Dès lors que le Grand Lyon se voit reconnaître officiellement la compétence de développement économique en 1992, une des préoccupations récurrentes des équipes politiques à la tête de l’exécutif comme des services techniques en charge de l’action économique est de renforcer les relations avec les entreprises de l’agglomération. Les enjeux sont multiples : aider à la définition du contenu de l’action économique, ce champ de compétence étant nouveau pour l’organisme communautaire, améliorer l’efficacité de l’intervention publique en faveur du développement économique en l’adaptant au mieux aux besoins des entreprises, augmenter la crédibilité des équipes techniques aux yeux des acteurs économiques (chefs d’entreprises, organismes consulaires, syndicats patronaux), qui n’ont pas toujours une image très positive de l’intervention des pouvoirs publics dans le domaine de l’économie, renforcer le soutien du monde économique aux autorités politiques communautaires, répondre aux attentes des entreprises, etc.
L’une des premières actions de la DAEI à sa création en 1993 est ainsi de nouer des relations étroites de confiance et d’attention avec les acteurs économiques lyonnais, avec pour objectif central : « être à l’écoute du monde économique » 368 . 160 entretiens sont organisés avec les organisations professionnelles, la CCIL et des chefs d’entreprises, de telle sorte que les entreprises de toutes activités, de toutes tailles et de tous secteurs géographiques d’implantation dans l’agglomération soient rencontrées. Deux centres d’intérêts principaux guident les entretiens : les possibilités d’amélioration des performances des entreprises grâce à de nouvelles actions déployées dans le cadre des compétences du Grand Lyon et les projets de développement des entreprises auxquels le Grand Lyon peut apporter son concours.
Il ressort notamment de ces entretiens que les firmes souffrent du manque d’équipements et d’infrastructures de l’agglomération (attributs dignes d’une métropole européenne, comme des transports en commun de qualité, une meilleure desserte aérienne, une offre hôtelière de standing, etc.), de la fiscalité trop élevée et non différenciée entre le centre et la périphérie, du manque de stationnement et des problèmes de signalisation qui rendent l’accès à leurs établissements malaisé pour les collaborateurs, fournisseurs et clients. Les entreprises se plaignent aussi d’être trop peu informées sur les projets d’aménagement et d’urbanisme dans l’agglomération et d’une absence plus générale de concertation de la part des pouvoirs publics.
Ces doléances relèvent toutefois essentiellement d’un discours non directement économique, relatif à l’environnement territorial des activités économiques et aux éléments situés à la marge du fonctionnement des entreprises. Il renvoie à la perception, ou plutôt à la représentation qu’ont les entreprises du rôle de la puissance publique en matière d’accompagnement du développement économique, c’est-à-dire implicitement à leur incapacité plus ou moins légitime de reconnaître une véritable influence sur le fonctionnement direct de l’économie aux politiques publiques dédiées à la régulation économique territoriale, malgré les efforts déployés en ce sens par les autorités locales.
Les entreprises de l’agglomération n’expriment à aucun moment en effet une quelconque attente en matière de stratégie de filière ou d’orientation sectorielle des activités économiques vis-à-vis de la DAEI, mais uniquement des besoins très banals, liés à ce que leurs dirigeants considèrent comme relevant de la compétence traditionnelle de la puissance publique communautaire : des infrastructures de transports et une meilleure desserte tant internationale que de proximité, des opportunités de localisation foncière et immobilière, des équipements collectifs, et une bonne information sur le projets d’action publique les concernant. Ce constat ne semble pourtant pas vraiment être réalisé par les services économiques communautaires, qui s’attachent plutôt à développer leurs actions qualitatives en matière de stratégie et de filières durant la seconde moitié des années 1990 (voir supra, Section 2), ainsi qu’à adopter un point de vue toujours plus proche de celui des entreprises (voir infra).
La DAEI assure donc une mission de sensibilisation des services communautaires et du pouvoir politique aux besoins et contraintes des entreprises, en répercutant les résultats des entretiens en interne. La vaste politique de construction de parcs de stationnement menée depuis le début des années 1990 dans le centre de l’agglomération peut ainsi être interprétée comme une réponse aux attentes de firmes locales, même si d’autres enjeux commerciaux et résidentiels rentrent en ligne de compte. Un constat analogue peut être fait concernant le Plan des Déplacements Urbains, le conventionnement de l’aéroport international par le Grand Lyon ou la politique hôtelière et touristique conduite depuis 1995. La DAEI s’attache aussi à structurer des programmes d’action qui soient adaptés aux besoins et demandes très concrets et matériels des entreprises : requalification des vieilles zones d’activités de l’agglomération (voir supra, Section 2), qui passe notamment par une nouvelle conception des signalisations intérieures, publication de plaquettes d’information et de communication pour permettre aux entreprises de connaître les actions du Grand Lyon, etc.
Le plan de mandat de R. Barre, qui place la politique économique comme prioritaire par rapport aux autres champs de l’action publique locale (voir supra, section 1), pointe en effet l’importance pour les services communautaires d’être à l’écoute des acteurs économiques : « servir au mieux les intérêts des entreprises installées ou appelées à s’installer dans le Grand Lyon » (p.5). Il insiste sur la nécessité de développer le dialogue, de tisser des liens étroits et d’améliorer la concertation avec les entreprises et le monde économique en général, par le biais des organismes de représentations ou en direct. Des rencontres annuelles avec les chefs d’entreprises sont donc organisées dans les locaux du GIL à partir de 1996, au cours desquelles les élus présentent le budget prévisionnel, les orientations de politique publique et les investissements prévus par la collectivité et recueillent l’avis des entrepreneurs 369 .
En 1997, le groupe Lyon Entreprendre (LYEN) est créé en lien avec l’Ecole de Management (EM Lyon). Il rassemble une dizaine d’entreprises lyonnaises dynamiques, chargées de donner leur avis sur les projets d’action de la DAEI pour lui permettre d’intégrer leurs attentes (Jouve, 2001a). La DAEI favorise enfin la participation des représentants du monde économique aux réflexions de prospective territoriale Millénaire 3 à partir de 1996 et au nouveau Plan Technopole lancé en 1998, que ce soit selon une logique de filières d’activités (entreprises innovantes des secteurs du numérique et des biotechnologies notamment) ou selon une approche plus globale des enjeux du développement économique local.
Certains patrons de la Nouvelle Economie se servent de cet engouement politique du Grand Lyon en faveur de l’approche qualitative et stratégique, et notamment de la promotion de la filière numérique, pour développer leurs affaires et apparaître comme des vecteurs à part entière du développement économique local, voire même des acteurs centraux dans la définition du contenu des grandes opérations d’urbanisme à vocation économique. B. Bonnell, PDG de la société Infogrames originaire de Villeurbanne 370 , traite ainsi directement avec les responsables du Grand Lyon pour négocier la nouvelle implantation de son siège social à Lyon en 1999. Il entraîne plusieurs de ces amis dirigeants d’entreprises du numérique et des loisirs marchands dans ce nouveau sillage de collaboration, qui marque le renforcement des liens directs entre sphère politique et sphère économique dans la conduite des politiques urbaines au niveau local (voir supra).
En échange du renoncement à partir s’implanter à Londres au profit d’un vieux quartier industriel de Lyon frappé par les difficultés de régénération urbaine de ses friches, il obtient en effet la cession d’un terrain et des options d’achat sur d’autres tènements à un prix très avantageux au cœur de l’opération d’urbanisme de Vaise-Industrie (9ème arrondissement), pour installer ses nouveaux locaux et pour des investissements futurs. Cette transaction particulièrement bénéfique pour les intérêts financiers de l’entreprise est également justifiée par son rôle emblématique de locomotive économique dans le lancement du projet de renouvellement urbain. L’entreprise impose ainsi ses vues sur l’orientation urbanistique et économique de l’opération, en privilégiant l’implantation de sociétés appartenant au même secteur des loisirs marchands et du numérique, et en exigeant certains aménagements de l’espace public en accompagnement de son développement sur le site (Jouve, Linossier, Zepf, 2003).
Infogrames acquiert la parcelle d’implantation de son siège social au prix du m² de terrain et non au prix du m² de SHON 371 . La même condition de prix, valable deux ans, est négociée pour l’accessibilité des trois parcelles adjacentes réservées par la firme. Les trois années suivantes, le prix d’achat de ces terrains est doublé mais reste encore largement compétitif au regard de la flambée des prix dans l’agglomération depuis la fin des années 1990. La pénurie foncière est particulièrement visible à Vaise-Industrie : en dehors des terrains réservés par Infogrames, il n’y a pas de parcelle disponible pour accueillir de nouvelles entreprises sur le périmètre de l’opération, du moins à court et moyen terme 372 .
Cette situation d’extrême tension du marché des localisations économiques contraint la société à renoncer à l’une de ses options au profit de la firme Cegid 373 , qui envisage elle aussi de délocaliser son siège social de la banlieue Ouest (Tassin) à Vaise-Industrie. La négociation de l’accord est orchestrée par G. Collomb, alors maire du 9ème arrondissement, et par la SERL chargée de la maîtrise d’ouvrage des ZAC : Infogrames cède le terrain en échange d’un contrat de sponsoring avec l’OL et de l’obtention d’une nouvelle option d’achat équivalente dans la deuxième tranche de l’opération. Un autre des terrains réservés est acheté par Infogrames dix jours seulement avant le doublement de son prix, avant d’être revendu au groupe Pathé 374 pour l’implantation d’un nouveau multiplex. B. Bonnell voit sans doute dans ses transactions l’occasion d’offrir un environnement économique de qualité au nouveau siège social de sa société, constitué d’entreprises appartenant à la même filière d’activités du numérique et des loisirs marchands.
Depuis l’arrivée de l’équipe de G. Collomb à la tête de l’exécutif communautaire, l’idée de développer des liens renforcés et privilégiés avec les plus grosses entreprises présentes sur le territoire de l’agglomération est par ailleurs directement intégrée dans l’action de développement économique de la DAEI. Deux techniciens de la DAEI se chargent de l’instauration d’un dialogue direct avec les plus gros employeurs de l’agglomération lyonnaise au sein du pôle de développement local. Une dizaine d’entreprises sont ainsi concernées par la démarche « Grands comptes » du Grand Lyon depuis 2002 375 , qui vise à mieux répondre à leurs attentes, à solidifier leur ancrage lyonnais et à fidéliser leur attachement territorial.
Elle est directement inspirée des dispositifs de fidélisation de la clientèle déployés par ces mêmes sociétés privées. L’objectif central est de créer un nouvel avantage comparatif territorial aux yeux des entreprises en matière d’écoute personnalisée, mais également de mieux sécuriser les emplois et le potentiel de R&D qu’elles recèlent, tout en les amenant à s’impliquer plus directement dans les politiques d’aménagement et de développement de l’agglomération. Il s’agit pour la puissance publique communautaire de renforcer sa capacité d’accompagnement des intérêts ou des stratégies de développement des grandes firmes présentes sur le territoire.
Certaines sont notamment porteuses de stratégies foncières importantes à suivre pour la collectivité locale : souvent propriétaires de grands tènements fonciers et/ou d’ensembles immobiliers, les grandes entreprises sont amenées par le tendance économique actuelle à se recentrer sur leur cœur de métier et à se désengager de la gestion de ce patrimoine, voir à s’en séparer définitivement. Dans un contexte de pénurie de l’offre de sites d’accueil économique dans l’agglomération, les pouvoirs publics locaux qui encadrent aussi les processus d’aménagement spatial se doivent d’agir en tant que partenaires privilégiés de ces stratégies.
Cette démarche d’accompagnement des grandes firmes doit également permettre d’améliorer la lisibilité de l’action du Grand Lyon pour les entreprises. Celles-ci sont demandeuses d’informations concernant les choix d’action publique dans la mesure où ils peuvent influencer parfois assez notablement l’évolution de leurs propres activités, mais la pluralité des acteurs institutionnels impliqués et la diversité des interventions mises en œuvre rendent la politique économique communautaire relativement opaque à leurs yeux.
Les relations nouées entre les services économiques du Grand Lyon et les entreprises locales sont donc de plus en plus étroites et directes. Il en va de même pour les services d’urbanisme opérationnel de la DGDU, pour les services fonciers communautaires et pour la SERL dans le cadre de la conduite des opérations d’urbanisme à vocation économique. Les entreprises deviennent non seulement des cibles, mais des partenaires de l’action publique en faveur du développement économique local, voir des vecteurs d’impulsion et d’orientation des choix sectoriels ou qualitatifs définis par les pouvoirs publics. Leurs intérêts économiques privés et leur point de vue tendent ainsi à s’imposer dans le processus de construction et de pilotage de la politique économique territoriale.
Bilan d’activités 1993 de la DAEI. Source : Archives du Grand Lyon.
Entretien du 12/04/04 avec N. Farrere, Directeur du GIL-Medef.
N° 2 mondial des jeux vidéo et informatiques, la société a changé de nom suite à des difficultés économiques en 2002, pour s’appeler désormais Atari (elle a racheté cette célèbre marque de jeux vidéo des années 1980).
C’est-à-dire environ 130 euros/m².
L’opération Vaise-Industrie est en effet décomposée en deux ZAC, Sud et Nord. La première tranche, lancée en 1999 avec l’installation d’Infogrames, est déjà entièrement commercialisée (y compris les terrains réservés par la firme phare). La totalité des gisements fonciers de la seconde tranche ne sont mis sur le marché que très progressivement jusqu’à 2010, au fur et à mesure de la délocalisation des activités existant sur le site.
Firme spécialisée dans la conception et l’édition de progiciels, dirigée par J.-M. Aulas qui est aussi le PDG du club de football l’Olympique Lyonnais.
Egalement sponsor de l’OL.
Renault Trucks, Total, Rhodia, Aventis, Koyo, Merck, BioMérieux, Adecco, Lyonnaise de Banque, EDF.