Du SDE au GLEE : l’avènement de l’intérêt des entreprises au cœur de la politique économique

Le SDE, piloté par l’Agence d’urbanisme de 1997 à 2002, puis la démarche de gouvernance économique Grand Lyon l’Esprit d’Entreprise lancée sous la mandature de G. Collomb, concrétisent la volonté politique affichée par les responsables du Grand Lyon de renforcer les relations directes avec les chefs d’entreprises présents sur le territoire de l’agglomération, voire de se saisir directement de la poursuite de l’intérêt des entreprises à travers l’action publique en faveur du développement économique.

La phase de diagnostic du SDE bénéficie plus aux chefs d’entreprises, cadres dirigeants et aux structures syndicales de représentation des entreprises (GIL, CGPME) qu’aux organismes consulaires et à l’ADERLY. Les premiers sont effet considérés comme naturellement légitimes à participer aux travaux en raison de leur pragmatisme et de leur intime connaissance des problèmes économiques, tandis que les seconds sont considérés par les porteurs de la démarche comme étant trop proches de la culture peu économique de la puissance publique. La faveur donnée au point de vue des entrepreneurs est encore accentuée après le changement de mandature de 2001. Le programme économique du mandat de G. Collomb est en effet totalement calqué sur les résultats de la démarche de diagnostic du SDE achevée en 2000, c’est-à-dire sur un programme d’actions qui est en grande partie conçu et défini par les chefs d’entreprises et leurs représentants patronaux lyonnais.

Les autorités politiques du Grand Lyon ne sont toutefois pas directement à l’origine du lancement de la démarche et ne la récupèrent qu’après coup à leur compte, une fois la dynamique installée (après 1999). Le diagnostic du SDE est en effet initié par le président de l’Agence d’urbanisme pour préparer un nouveau programme d’action économique pour l’agglomération, avec une attention très particulière portée à la grande implication des acteurs économiques privés et non institutionnels, chefs d’entreprises notamment, dans le processus d’élaboration et de suivi de la démarche. La méthode choisie pour l’élaboration du SDE est ainsi fondamentalement participative : il doit avant tout exister pour et par les entreprises (Agence d’urbanisme, 2002).

Si la première phase de mise en place du Comité de pilotage du SDE réunit les principaux organismes institutionnels représentatifs des pouvoirs publics et des acteurs économiques (Grand Lyon, GIL-Medef, CGPME, Chambres consulaires), les réflexions en groupe de travail et la préparation du diagnostic économique de l’agglomération à partir de 1998 mobilisent en effet essentiellement des représentants directs d’entreprises locales, et moins les structures institutionnelles. Les syndicats de branche participent cependant étroitement à l’identification des filières, aux travaux de prospective économique, aux bilan des actions publiques et aux travaux de benchmarking. Les structures représentatives du monde économique (organismes consulaires, syndicats patronaux) jouent donc essentiellement un rôle de facilitateur dans la démarche de coopération entre chefs d’entreprises et pouvoirs publics. « [Le SDE] s’affirme ainsi comme une pratique innovante de “gouvernance territoriale”, c’est-à-dire plus souple et plus sensible aux attentes des chefs d’entreprises. (…) [Il] ouvre le champ de l’action économique publique aux entreprises » (Agence d’urbanisme, 2002).

L’appui à la conduite et à la réalisation des travaux du SDE est en outre confié dès le départ à l’expertise technique du cabinet de consultants privé Algoé, afin de renforcer la crédibilité et la légitimité de la démarche aux yeux des acteurs économiques, et des entreprises en particulier. Les enquêtes épistolaires et les interviews auprès des responsables d’entreprises permettent non seulement de glaner des informations sur leurs besoins, sur le fonctionnement et les enjeux de l’économie lyonnaise, mais surtout de mobiliser les acteurs économiques privés et individuels autour de cette nouvelle démarche d’agglomération qui entend associer les entreprises dans la définition de la politique économique locale. Les représentants d’entreprises (dirigeants, cadres) apportent leur point de vue critique sur le bien fondé et la pertinence de la démarche par rapport aux intérêts et préoccupations des entreprises. Ils sont également convoqués pour fournir et valider une méthode adaptée à la problématique économique.

Les responsables de la démarche SDE au sein de l’Agence affichent ainsi une très forte volonté de privilégier la participation des entreprises et du tissu économique local de base de l’agglomération, au détriment des « hommes d’appareil », des techniciens et des responsables des organismes institutionnels économiques ou publics 376 . La démarche est également tenue le plus possible éloignée de la sphère d’influence des responsables politiques communautaires, afin de mettre en évidence sa dimension résolument économique et tournée vers l’intérêt des acteurs économiques privés appartenant au monde des entreprises.

Cette préférence peut s’expliquer par le profil professionnel libéral antérieur des responsables du SDE, et par l’opinion assez négative qu’ils en ont gardé concernant la pertinence et l’efficacité de la puissance publique en matière de régulation économique. Cette volonté participe aussi sans doute de la stratégie politicienne du président de l’Agence d’urbanisme : il s’agit en effet pour lui de préparer sa plate-forme économique pour le scrutin municipal de 2001, en cherchant le soutien politique et l’appui médiatique des milieux économiques lyonnais, dont il est lui-même issu (Guéranger, Jouve, 2004).

Les entreprises qui participent, notamment celles impliquées dès le départ, ne sont toutefois pas forcément représentatives du tissu économique local. Elles ont en effet été choisies plutôt en raison de liens d’interconnaissance existants entre les responsables techniques ou politiques impliqués dans la démarche et leurs dirigeants. Ce n’est qu’avec l’avancement de la démarche que des entreprises d’horizons plus divers sont intégrées dans les équipes de travail (environ 250 au total). En outre, les filières d’activités identifiées par le SDE ne sont pas non plus choisies au hasard ou de manière forcément représentative des effectifs salariés ou du nombre d’établissements sur le territoire. Elles correspondent en grande partie aux secteurs identifiés comme prioritaires par les politiques économiques antérieures du Grand Lyon, comme les biotechnologies et le numérique notamment.

On retrouve d’ailleurs les mêmes limites de représentativité des entreprises locales dans le panel d’acteurs économiques invités à participer au Plan Technopole depuis 1998. Ceux-ci sont plus choisis en fonction de leurs bonnes relations avec les porteurs de projets ou de leur disponibilité par rapport au souci de mobilisation collective que sur des critères objectifs de représentation des filières d’activités innovantes locales (Healy, 2002).

Le contenu du programme d’action qui découle de la phase de diagnostic du SDE correspond à une politique économique territoriale globale, très peu spatialisée mais fortement qualitative et majoritairement orientée vers la satisfaction des attentes des entreprises vis-à-vis du territoire local (Agence d’urbanisme, 2002). Il recense d’abord cinq enjeux prioritaires, présentés comme des impératifs en matière d’aménagement spatial, préalables pour le développement économique de l’agglomération lyonnaise : l’augmentation de l’offre foncière et immobilière pour les entreprises, le développement de l’aéroport international Lyon Saint-Exupéry, l’amélioration du réseau de transports en commun, le développement d’un maillage en réseaux numériques et le développement des équipement d’accueil (hôtellerie de standing, centre de congrès et salons, etc.).

Le SDE identifie ensuite les trois grandes priorités du développement économique local, déclinées chacune en plusieurs actions thématiques :

Ces priorités s’accompagnent de deux propositions complémentaires concernant le soutien à l’émergence de clusters (voir supra, 1ère Partie, Section 1), notamment dans les activités de services, et l’internationalisation de l’offre de formation et de recherche de la métropole. Enfin, le SDE met en évidence trois leviers nécessaires pour assurer la mise en application des grandes priorités économiques. Il s’agit du développement des ressources du marketing territorial (animation économique, mise en valeur des atouts qualitatifs et culturels de l’agglomération comme son inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO), de l’aménagement du territoire (infrastructures, grands équipements collectifs à vocation économique, espaces publics et cadre urbain de qualité) et de la prise en compte des préoccupations sociales et environnementales.

Ce programme d’actions pour la définition d’une nouvelle politique économique territoriale lyonnaise, issu d’un travail centré sur l’intérêt et les attentes des entreprises, met donc en avant la problématique de l’attractivité globale du territoire vis-à-vis des acteurs économiques au sens large : investisseurs, entreprises, cadres et dirigeants, main d’œuvre qualifiée. Le vice-président du Grand Lyon chargé des relations avec les entreprises sous la mandature de R. Barre pointe ainsi l’enjeu central du SDE : « une mise en cohérence de la fiscalité, des infrastructures, des relations entre les collectivités et les entreprises, de la création d’entreprises, de l’environnement… afin de mieux “vendre” notre territoire auprès des entreprises (…) [et de] renforcer ce qu’il convient d’appeler le “marketing territorial”, c’est-à-dire le dispositif d’action destiné à prouver aux entreprises qu’elles ont intérêt à venir s’implanter chez nous et y rester » (Agence d’urbanisme, 2002).

La démarche partenariale avec les acteurs économiques locaux et les orientations de politique économique du SDE sont véritablement intégrées au sein de la politique économique communautaire après le changement de mandature de 2001, qui correspond aussi à l’achèvement de la phase de diagnostic et d’élaboration du projet économique pour le territoire. Le Grand Lyon s’empare alors politiquement du dispositif et en confie le pilotage technique aux services économiques de la DAEI. Seul le volet de veille économique territorialisée reste géré par l’Agence d’urbanisme, à travers l’OPALE. Le SDE constitue une phase de diagnostic relativement technique, qui peut légitimement être portée en externe par rapport à l’institution communautaire. En revanche, la phase de mise en œuvre du programme d’action est éminemment plus politique, ce qui justifie sa récupération par le Grand Lyon. Elle ne peut en effet plus être confiée à l’Agence d’urbanisme, qui est avant tout un organisme d’études et de préparation de la décision (logiques d’observatoire, préparation des documents de planification, etc.).

La gouvernance économique territoriale de l’agglomération lyonnaise initiée par la démarche du SDE est rebaptisée Grand Lyon l’Esprit d’Entreprise (GLEE) en juin 2003 (voir supra), lors des premiers Etats Généraux de l’économie lyonnaise. Cette grande manifestation médiatique, largement relayée par la presse régionale 377 , consacre l’intégration de l’intérêt des entreprises par les autorités politiques et publiques communautaires. Près de 70 % des participants sont issus du monde des entreprises et près du quart représentent les organismes à vocation économique partenaires de la régulation économique territoriale. En revanche, les citoyens et le reste de la société civile ne sont pas représentés (voir infra).

Quatre tables rondes thématiques reflètent les grandes orientations de l’action définies par le SDE et déjà mises en œuvre de façon partenariale : le développement de l’entreprenariat, l’adaptation et l’innovation par les TIC et les alliances d’entreprises, l’animation et la promotion des pôles d’excellence (mode/création, Cancéropôle, TIC, biotechnologies), et la maîtrise de l’enjeu environnemental. Les trois grands enjeux du développement économique local sont également présentés attractivité et rayonnement international, accueil des activités économiques, développement des grandes infrastructures. Enfin, un grand débat est organisé pour répondre aux attentes des chefs d’entreprises en matière de foncier et d’immobilier, d’urbanisme et d’organisation des déplacements, de requalification des zones d’activités, de commerce, de TIC, de biotechnologies, de création d’entreprises, de relations avec l’enseignement supérieur ou de modalités de définition des orientations de la politique économique.

La seconde édition des Etats Généraux de l’économie lyonnaise se tient fin 2005 en présence de 1800 participants. L’ouverture à la participation plus large de la société civile se limite cependant à l’invitation du président du PUL, au titre de la forte implication de cette association dans la mise en œuvre de la politique technopolitaine et des nouveaux pôles de compétitivité labellisés par l’Etat et intégrés dans la politique économique partenariale de GLEE. La participation des entreprises et des acteurs économiques à la définition des orientations de la politique économique de l’agglomération est encore plus directe et calquée sur le processus démocratique : des votes consultatifs sont en effet organisés lors de la manifestation pour valider les différents aspects de l’action collective. Cependant, ce pseudo jeu démocratique se limite à l’expression des entrepreneurs et à la prise en compte de leur seul point de vue concernant la primauté d’une économie de la valeur ajoutée et de la compétitivité territoriale à l’échelle européenne voire mondiale (voir infra).

Un site Internet est mis en place parallèlement par les cinq partenaires de la gouvernance pour offrir aux acteurs économiques un portail d’accès unique au développement économique de l’agglomération lyonnaise 378 . Un journal d’information semestriel est également diffusé à partir de mi 2003 afin de rendre compte de l’avancement des différentes initiatives en faveur du développement économique local gérées dans le cadre de GLEE 379 . Enfin, une identité graphique commune (l’empreinte d’un lion laissée par des hommes et femmes d’affaires), une devise accrocheuse (« ce qui nous rapproche nous distingue ») et de nombreux supports de communication (affiches, plaquette, dossier de presse) accompagnent les efforts de diffusion de la démarche auprès des acteurs économiques (GLEE, 2004).

La communication est ainsi un élément central de la démarche de gouvernance économique territoriale alliant les entreprises aux pouvoirs publics communautaires. Une montée en puissance progressive de l’intégration des deux sphères est même prévue, visant à faire passer les acteurs économiques privés d’un rôle de spectateurs de la politique économique, à un rôle d’ambassadeurs, en passant par celui d’acteurs à part entière. La mission des partenaires du GLEE est en effet d’abord de diffuser l’information et faire comprendre le bien-fondé de la démarche aux entreprises, afin d’obtenir leur adhésion et leur participation, puis enfin de susciter de la fierté et une volonté de contribuer au rayonnement de l’économie lyonnaise de leur part au final (GLEE, 2004).

Malgré l’organisation collective de la mise en œuvre de la politique économique de l’agglomération, grâce à la répartition des différentes tâches entre les cinq partenaires en fonction de leurs spécialités, la mainmise technique et la domination politique des services économiques communautaires de la DAEI sur le dispositif est évidente (voir supra). L’intitulé même de la démarche de gouvernance économique reflète cet accaparement du portage de l’intérêt des entreprises par le Grand Lyon, qui est désormais placé au centre de la politique économique publique locale. Il reflète également de façon très explicite le nouveau choix de positionnement de l’organisme communautaire au service du développement économique concurrentiel et du point de vue des entreprises, aux attentes et stratégies desquelles il entend ménager une écoute attentive.

Celui-ci interroge cependant le positionnement politique et les limites éthiques de l’action publique en faveur du développement économique, notamment vis-à-vis de la représentation démocratique et du respect de l’intérêt général collectif, émanant essentiellement de la population locale et qui fondent théoriquement la légitimité des pouvoirs publics locaux à engager les deniers publics par le biais des politiques urbaines. Trop mettre en avant l’intérêt des entreprises peut s’avérer contradictoire avec les grands objectifs d’équilibre et d’équité de l’action publique locale, motivée par la poursuite de l’intérêt général et la défense des intérêts de la collectivité.

Notes
376.

Entretien réalisé par M. Zepf (chercheur invité à l’ENTPE) avec M. Bardel, Agence d’urbanisme pour le développement de l’agglomération lyonnaise, le 1er décembre 1999.

377.

« L’économie lyonnaise fait bloc pour se développer », Le Progrès, 30/06/03 ; « Le SDE devient Grand Lyon, l’esprit d’entreprendre », Petites Affiches Lyonnaises, n°645, 28/06-04/07/2003 ; « La grande messe des patrons lyonnais », Lyon Figaro, 30/06/2003 ; « Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise », Rhône Métiers, Juillet-août 2003.

378.

www.lyon-business.org.

379.

Développeurs, 5 numéros publiés par la DAEI du Grand Lyon : juin 2003, octobre 2003, mai 2004, novembre 2004, juin 2005.