Conclusion de la 3ème Partie

La territorialisation de la régulation économique territoriale dans l’agglomération lyonnaise correspond ainsi à un double processus politique et méthodologique de glissement de l’action économique et du portage de l’intérêt des entreprises du niveau étatique durant les années de croissance, au niveau local depuis la survenue de la crise économique. L’avènement du nouveau régime d’accumulation ultra flexible s’accompagne d’un mode de régulation territoriale qui repose sur la mise en concurrence des villes et des territoires locaux et sur la remise en question de la validité des échelles nationales dans le fonctionnement de l’économie, permettant de conférer un rôle déterminant aux responsables politiques locaux dans la conduite des politiques économiques. Le transfert de charge s’amorce avec la Décentralisation au début des années 1980, mais il se poursuit jusqu’au tournant des années 2000 afin de conforter la légitimité institutionnelle nouvelle des pouvoirs publics locaux à interférer dans le jeu de la régulation économique et à organiser leurs services techniques à cette fin.

La politique de développement économique conduite par le Grand Lyon dans l’agglomération lyonnaise correspond donc à un nouveau type de politique publique territorialisée, caractérisé par des modes d’action et de pilotage technique et politique inédits.

Elle résulte en effet de l’implication croissante des responsables politiques locaux, grâce au transfert de compétences opéré par l’Etat au profit des collectivités territoriales et des structures intercommunales. Ceux-ci s’emparent de la thématique du développement économique et l’inscrivent à l’agenda politique local. Ils mettent aussi en place des services techniques dédiés aux affaires économiques, dont les prérogatives d’action sont de plus en plus larges (voir supra, Section 1).

Elle repose également sur une approche transversale et globale de l’action publique, qui consiste à mettre les différents domaines de politique publique au service de l’impératif du développement économique compétitif et du renforcement de l’attractivité concurrentielle du territoire local. Cette démarche méthodologique nouvelle sous-entend notamment l’abandon de la vision fonctionnelle et cloisonnée du traitement des problématiques locales, ainsi que l’adoption de la culture stratégique et managériale de l’action des acteurs économiques par la puissance publique. Selon ce nouveau schéma conceptuel, les leviers d’intervention économique essentiellement indirects et assez classiques que sont l’aménagement spatial, l’urbanisme, la planification territoriale, déjà mis en œuvre par l’Etat durant la période précédente (voir supra, 2ème partie), sont réutilisés par les acteurs locaux et placés au service du développement économique dans une perspective de mis en valeur différentielle du territoire.

Cette intégration fonctionnelle des différents champs de l’action publique sur le territoire est également censée favoriser la proximité avec les cibles de la politique économique et permettre la différenciation de l’action en fonction des attentes. Le pragmatisme et la flexibilité apparaissent ainsi comme des piliers de la politique économique locale, tant en termes de recherche d’efficacité qu’en termes de renforcement de la légitimité des pouvoirs publics locaux à intervenir en matière de régulation économique territoriale pour satisfaire les besoins des entreprises.

Ceux-ci sont cependant tentés, par excès de zèle technique ou par stratégie plus politique de positionnement au sein du système d’acteurs de la régulation économique territoriale, de développer des actions économiques plus immatérielles, structurelles et qualitatives, de l’ordre de la prescription de stratégie économique ou de filière et donc susceptibles d’influencer le fonctionnement même des entreprises. Une telle politique économique très, voire trop soucieuse de s’aligner sur l’intérêt des entreprises, apparaît ainsi comme étant à la limite des compétences et des savoir-faire de la puissance publique locale.

Ceci nous conduit à pointer le rôle très important joué par les acteurs économiques et les représentants des entreprises dans le dispositif de pilotage et de mise en œuvre de l’action, ainsi que la place privilégiée accordée à leur point de vue sur l’enjeu économique. Ce nouveau type de politique publique territorialisée est en effet également caractérisé par une très large ouverture aux enjeux économiques portés par les entreprises, rendant nécessaire le recours à la démarche partenariale et aux logiques de gouvernance collective. La participation très active des acteurs économiques est ainsi à la fois justifiée par les limites techniques et en matière d’expertise des pouvoirs publics sur les questions économiques, et par le fait que l’action économique cible d’abord le développement des entreprises. Elle est donc censée prendre en compte prioritairement leurs conceptions, leurs intérêts et leurs attentes.

Le mode de gouvernance économique organisé par les pouvoirs publics lyonnais privilégie cependant la prise en compte des intérêts des entreprises au détriment du point de vue plus général des citoyens et des habitants, c’est-à-dire de l’ensemble de la société civile locale. La politique publique de régulation économique conduite sous l’autorité du Grand Lyon dans l’agglomération lyonnaise apparaît donc comme étant de plus en plus exclusivement assujettie aux seuls intérêts des acteurs économiques, qui sont porteurs d’une vision libérale très spécifique du développement économique local, dominée par la contrainte de la compétitivité concurrentielle et les logiques d’attractivité.

Ce pari est risqué dans la mesure où les entreprises ne sont pas forcément à la recherche d’un intérêt général dans leur relation au pouvoir et aux territoire locaux, mais plutôt à la recherche de la satisfaction de leurs besoins immédiats, liés à des problématiques de développement économique et de fonctionnement spécifiques. Les acteurs économiques entretiennent en effet un rapport utilitariste au territoire et au politique, ils sont de plus en plus mobiles et pas forcément fidèles. L’intégration du portage de l’intérêt des entreprises par le Grand Lyon au travers de l’organisation de la gouvernance économique dans l’agglomération lyonnaise marque donc l’émergence d’un nouveau type de politique publique locale, certes défini en fonction du contexte de mondialisation et de l’impératif de compétitivité territoriale globale, mais qui interroge sous un jour nouveau les limites de l’engagement de la collectivité et de l’intérêt général au service de l’enjeu économique dominant.