Conclusion de section

L’émergence et le développement de la politique économique dans l’agglomération lyonnaise depuis le début des années 1980 est conditionné par l’organisation d’une démarche partenariale de gouvernance, rassemblant les principaux acteurs économiques et publics locaux. Les relations et la répartition des rôles mises en place au cours des années 1970 au sein du système d’acteurs local pour répondre aux nouvelles contraintes du contexte économique d’ensemble et au désengagement progressif de l’Etat (voir supra, 2ème Partie, Section 3), connaissent cependant une profonde réorganisation à partir des années 1990.

La reprise en main de la gestion des affaires économiques locales par les autorités politiques lyonnaises se fait en effet en grande partie au détriment des structures de représentation des intérêts économiques. Les organismes à vocation économique de l’agglomération sont historiquement des acteurs collectifs incontournables, centraux dans la conduite de la régulation économique locale. Ils jouent un rôle de premier ordre dans la conduite de la politique économique lyonnaise tant que le niveau intercommunal n’a pas de compétence spécifique en matière de développement économique. Durant la première phase de territorialisation qui s’achève au début des années 1990, ils portent ainsi la défense et la promotion de l’esprit d’entreprise dans l’agglomération en assurant la prise en compte des intérêts économiques par l’action publique. Ils diffusent également la culture managériale, les méthodes de gestion stratégique de l’action et les logiques de compétition territoriale, de concurrence économique et d’attractivité à des fins de développement auprès des pouvoirs publics locaux.

La volonté du Grand Lyon de s’affirmer comme l’acteur central et dominant du système de régulation économique territoriale dans les années 1990, tant d’un point de vue politique que technique, conduit à la remise en question de la légitimité d’intervention et du rôle des organismes économiques traditionnels dans la conduite de la politique économique locale. Elle est confortée par l’émergence de nouvelles structures de représentation des intérêts économiques dans l’agglomération, par la montée en puissance technique de la DAEI et par le développement de relations directes entre les services ou responsables communautaires et les entreprises. A travers cette présence au plus près des autorités politiques locales, les acteurs économiques (chefs d’entreprises, consultants) jouent ainsi non seulement le rôle de conseiller du prince et d’expert sur les questions de développement et de définition des politiques urbaines, mais ils imposent aussi progressivement l’idée d’une certaine priorité de leur point de vue sur les conceptions relatives à l’intérêt général.

L’organisation communautaire en arrive donc à intégrer de plus en plus le portage de l’intérêt des entreprises au sein de ses missions politiques et techniques, en lieu et place des organismes patronaux et des structures à vocation économique ad hoc comme l’ADERLY. La mise en place de la démarche de gouvernance économique Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise consacre la prise de leadership du Grand Lyon au sein du système d’acteurs local de la régulation économique territoriale et confirme cette intégration de l’intérêt économique par la puissance publique communautaire. La CCIL et les syndicats patronaux se trouvent relégués dans une position de simples exécutants et de partenaires relativement dominés, par un organisme intercommunal ayant des tentations hégémoniques au sein du dispositif de gouvernance économique. Le Grand Lyon répond ainsi aux nouveaux enjeux de positionnement des acteurs de la régulation au sein du mécano des territoires, liés à la globalisation de l’économie, à l’exacerbation des logiques de concurrence et à la recomposition territoriale de l’action publique qui en découle, en affirmant l’engagement politique de la sphère publique locale au service du développement économique et de l’intérêt des entreprises.

Toutefois, cette situation nouvelle interroge la pertinence du choix politique de privilégier le point de vue et les intérêts des acteurs économiques dans la conduite de la politique économique, au détriment notable de la poursuite de l’intérêt général et du respect de la pluralité des points de vue émanant de la représentation démocratique. La politique de régulation économique territoriale conduite sous la domination politique et technique du Grand Lyon, dont les compétences effectives en matière d’intervention économique demeurent très limitées (voir supra, Section 2), n’a pas forcément les moyens d’atteindre ses objectifs et doit encore faire la démonstration de son efficacité, non seulement en termes de compétitivité concurrentielle de l’agglomération lyonnaise vis-à-vis des investisseurs économiques, mais également par rapport aux arguments de légitimation portant sur la volonté de lutter contre le chômage et de favoriser l’emploi, affichés vis-à-vis des citoyens et habitants du territoire.

Sa mise en œuvre repose donc sur une alliance nécessaire avec les organismes représentant les intérêts économiques locaux, car ils possèdent une partie de la crédibilité, de l’expertise et des savoir-faire spécifiques qui font toujours défaut à la puissance publique locale. Ce partenariat technique du Grand Lyon avec les représentants des entreprises conduit cependant d’une part à des conflits de légitimité, notamment avec la CCIL qui voit son rôle historique remis en question, et d’autre part à une recrudescence des problèmes de mise en cohérence des volets économique et environnemental, urbanistique ou patrimonial des politiques urbaines. L’intérêt particulier des entreprises est en effet parfois en contradiction avec l’intérêt général poursuivi par l’action publique : dès lors que le premier est également pris en charge par la puissance publique, surviennent des situations de conflit latent au sein même des services techniques communautaires, qui peuvent remettre en question la crédibilité et la légitimité du Grand Lyon.

En outre, l’alliance politique des responsables politiques avec les acteurs économiques entraîne la mise à l’écart des éventuels intérêts divergents pouvant émaner de la population à propos des choix faits par les instances politiques locales en matière de développement économique concurrentiel. L’intérêt général se trouve ainsi être de plus en plus dominé par l’intérêt des entreprises, tendant même à s’éloigner de l’intérêt des habitants et des citoyens sous l’effet de la contrainte économique. Il y a là un risque politique réel pour la collectivité publique de se couper de sa base démocratique, et d’apparaître comme un acteur technocratique d’abord placé au service d’intérêts économiques particuliers, à l’image de l’Etat durant les Trente Glorieuses (voir supra, 2ème Partie).