Seulement cinq patrons ou cadres d’entreprises lyonnaises sont en effet conviés à prendre part aux débats et études autour de la préparation du projet territorial de l’agglomération, lors d’un séminaire de prospective se déroulant sous la direction du cabinet d’études TETRA (TETRA, 1987).
Ils sont tous issus de PME et de grands groupes particulièrement performants, appartenant à des secteurs d’activités en lien avec la haute technologie la mieux représentée dans l’agglomération et fortement exportateurs (électronique médicale, biotechnologie, chimie pharmaceutique, vaccins, etc.). Ils ont été sélectionnés par le truchement des réseaux d’interconnaissance des techniciens ou des responsables de la COURLY et de l’AGURCO, qui assistent le cabinet de consultants dans l’organisation des consultations d’experts. Certains appartiennent au CIL, chargé de mettre ses compétences économiques au service de la stratégie de développement local (voir supra). Ils sont censés représenter l’ensemble des acteurs économiques du territoire, mais rendent en fait plutôt compte du point de vue et des enjeux territoriaux propres à leur firme d’appartenance, sans réelle recherche d’une quelconque représentativité des témoignages de la part des auditeurs (Leblanc, 1993).
L’un d’entre eux est le président de la Commission « Développement économique » de la CCIL, désigné pour présenter la contribution de l’organisme consulaire aux réflexions sur l’élaboration du nouveau document. Sa présence traduit bien la volonté de fond des promoteurs du futur schéma directeur à l’étude de plutôt privilégier la participation indirecte des acteurs économiques locaux, c’est-à-dire par l’entremise de leurs structures de représentation, que de véritablement consulter de façon élargie et directe les chefs d’entreprises lyonnais.
Les experts consultés sont donc essentiellement sollicités comme un groupe de proposition et de réaction, assurant la fonction de consultant collectif mis à contribution à la fois pour élaborer et pour valider les différentes étapes de la démarche prospective : rédaction de documents synthétiques ciblant les enjeux principaux de la planification, diagnostic territorial, document préliminaire, scénarii de développement, première ébauche du document final, etc. Ils expriment notamment leur préférence à propos des deux scénarii identifiés (TETRA, 1987) : le développement intensif ou extensif de la métropole (i.e. une ville géographiquement concentrée versus une conquête de l’Est), le second remportant largement leurs suffrages.
Leur rôle et leurs méthodes de travail s’avèrent ainsi plus politiques que réellement prospectifs, restreignant de fait la marge de manœuvre stratégique des élus qui fondent en grande partie leur décision finale sur les consultations d’experts et sur le résultat de la réflexion prospective (Lavigne, Dost, 1988). Les deux scénarii qui servent de base de choix aux responsables politiques sont en effet des produits exclusivement issus de la réflexion des acteurs économiques. La démarche de prospective économique choisie est en outre délibérément fondée sur les logiques et les ressorts des acteurs privés, issus du monde de l’entreprise : concurrence, compétition, positionnement. Elle se base sur leurs logiques de comportement dans l’espace, qui sont essentiellement définies en référence au fonctionnement du marché et à leurs besoins économiques au sens large 366 : choix de localisation, mode d’arbitrage entre les différents avantages comparatifs des territoires, etc. (TETRA, 1987).
Quelques chefs d’entreprises sont également conviés a posteriori, pour exprimer leur point de vue sur le document de planification final, lors d’une discussion organisée fin 1988 367 , à l’issue du processus d’élaboration (Prud’homme, Davezies, 1989). Toutefois, ces efforts de consultation des acteurs économiques à titre individuel demeurent relativement anecdotiques et relèvent surtout d’une double volonté pédagogique et promotionnelle de la part des porteurs de la démarche de révision du schéma directeur lyonnais. Ceux-ci cherchent en effet à diffuser une certaine culture prospectiviste et territoriale au sein des acteurs économiques locaux, afin de les entraîner de façon plus ou moins implicite à participer à la politique de communication médiatique qui accompagne les travaux d’élaboration et de diffusion des principes stratégiques du SDAL. L’audition de représentants d’entreprises lyonnaises de haut rang permet ainsi à la fois d’afficher un certain élitisme économique, en phase avec l’orientation attendue du contenu du nouveau schéma, mais aussi de mettre en avant la participation du monde économique à l’élaboration de celui-ci (Lavigne, Dost, 1988).
L’orientation résolument stratégique et managériale conférée au projet de planification qui découle des travaux d’élaboration, dénote donc une très forte influence conceptuelle et méthodologique de la part des acteurs économiques impliqués, organismes de représentations des intérêts économiques locaux, chefs d’entreprises, mais aussi consultants. Ces derniers jouent également un rôle non négligeable dans la diffusion de la nouvelle culture managériale et stratégique auprès de la sphère technique et décisionnelle publique. Plusieurs cabinets de consultants privés sont conviés par les responsables de la démarche d’élaboration du SDAL, pour fournir leur expertise et définir implicitement un nouveau cadre conceptuel aux réflexions en matière de planification. L’injonction au développement et la mise en avant de l’impératif économique dans un contexte d’exacerbation de la concurrence internationale sont en effet directement issues des travaux de prospective réalisés par ces cabinets privés (voir supra, Section 2).
Après les concessions d’opérations d’urbanisme opérées par la COURLY au début des années 1980, l’AGURCO ouvre ainsi le chemin à une nouvelle prise en considération, des conceptions, des intérêts et des attentes économiques des entreprises par les pouvoirs publics dans l’organisation de la gestion territoriale. A travers l’animation du colloque « Demain l’agglomération lyonnaise » en 1984, puis l’élaboration du SDAL, elle incarne la nouvelle démarche stratégique de la planification urbaine et de définition de l’action publique locale, plus pragmatique et mieux à l’écoute des acteurs économiques présents sur le territoire, résolument placée au service de l’enjeu central du développement économique métropolitain et concurrentiel (voir infra, Section 2).
Les entreprises et les représentants de la sphère économique privée de façon générale apparaissent ainsi progressivement comme les principaux acteurs susceptibles d’accompagner les pouvoirs publics locaux dans leurs efforts de redéfinition et de conduite de nouvelles politiques urbaines, qui soient plus en phase avec les enjeux du développement économique territorial et de la gestion de la concurrence.
Infrastructures, proximité de la clientèle et des fournisseurs, disponibilités foncières et immobilières, prestations de services aux entreprises et aux ménages (salariés), etc.
Rencontre thématique intitulée « Le projet d’agglomération et le développement économique ».