INTRODUCTION LA CONSTRUCTION DE L’OBJET « NOTRE-DAME SAINT-ALBAN »

L’histoire d’une paroisse au risque de la mémoire

La paroisse lyonnaise Notre-Dame Saint-Alban fut fondée dans l’immédiat après-guerre, en 1924, dans le Transvaal, un quartier ouvrier de la rive gauche du Rhône en cours d’urbanisation. Héritière d’un projet missionnaire porté par des représentants d’un milieu militant du catholicisme social, unis autour de l’expérience passée du Sillon, elle devint rapidement un symbole du catholicisme lyonnais, au cours d’une période clé de l’histoire religieuse de Lyon, et même une référence du catholicisme français. Son histoire recouvrit d’abord l’expérience d’un renouveau paroissial qui, amorcé dans les années 1920, s’épanouit au cours des années 1930 et elle fut finalement désignée en exemple, après la remise en cause de la paroisse urbaine traditionnelle par les abbés Henri Godin et Yvan Daniel en 1943 1 . Dans cette veine, Notre-Dame Saint-Alban fut louée pour ses pratiques pastorales qui visaient à renouveler la vie religieuse. Les changements liturgiques opérés par l’abbé Remillieux, son curé de 1924 à 1949, retinrent le plus sûrement l’attention 2 . L’abbé Remillieux instaura une messe dialoguée et chantée qu’il célébrait face aux fidèles. Baptêmes, mariages, communions coïncidaient le plus souvent avec la messe dominicale : chaque paroissien partageait les événements de la vie religieuse avec sa famille spirituelle. La simplicité prévalait lors des communions solennelles : les beaux costumes, l’ambiance de fête profane s’effaçaient devant le dépouillement des aubes. Au souci de regagner « les masses de travailleurs déchristianisés » se joignait la volonté de combattre les catholiques conformistes, car c’était aussi leur pratique formaliste qui empêchait l’Eglise de pénétrer le monde des incroyants. Ainsi s’expliquait la traduction des textes de l’espérance chrétienne pendant les funérailles, moment privilégié de l’évangélisation à Notre-Dame Saint-Alban. Les questions financières étaient soigneusement dissociées de la vie liturgique. On supprima les chaises réservées, les différentes catégories proposées pour les cérémonies, la quête pendant la messe. Les dons devaient être anonymes et on publiait chaque semaine les comptes de la paroisse dans le bulletin La Semaine religieuse et familiale, à l’occasion d’une rubrique intitulée « La vie de l’âme ».

Le projet missionnaire qui guidait l’action paroissiale sur le quartier devait bien sûr être replacé au sein de l’évolution générale de l’Eglise catholique, passant dans les années 1920 d’une attitude de défense religieuse à une attitude offensive de reconquête 3 . La stratégie revendiquée résidait dans la constitution d’un noyau militant de chrétiens actifs. La formation de cette élite, tout comme les changements introduits par l’abbé Remillieux dans la vie liturgique, nécessitaient une éducation religieuse du paroissien. La paroisse encadrait ses jeunes en proposant non seulement les activités traditionnelles des patronages, mais aussi en organisant des troupes de guides et de scouts. Les adultes étaient conviés à de multiples réunions leur permettant d’approcher au mieux la parole de Dieu : « Les heures de lumière » du vendredi soir les conduisaient à une lecture commentée des Evangiles pendant une année. Des retraites fermées, annuelles, étaient organisées pour les différents groupes d’hommes, de femmes et de jeunes filles. Réunions d’œuvres paroissiales, cercles d’études, conférences les amenaient à approfondir leur vie spirituelle et à participer aux grands débats qui se posaient à l’Eglise contemporaine. L’Association du Mariage Chrétien de l’abbé Viollet s’implanta parmi les couples mariés. De jeunes paroissiens contribuèrent à assurer la présence de leur Eglise dans la société en participant à une section de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne.

Cependant, par la personnalité singulière et l’action de son curé, le rayonnement de Notre-Dame Saint-Alban dépassait le cadre du renouveau paroissial. Engagée dans le combat pour la paix, la paroisse est restée associée aux initiatives déployées par des catholiques dans l’entre-deux-guerres en faveur du rapprochement franco-allemand 4 . De même, dans l’évaluation de la contribution lyonnaise à l’œcuménisme spirituel, son rôle a été mis en valeur 5 . Les participations, cléricales ou laïques, à l’expérience paroissiale étaient multiples et la paroisse vécut entourée des personnages marquants du catholicisme lyonnais. On pourrait mentionner brièvement Victor Carlhian, l’une des figures du catholicisme social lyonnais, industriel autrefois animateur du Sillon de Lyon, intellectuel passionné de philosophie, qui œuvra pour la fondation matérielle de la paroisse. Il faudrait citer l’abbé Glasberg, vicaire pendant la Deuxième Guerre mondiale, pour évoquer sa lutte dans la résistance chrétienne à l’antisémitisme. Le curé et ses paroissiens évoluaient aussi dans le sillage de la Jeune République et du syndicalisme chrétien. L’abbé Remillieux accueillit les abbés Duperray (vicaire de 1926 à 1933) et Monchanin, travailla avec le père Desbuquois et l’abbé Couturier et eut recours aux Jésuites de Fourvière et aux professeurs reconnus de l’Université catholique et du Séminaire universitaire, comme le père de Lubac, l’abbé Chaine ou l’abbé Richard. Ses relations avec la Chronique Sociale se renforcèrent quand Joseph Folliet devint son directeur, après la mort de Marius Gonin, en 1937. Fondateur des Compagnons de Saint-François, Joseph Folliet avait tissé des liens privilégiés avec l’abbé Remillieux, aumônier général des Compagnes de Saint-François. Après la mort de Laurent Remillieux en 1949, il commença à rassembler des témoignages et une vaste documentation dans la perspective de retracer la vie et l’action du curé de Notre-Dame Saint-Alban. La gestation de l’ouvrage fut longue : il ne publia qu’en 1962 la biographie du Père Remillieux, curé de Notre-Dame Saint-Alban (1882-1949), sous-titrée Le petit prêtre qui avait vaincu l’argent 6 .

Ces premières données, les plus immédiates, les plus évidentes, invitaient l’historien à une certaine analyse : déceler l’originalité de la paroisse dans la période de l’entre-deux-guerres, montrer l’épanouissement d’un renouveau paroissial au moment des remises en question des années 1940, en étudiant une pastorale qui s’appuyait essentiellement sur une œuvre de rénovation liturgique, en mettant l’accent sur le rôle actif des laïcs, encouragé par un curé d’exception, en dénouant les liens entretenus avec les grandes figures intellectuelles et spirituelles de son temps, en éclaircissant la participation de la paroisse et de ses animateurs aux différentes avancées de l’Eglise catholique. Il est en effet sûr que les audaces de Notre-Dame Saint-Alban en matière de liturgie, les prises de position pacifistes ou œcuméniques de son curé lui assurèrent une audience au sein des milieux non-conformistes du catholicisme lyonnais et au-delà. Les militants du catholicisme social d’inspiration démocratique comme les partisans d’un renouvellement pastoral, tous ceux qui cherchaient à redéfinir le rapport de l’Eglise au monde moderne et aux autres se reconnaissaient dans cette expérience menée aux limites de la ville. La particularité de la paroisse résidait bien dans la multiplicité de ses entreprises et dans son pouvoir d’attraction, mais elle renvoyait aussi au foisonnement du catholicisme lyonnais, elle en était le produit. « C’est sans doute à l’effervescence des années 1930-1960, après les remous novateurs des années 1900, que Lyon doit sa réputation de ville attirante et inquiétante, dans le catholicisme français et jusqu’à Rome : un clergé entreprenant mais volontiers sûr de lui, un laïcat sachant faire preuve de liberté intellectuelle et de grande générosité sociale. » 7 Tout, dans la version connue des faits, nous disait que Notre-Dame Saint-Alban était à l’image de ce catholicisme créatif.

Quelle direction devait alors prendre un travail de recherche qui adoptait pour objet l’histoire paroissiale ? Il restait à établir plus précisément les faits en essayant de les dater avec exactitude, à présenter les acteurs de cette histoire et à les replacer au sein des groupes et des réseaux du catholicisme lyonnais, national, voire international quand il s’agissait des contacts établis avec les catholiques allemands. Pour évaluer l’apport spécifique de Notre-Dame Saint-Alban au renouveau paroissial, il était nécessaire non seulement de la replacer dans le contexte du catholicisme de l’entre-deux-guerres et de la confronter à d’autres expériences locales et nationales, mais aussi de rapporter ses orientations à l’enseignement pontifical. Cela revenait à observer le changement catholique dans le cadre institutionnel de la circonscription religieuse de base : le XXe siècle proposait une autre façon d’être catholique, de nouvelles attitudes et de nouvelles réponses au problème du détachement religieux et de la sécularisation. Le projet d’un catholicisme intégral sous-tendait la visée missionnaire. Il fallait enfin cerner la personnalité de Laurent Remillieux. Homme de toutes les situations et de toutes les innovations, était-il un penseur du changement ou un rassembleur, le ferment des rencontres, cristallisant dans son aptitude à se donner comme un agent de liaison, la possibilité d’un changement ? De quelle part d’originalité procédait sa position au sein de l’Eglise catholique et dans le clergé national ?

Le portrait rapide qui vient d’être esquissé de Notre-Dame Saint-Alban relève en fait d’une vision forgée par les premiers témoignages publiés du vivant de l’abbé Remillieux et par la biographie de Joseph Folliet, vision reprise par les travaux d’histoire religieuse qui leur ont succédé. Tous ces récits imposent un exercice de lecture dirigée de l’histoire dont la problématique s’offre dans tous les ouvrages de référence en histoire religieuse, problématique justifiée par un véritable consensus historiographique, comme si l’ouvrage de Joseph Folliet avait figé l’histoire dans une tradition. Alors que ce dernier avait mis en valeur ce qu’il appelait lui-même la « légende dorée de la paroisse » 8 , composant une biographie proche de l’hagiographie, on s’obstinait à reprendre sa grille de lecture. Je disposais d’un fonds principal d’archives conservé par le Prado à Limonest et constitué essentiellement des papiers Folliet, toute une documentation réunie autour de la préparation, de l’écriture et de la diffusion de son livre, et il est clairement apparu qu’il était impossible de faire reposer sur ces seuls papiers la définition d’une problématique : incomplets, ils laissaient dans l’ombre plusieurs aspects et révélaient une présentation issue du souvenir de l’auteur, la perception d’un ami, d’un militant catholique, d’un intellectuel, d’un journaliste qui écrivait avec sa sensibilité, ses sentiments, qui revendiquait sa subjectivité et son statut de témoin.

Le renouveau paroissial devait-il dans ce cas demeurer un axe d’étude primordial ? Quelle place et quel traitement réserver à l’originalité de la pastorale et des engagements de l’abbé Remillieux ? Comment dépasser la conception historiographique traditionnelle, qui puisait ses sources dans la légende, tout en l’intégrant bien sûr dans l’analyse ? Il fallait trouver d’autres clefs de lecture pour pénétrer l’histoire de Notre-Dame Saint-Alban. Et trouver d’abord d’autres sources. Je me lançai alors dans la recherche de papiers aléatoires et éparpillés, et je finis par recenser des fonds dispersés entre fonds publics (Archives départementales du Rhône, Archives municipales de Lyon), fonds ecclésiastiques (Archives diocésaines, archives paroissiales disponibles à la cure, papiers conservés à la bibliothèque des Facultés catholiques, notamment) et papiers personnels, gardés le plus souvent au domicile des anciens paroissiens et des proches de Laurent Remillieux ou de Victor Carlhian. Je parvins à réunir une documentation qui permettait de dépasser les limites chronologiques données dans un premier temps au sujet. Il était dès lors envisageable de mettre en perspective la fondation de la paroisse et d’en scruter les origines. Remonter le fil du temps, abandonner l’accomplissement des années 1930 pour tenter de retrouver « l’avant Saint-Alban », retracer une genèse pour découvrir une nouvelle histoire : il s’agissait de se pencher sur ce qui était dit trop subrepticement dans l’ouvrage de Folliet et qui devait prendre une nouvelle dimension. Notre-Dame Saint-Alban, paroisse novatrice et porteuse de tous les changements, était aussi une héritière : le Sillon, un certain catholicisme social, une génération de clercs et de laïcs, qui avaient vécu la Séparation des Eglises et de l’Etat et l’expérience de la Grande Guerre, l’avaient marquée de leur empreinte. Laurent Remillieux, toujours donné comme un personnage d’exception, n’échappait ni au lieu ni au temps. Il était donc nécessaire d’explorer les deux premières décennies du XXe siècle pour comprendre les origines de la paroisse. En élargissant les limites chronologiques de l’étude pour chercher de nouvelles pistes d’interprétation, on parviendrait peut-être à montrer les continuités et les ruptures de l’histoire, on inscrirait la fondation de la paroisse dans la logique de l’engagement d’une génération qui avait choisi le ralliement à la République, même anticléricale, et s’était confrontée à la crise moderniste, on montrerait le rôle fondateur de la Première Guerre mondiale.

Je décidai aussi, à partir de quelques impressions touchant la personnalité de Victor Carlhian, de travailler parallèlement sur les personnages qui avaient permis le fonctionnement paroissial, mais qui avaient été éclipsés par le curé. L’histoire de Notre-Dame Saint-Alban ne pouvait se résumer à la mémoire de l’abbé Remillieux. Si dans le souvenir, et jusqu’à présent dans l’histoire aussi, Laurent Remillieux avait incarné la paroisse, celle-ci avait existé d’autres façons, au travers d’autres hommes, clercs ou laïcs, et des femmes aussi. Victor Carlhian semblait focaliser cet autre de l’histoire paroissiale. Il avait été, au moment de la fondation de Notre-Dame Saint-Alban et dans les années qui avaient suivi, un acteur du mouvement paroissial et plus, un de ses penseurs. Il rejeta lui-même le rôle exclusif de philanthrope dans lequel, pendant longtemps, la tradition l’a enfermé 9 . A l’origine de la paroisse était aussi son projet, qu’il aurait dû mettre en œuvre avec la collaboration de son ami l’abbé Jean Remillieux. Laurent Remillieux s’était substitué à son frère, tué à la guerre en 1915. Les données réunies sur Victor Carlhian et les quelques travaux qui lui ont été consacrés ou qui lui font référence 10 montrent combien il était un personnage fédérateur qui appelait les initiatives, facilitait les activités militantes comme les recherches théologiques. Sa vision de l’Eglise et de son rôle dans la société définissait une doctrine chrétienne reposant sur un catholicisme social, à décrypter dans le cadre de cette œuvre paroissiale. Il n’en restait pas moins que son soutien matériel et financier rendit possible la survie de la paroisse et ses orientations nouvelles : le traitement du problème de l’argent dans l’Eglise n’aurait jamais pu fonctionner sans lui. En persévérant dans l’étude du financement de la paroisse, je découvris que Victor Carlhian avait agi avec la collaboration d’autres laïcs. Pour comprendre leur participation, j’essayai de les identifier. Anciens sillonnistes ou unis par des liens familiaux, ils dépendaient d’un même réseau de relations sociales et familiales, au-delà de leur appartenance à un certain milieu du catholicisme social lyonnais.

A ce stade de la recherche, la découverte essentielle fut toutefois celle de la présence sur le territoire de la paroisse d’une équipe de laïques consacrées, dont l’établissement accompagna les débuts de Notre-Dame Saint-Alban. Cette présence relevait du projet conçu initialement par Victor Carlhian pendant la guerre 11 . A la suite de son appel, des femmes optèrent pour un apostolat de laïcs dans le quartier ouvrier du Transvaal, accompagnant finalement à leur façon la mission du curé. De 1919 à 1929, une Maison des Jeunes animée par le groupe « L’Association », placé sous la direction d’Ermelle Ducret, accueillit les paroissiens et seconda l’abbé Remillieux pour des activités culturelles ou d’animation de groupes d’enfants, dans une orientation encore très paroissiale. Mais à partir de 1929, les membres de L’Association acquirent une indépendance vis-à-vis de la paroisse et, en fondant une Maison Sociale imprégnée des initiatives parisiennes, réorganisèrent leurs services. Le travail social se taillait un domaine dans le quartier du Transvaal. Le groupe des laïques de Saint-Alban participait à ce renouveau du catholicisme social, incarné à Ivry-sur-Seine par Madeleine Delbrêl 12 . L’existence du groupe dans l’Eglise catholique demeurait ambiguë, plus officieuse que publique. Le Saint-Siège ne reconnut le laïcat féminin consacré qu’en 1947, par le biais des instituts séculiers. Les groupes constitués après 1918 ne possédaient donc aucun statut officiel, ce qui explique en partie la discrétion que les laïques observaient sur leur appartenance à L’Association et la difficulté à relater leur histoire en l’absence de traces notoires. Quand L’Association laissa la place à L’Equipe pendant la Deuxième Guerre mondiale et qu’Ermelle Ducret en transmit la direction à Sylvie Mingeolet, compagne de Saint-François, secrétaire de Joseph Folliet à la Chronique Sociale, l’évolution du groupe était largement entamée. Le recrutement s’était élargi : les nouvelles « Associées » puis « Equipières » venaient des Compagnes de Saint-François et étaient désormais plus étroitement liées à la Chronique Sociale. Dans quelques cas, elles n’habitaient même plus Lyon. Notre-Dame Saint-Alban devenait une référence : une étape dans une histoire personnelle, un lieu de rencontre, un milieu dans lequel on était inséré, mais qui ne correspondait plus à un territoire paroissial.

Ces nouvelles pistes m’entraînaient au-delà de la figure héroïque de l’abbé Remillieux, tout en induisant d’autres interrogations. Pourquoi s’arrêter aux acteurs déjà connus, peu ou prou, de l’histoire religieuse lyonnaise ? Pourquoi se polariser sur les expériences inhabituelles, toujours traquer le rare et l’insolite ? La démarche restait insatisfaisante car, en persistant dans la quête de l’exceptionnel du catholicisme lyonnais, elle alimentait encore la mémoire de Notre-Dame Saint-Alban. Suffirait-il pour autant de distinguer les anonymes exemplaires, les disparus de l’histoire, ceux et celles que Joseph Folliet évoquait à peine et qui étaient parfois cités au détour des témoignages des plus anciens paroissiens car ils survivaient dans les souvenirs intimes ? Certes, apprendre à connaître ces hommes et ces femmes, les reconnaître, c’était tenter de relancer une histoire qui ne se fixerait plus seulement sur les réseaux et les milieux, mais sur les individus et les expériences personnelles. Deux problèmes de fond subsistaient malgré tout. En dépit de toutes ces tentatives, on risquait toujours de s’en tenir à une histoire reprenant étroitement les problématiques du renouvellement catholique de l’entre-deux-guerres et donc à une histoire intra-catholique. De plus, il fallait trouver le moyen d’approcher différemment le personnage de Laurent Remillieux, retrouver l’individu en écartant les témoignages et les sources secondaires, pour tenter de discerner les clés de sa personnalité et comprendre son action. Le dépouillement de la correspondance de la famille Remillieux avant 1914 et pendant la guerre offrait un accès à ces clés en même temps qu’il permettait d’entrer dans une logique familiale. L’exercice confinait aux exigences du genre biographique, mais loin de chercher à déceler l’extraordinaire du personnage, il s’agissait de toucher à la singularité de l’individu.

Avoir trouvé un accès aux archives familiales des Remillieux, à celles des Carlhian ou des anciens paroissiens était rassurant. Les historiens qui travaillent sur le premier XXe siècle n’éprouvent pas forcément des difficultés à rassembler un corpus de sources suffisant sur le sujet qu’ils choisissent. Je devais au contraire gérer la disparition de documents et pendant toute l’année du D.E.A., la question primordiale fut de savoir si une thèse sur le sujet était envisageable. Je n’avais pas pu retrouver le bulletin paroissial, à l’exception d’une année. Aucune correspondance de l’abbé Remillieux avec l’archevêché n’avait été conservée dans les archives diocésaines parmi les papiers Maurin. Les sources disponibles aux Archives de l’Archevêché étaient destinées à réapparaître bien plus tard. En revanche, les sources secondaires et les témoignages recueillis par Joseph Folliet abondaient, infléchisssant le regard que l’on pouvait porter sur l’histoire paroissiale et ses acteurs. Au fil du temps, les sources se complétaient, donnant la possibilité de croiser des documents. La critique ne se perdait plus en conjectures. Mais j’avais aussi mis à profit le moment de flottement et d’incertitude, pendant lequel je n’avais pas encore l’assurance d’avoir rassemblé une documentation qui pouvait paraître suffisante à l’historien du contemporain. La pénurie des sources m’avait poussée à multiplier les questionnements sur un même document, à m’interroger sur les possibilités de son traitement. Je disposais pour cela de multiples références : il suffisait de se tourner vers les historiens des autres périodes, éternellement confrontés au caractère aléatoire et carencé des données 13 . En sollicitant autrement les sources, en leur posant des interrogations que les modernistes ou les médiévistes avaient déjà exploitées, je pouvais définir une nouvelle démarche et explorer une nouvelle thématique qui amèneraient définitivement le travail au-delà de la mémoire.

Il me semblait pourtant que je ne m’écartais pas fondamentalement encore du cadre de la monographie paroissiale dont j’avais décidé de m’éloigner depuis le début de la recherche. Surtout, je continuais à m’occuper exclusivement des catholiques de Notre-Dame Saint-Alban, de ceux qui avaient fondé la paroisse, de ceux qui l’animaient, de ceux qui la fréquentaient, de ceux qui avaient raconté sa différence. Comment aurais-je agi si j’avais dû concentrer mes efforts sur une paroisse catholique n’ayant suscité aucun écho particulier ? Quelles questions aurais-je posées à toute autre paroisse missionnaire implantée dans un quartier ouvrier de la périphérie de la grande ville ? Il fallait songer à déplacer les interrogations posées par l’histoire religieuse à une paroisse exceptionnelle pour explorer différemment le cadre paroissial, d’abord défini institutionnellement par un territoire.

Une partie des réponses aux diverses questions soulevées se trouvait dans certaines des publications du courant de la micro-histoire, fondé par les modernistes italiens au cours des années 1970. Leurs travaux permettaient d’abord de redéfinir l’approche méthodologique. En travaillant sur un espace réduit, même dans un souci comparatiste, j’avais la possibilité de « prendre en compte l’expérience vécue par les acteurs historiques » 14 , « de rendre compte de la logique et de la signification de ces expériences dans leur singularité. Non pour céder à nouveau au vertige de l’individuel, voire de l’exceptionnel, mais avec la conviction que ces vies minuscules participent elles aussi, à leur place, de la “grande” histoire dont elles livrent une version différente, discrète, complexe » 15 . Dans un article fondateur paru dans Le Débat, Carlo Ginzburg et Carlo Poni annonçaient les « deux faces » de l’analyse micro-historique : « Mise en œuvre à petite échelle, elle autorise souvent une reconstitution du vécu inaccessible aux autres approches historiographiques. Elle se propose d’autre part de repérer les structures invisibles selon lesquelles ce vécu est articulé » 16 . Comme les historiens du social, qui ont remis en cause leur pratique, centrée sur l’étude des structures dans la longue durée, et leur confiance en une histoire globale révélée par des enquêtes sérielles, il s’agissait, par un changement de focale, d’apporter une nouvelle dimension à l’histoire du religieux. On s’était déjà intéressé à des paroisses comme poste d’observatoire de la pratique, qu’on tentait de quantifier. Les travaux de sociologie religieuse, qui s’étaient développés dans les années 1950 et 1960 17 , déclenchaient un regain d’intérêt avec la poursuite des publications des matériaux Boulard. On avait écrit des monographies édifiantes qui justifiaient et glorifiaient une œuvre apostolique 18 . Pour ma part, j’utiliserais cette variation d’échelle à la manière des historiens du social et dans la perspective d’une réévaluation du rôle et de la place des individus dans l’histoire. Penser l’individu, sa « rationalité » et sa « liberté » 19 , dans le cadre d’un micro-espace, conduirait à aborder autrement l’histoire paroissiale, à décliner une nouvelle thématique dans l’étude des pratiques, ou plutôt des recours à la religion, et dans l’exploration du fonctionnement du groupe paroissial. Je commencerais ainsi à déplacer le regard porté sur Notre-Dame Saint-Alban et au lieu d’en solliciter l’originalité, j’en traquerais la complexité du quotidien et du normal.

La micro-histoire s’était construite dans un rapport renouvelé à l’anthropologie, qui offrait à l’historien du religieux des virtualités encore insuffisamment exploitées par les contemporanéistes. Elle fournissait surtout la possibilité d’approcher différemment les questions de spiritualité, quand on abordait les rapports des catholiques au monde, à la vie, à l’amour, à la mort. Mais si l’on osait reprendre les questionnements de l’anthropologue dans une histoire se penchant sur l’imaginaire et les représentations, sur l’univers mental des individus, imposer ce cadre à l’interprétation des documents historiques semblait plus arbitraire. Certes, en reconsidérant le projet durkheimien qui avait voulu fédérer les sciences sociales et leur octroyer un statut scientifique modelé sur les sciences de la nature, on avait dépassé l’illusion de l’objectivité et redéfini le souci de vérité. On avait aussi intégré la méthode wéberienne et son approche compréhensive de l’action sociale et, comme l’anthropologue, on acceptait que le sujet créât sa propre réalité sociale, on se lançait dans un travail de conceptualisation qui menait à la construction de modèles théoriques. Le chercheur sait bien qu’il propose une interprétation du réel et qu’il ne donne pas à voir ce réel. La réalité sociale existe hors de lui et son travail est de traduire cette réalité en la rendant signifiante. L’écriture de l’ethnologue produit du sens autour de la réalité et intègre la subjectivité du chercheur et de son rapport au terrain. En étant dialogique, elle montre les interactions. L’historien assumait désormais, lui aussi, cette subjectivité. Pourtant, « la convergence pressentie entre l’histoire et l’anthropologie doit surmonter de multiples obstacles […]. La complexité des rapports sociaux reconstruits par l’anthropologie dans son travail de terrain contraste avec le caractère unilatéral des données archivistiques sur lesquelles l’historien travaille » 20 . Etait encore posé le problème de la spécialisation de l’historien dans un domaine particulier : « On est […] historien de l’Eglise ou des techniques, du commerce ou de l’industrie, de la population ou de la propriété, de la classe ouvrière ou du parti communiste italien » 21 . A mon tour, je me heurtais à cette fragmentation des sources et du travail qui rendait périlleuse la compréhension de la réalité passée et ne pouvait donner lieu qu’à une projection encore plus segmentée du vécu historique.

Certains complexes ont été rapidement levés après la découverte des propos qu’Antoine Prost avait tenus lors de son intervention dans un colloque sur le savoir et qui résumaient bien la position des historiens d’aujourd’hui sur la scientificité de leur discipline : nous ne sommes finalement tenus que de dire « du » vrai sur « un » réel et non pas « le » vrai sur « le » réel, proposition entendue bien sûr dans le cadre d’un respect des « règles strictes de la détermination du vrai en histoire » 22 . Il ne s’agissait évidemment pas d’adhérer au dogme du relativisme. Dans l’histoire que je souhaitais pratiquer, j’intégrais une analyse des représentations mais je n’en continuais pas moins à traquer la véracité des faits dans une étude de la réalité. En fait, les débats sur « la crise de l’histoire » 23 , s’ils m’étaient familiers, me restaient tout de même quelque peu étrangers. Comme beaucoup dorénavant, je ne me reconnaissais pas dans une démarche exclusive et je lui préférais une pratique plurielle.

Cette pratique ne vise pas pour autant à un amalgame des genres et des objets d’étude. Même si le questionnement anthropologique avait pu attirer mon attention dès que j’avais touché à la question des funérailles, tant mises en évidence par la mémoire paroissiale, mes analyses se devaient de conserver une certaine prudence, de demeurer à distance de la naïveté des emprunts sauvages, dénoncés aujourd’hui par ceux qui continuent à réfléchir sur les convergences possibles entre histoire et anthropologie. Une table ronde organisée par la Société d’Histoire Moderne et Contemporaine a permis de croiser sur ce sujet des regards d’historiens et d’anthropologues, de rappeler les grands jalons de la confrontation entre les deux disciplines et de définir quelques pistes au sein du débat actuel 24 . Les tenants d’une anthropologie historique ont pu ainsi proposer une critique de l’usage trop superficiel que font certains historiens de l’anthropologie 25 . Mais c’est la contribution d’un ethnologue spécialiste de la Nouvelle-Calédonie qui a le plus sollicité ma réflexion 26 . Après avoir montré l’historicité de toutes les sociétés, qui place nécessairement l’anthropologie parmi les sciences historiques, Michel Naepels s’appuie sur le texte classique de Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire 27 , pour rappeler que « l’apport de la tradition anthropologique à la discipline historique peut s’énoncer sous une forme très générale », puisqu’elle permet d’abord de « contribuer […] à l’allongement de la liste des questions qu’on pose aux documents et à l’élargissement du champ de vision de l’historien ». Il continue en revenant, à partir des travaux de Jean Bazin 28 , sur « les conditions de la mise en discours et de la mémorisation d’un fait », problème qui ramène l’historien à la production et à l’utilisation des sources orales. Mais surtout, il termine son exposé par une mise en perspective de l’identification des deux disciplines autour de l’articulation des relations entre passé, réel et possible, le discours historique accordant « le primat » à « la modalité du réel » et l’anthropologue écrivant « dans la modalité du possible » 29 . C’est finalement encore une fois le mode d’écriture qui distingue de l’historien l’anthropologue, attaché à décrire « ce qu’est, dans une conjoncture donnée, le choix des actions plausibles » 30 et non à expliquer des faits. En conclusion, Michel Naepels propose à l’historien d’explorer cette voie : « Une approche praxéographique du passé rendant compte des événements accomplis dans leur champ de possibilité, attentive à l’obscurité et à la complexité des actions humaines en même temps qu’à la capacité d’agir des sujets, est peut-être aussi pour la discipline historique l’un de ses horizons actuels ». Mais dans l’analyse des liens réciproques noués entre histoire et anthropologie, on saura retenir les allusions récurrentes à la contiguïté des pratiques et des questionnements déployés par les micro-historiens et les anthropologues. Au cours de cette table ronde, les références à la micro-histoire et à son influence sur les convergences possibles entre histoire et anthropologie sont tout autant revendiquées par des ethnologues 31 que par des historiens 32 .

Ce même numéro de La Revue d’histoire moderne et contemporaine présente aussi l’intérêt de revenir sur la question du comparatisme à travers la lecture critique de deux ouvrages récents de Marcel Détienne et de Jack Goody 33 . C’est la dernière partie de l’article d’Etienne Anheim et de Benoît Grévin, traitant du comparatisme entendu comme le « pivot d’une science sociale unifiée », qui retient ici l’attention en apportant un prolongement au dossier précédent. Après avoir décodé les enjeux scientifiques et institutionnels qui ont entretenu les défiances et les rivalités entre histoire, sociologie et anthropologie, les deux auteurs du compte-rendu plaident pour un décloisonnement des diverses disciplines qui composent le champ des sciences sociales, disqualifiant pour finir le terme de comparatisme au profit de celui, plus lisible, d’interdisciplinarité. Mais au cours de cette approche, comme dans les débats qui avaient animé la table ronde sur les convergences possibles entre histoire et anthropologie, les tenants de l’interdisciplinarité n’ont pas manqué d’égratigner les découpages qui marquent la pratique historique, et qu’avaient déjà stigmatisés les micro-historiens. Ces découpages, « entre historiographies nationales » notamment, sont susceptibles de « produire des savoirs “décalés” autour des mêmes objets » 34 . D’autres allusions rappellent qu’ils nuisent aussi à la compréhension globale d’un phénomène, quand ils amènent, par exemple, l’historien du religieux à ignorer les méthodes et les résultats de l’histoire sociale.

Le projet de ne pas tenir compte du cloisonnement des spécialités de l’histoire se justifiait d’autant plus. Se recentrer sur le territoire paroissial et le considérer non plus seulement comme un espace religieux mais aussi comme l’espace urbain et social qu’il était en réalité offraient de nouvelles directions de recherche. Si j’avais fréquenté les travaux des modernistes pour m’enquérir de la démarche d’une étude micro-historique ou les productions des médiévistes pour savoir comment ils intégraient les approches de l’anthropologie religieuse, je ne concevais pas cette recherche sans une imprégnation des résultats de l’histoire sociale et de l’histoire urbaine. Je devais même reprendre leurs méthodes et leurs postulats pour mener à bien l’étude de l’espace urbain sur lequel la paroisse s’était implantée. Des catholiques missionnaires avaient investi un espace urbain périphérique, produit par l’industrialisation. L’analyse de la rencontre de deux milieux marqués par la différence sociale et culturelle semblait indispensable à la compréhension des relations qu’entretenait l’espace religieux, défini par le territoire de la paroisse, avec l’espace social du quartier, ou d’ailleurs des quartiers, qu’il recouvrait. A cette condition seulement pouvait être envisagée une étude de la fréquentation de la paroisse, autrement dit une évaluation des résultats de l’évangélisation dont se réclamaient les animateurs de Notre-Dame Saint-Alban.

Les travaux d’histoire urbaine du Centre d’histoire économique et sociale Pierre Léon, de l’Université Lumière Lyon 2, proposent tout un protocole de recherche sur l’étude des quartiers, mis au point à la fin des années 1970 déjà, encore en vigueur dans les années 1990 35 . Les travaux publiés ou inédits sur Lyon 36 , mais aussi sur Saint-Étienne 37 , fournissent des modèles pour conduire la recherche et des résultats qui permettent la comparaison. Surtout, les travaux de Jean-Luc Pinol sur les mobilités urbaines ouvrent à une histoire urbaine qui prend en compte les approches novatrices des Anglo-saxons et donne à saisir le fonctionnement de la grande ville 38 . Les recherches des Parisiens sur leur espace urbain ont aussi été intégrées, notamment celles qui portaient sur la périphérie 39 . Je n’ai eu qu’à pénétrer dans le domaine d’une histoire urbaine en plein essor pour découvrir la multiplicité des chantiers 40 qui ont su modifier et enrichir ma pratique de l’histoire religieuse. C’est ainsi qu’aux sources classiques de l’histoire paroissiale (dossier de fondation, correspondance du curé, papiers des vicaires, registres de catholicité, témoignages d’anciens paroissiens, etc.), viennent se mêler les sources de l’histoire sociale et urbaine (listes nominatives des recensements, listes électorales, registres de matrices cadastrales et d’impôts, archives de la justice de paix, photographies d’espaces urbains, etc.). Une partie du travail repose dès lors sur la constitution d’une base de données 41 , concentrant des informations disponibles sur la population résidant sur le territoire paroissial. Enfin, la perspective a débouché sur un dernier axe de réflexion, rejoignant cette fois les préoccupations de certains géographes sur l'examen des rapports entre religion et territoire en milieu urbain 42 . Elle a déclenché un travail de cartographie, mené en collaboration avec un géographe 43 et qui a permis de développer une analyse spatiale, complétant les analyses textuelle et statistique déjà mises en place.

A partir de ce moment, la notion de territoire a constitué l’une des notions centrales de la recherche. Le territoire de Notre-Dame Saint-Alban formant désormais le cadre de l’observation, il semblait nécessaire d’en fournir au préalable une définition. Pour cela, on pouvait partir des définitions proposées par les géographes, avant d’examiner l’utilisation du concept par les historiens 44 . Il a fallu rapidement convenir qu’aucune des deux grandes définitions géographiques n’était adéquate. D’une part, même structuré en partie par des flux et des réseaux que les activités paroissiales et les recours à la religion engendraient, le territoire paroissial ne correspondait pas à cette construction géopolitique globale qui aurait pu satisfaire les exigences d’une première définition géographique du territoire. Et d’autre part, il ne recouvrait pas plus la notion utilisée par la géographie urbaine et sociale qui assigne à chaque individu un territoire coïncidant avec un espace de vie. Composé d’un archipel d’espaces qui associaient logement, lieu de travail, lieux de sociabilité, voies de communication conduisant d’un lieu à un autre, etc., le territoire d’un individu résidant sur la paroisse Notre-Dame Saint-Alban, s’il était catholique pratiquant, pouvait comprendre certains espaces du territoire paroissial mais sans se confondre avec lui. Définir le territoire paroissial comme le territoire de la communauté des catholiques pratiquants ne permettait pas encore d’atteindre la globalité qui entre dans toutes les déterminations d’un territoire géographique. Le territoire paroissial demeurait, à l’aune des critères géographiques, une construction virtuelle, un territoire qui ne revêtait de sens que pour ceux qui l’avaient défini, qui n’avait de réalité qu’au sein de l’institution ecclésiale. Sa délimitation par des frontières, qui le séparaient des autres circonscriptions religieuses de base, le pouvoir religieux conféré sur cet espace au curé justifiaient l’utilisation du terme de territoire. Se placer du côté de ceux qui avaient inventé le territoire paroissial pour en saisir la pertinence devenait justement l’un des enjeux de la réflexion à mener sur l’histoire paroissiale. La définition préalable était finalement exclue puisque cette définition venait se placer au cœur de la réflexion 45 . Que signifiait l’usage de ce concept par l’Eglise catholique ? Quel projet impliquait-il ? L’étude de la construction du territoire paroissial par l’institution ecclésiale devait progressivement conduire à une analyse des représentations de l’espace urbain investi et du rapport des acteurs paroissiaux à la ville et à ses habitants. L’analyse de la fréquentation paroissiale alimenterait aussi la problématique territoriale : en distinguant deux catégories de paroissiens, les résidents du territoire paroissial et ceux qui ont été désignés comme les paroissiens extra muros, on en viendrait à s’interroger sur l’existence et l’usage de territoires religieux dans la grande ville.

Le problème était désormais d’expérimenter un nouveau rapport entre l’histoire de la ville et l’histoire du religieux. En mêlant histoire religieuse et histoire sociale dans le cadre d’un micro-espace urbain, on essayait d’inscrire le religieux dans une histoire urbaine et, inversement, de prendre en considération la dimension religieuse dans l’analyse de la ville du premier XXe siècle. En fait, réaliser un essai de micro-histoire ne constituait pas une fin en soi. Le micro-espace choisi donnait l’occasion de croiser plusieurs regards en associant différentes démarches, de multiplier les clés de lecture et donc de rendre le mieux possible la complexité et la pluralité d’une réalité signifiante, même au prix de la fragmentation. Puisque j’avais choisi un objet de taille limité, il m’était loisible de suivre « les règles d’une exploitation intensive » inventées par les micro-historiens italiens 46 , sans pour autant souscrire à toutes leurs revendications ni renier l’intérêt d’une macro-histoire 47 . La démarche devait permettre de dépasser le genre de la monographie et inviter à une autre lecture d’un religieux aux prises avec le social 48 dans l’espace de la grande ville.

A quel résultat le lecteur doit-il donc s’attendre ? Le récit se focalisera a priori sur l’observation du territoire paroissial qui forme donc le cadre spatial de la recherche. Ce territoire deviendra le centre de l’histoire à écrire. En cela, la démarche se conforme finalement à la logique territoriale encore privilégiée par l’Eglise catholique au cours du premier XXe siècle. L’érection de la nouvelle paroisse de Notre-Dame Saint-Alban s’intégrait en effet dans le projet d’établir un contrôle ecclésial sur des espaces périphériques en cours d’urbanisation et contribua ainsi à densifier le maillage paroissial de la rive gauche du Rhône. Le territoire paroissial déterminait néanmoins un espace social et religieux dans lequel évoluèrent des individus aux trajectoires diverses, qui appartenaient à différents milieux sociaux et à différents réseaux lyonnais, des individus qui se rencontrèrent ou non, dont les histoires se croisèrent ou pas. Ce fut bien leur présence à un moment donné de leur vie sur le territoire de Notre-Dame Saint-Alban qui a guidé mon intérêt pour eux. Qu’ils soient venus d’ailleurs pour participer à l’expérience paroissiale ou que, résidant sur le territoire, ils lui soient demeurés étrangers, ils ont tous été pris en considération et ce sont eux qui m’ont amenée à varier les regards et les démarches. Lectures religieuse, sociale et urbaine offraient une complémentarité indispensable dès lors qu’il s’agissait de saisir des groupes aux logiques, aux intentions, aux comportements différents mais néanmoins tous acteurs de l’espace délimité par le territoire paroissial.

Loin de m’en tenir à une histoire de l’expérience paroissiale, j’ai désiré explorer les autres virtualités de cette histoire. Je n’ai donc pas hésité à suivre certains des acteurs hors de cet espace quand il était nécessaire de comprendre les raisons, la nature et les modalités de leur implication dans l’histoire de Notre-Dame Saint-Alban. Le temps de l’histoire s’est ainsi dilaté et les méthodes employées se sont encore diversifiées pour me permettre d’atteindre essentiellement les fondateurs de la paroisse avant leur arrivée sur le territoire de Saint-Alban. Au risque de la répétition d’une histoire du Sillon lyonnais déjà écrite, au risque de l’illusion biographique, et en reprenant les problématiques qui renouvellent l’histoire de la Grande Guerre, j’ai sondé le passé de Victor Carlhian et de Laurent Remillieux pour entrevoir la genèse de l’histoire paroissiale et en rechercher des clés. A partir d’eux, j’ai commencé à reconstituer un réseau du catholicisme lyonnais, que j’ai suivi dans ses évolutions et ses recompositions jusque dans les années 1940. Tout autant que la reconstruction historique de la réalité de l’expérience paroissiale, l’analyse des discours tenus sur Notre-Dame Saint-Alban s’est alors imposée.

Il y avait désormais trois niveaux à concilier dans l’écriture de la thèse : la tentative d’interpréter une réalité qui n’existait définitivement plus exigeait une réflexion continue sur la construction de l’objet historique « Notre-Dame Saint-Alban » ; mais, de plus, à cette écriture réflexive qui envisageait mon propre rapport à l’histoire du religieux, à ses objets et à ses méthodes, s’ajoutait la nécessité de mettre en perspective la réalité que je concevais avec l’image qu’avaient renvoyée de l’expérience paroissiale les acteurs et les héritiers de ce réseau du catholicisme lyonnais. S’interroger sur l’image idéale de Notre-Dame Saint-Alban revenait à entrer dans une des mémoires du catholicisme lyonnais et à décrypter l’un de ses mythes. Plutôt que de séparer ces trois niveaux de réflexion, plutôt que de proposer une partie qui individualiserait l’étude des discours tenus sur Notre-Dame Saint-Alban et rendrait compte de la logique de la construction de sa mémoire, j’ai choisi un autre mode d’écriture : le récit est constamment conduit à partir de la confrontation entre réalité, histoire, et discours sur la réalité et sur l’histoire. La présentation des résultats de la recherche pouvait alors être scindée en deux parties, qui correspondraient à deux expériences différentes, l’une reposant sur le temps et l’autre sur l’espace.

La première partie explore l’hypothèse selon laquelle le passé définit le présent, elle redit à sa manière que le début et la fin d’une histoire sont des temps dilatés, que le temps historique, serait-ce le temps court, celui qui se mesure à l’échelle d’une vie humaine, oscille entre ruptures et continuités. La démonstration n’a rien d’original mais elle permet de donner une profondeur à l’histoire d’une paroisse devenue mythique dans l’imaginaire catholique lyonnais. Et, en déplaçant le récit des origines, elle permet aussi de commencer à amener la matière d’un commentaire critique qui multipliera ensuite les clés de lecture des réalités paroissiales et de leurs retranscriptions par le discours catholique. Entre biographie, histoire familiale et analyse d’un réseau de catholiques lyonnais, ce premier temps de l’histoire, qui laisse le récit mener à leur terme les logiques individuelles, familiales ou collectives des itinéraires, s’intéresse aux acteurs de l’histoire paroissiale à venir. C’est le discours de l’historien qui a inventé ce temps, qui ne lui était en rien donné a priori, et qui n’a pas été seulement conçu comme l’étude des origines de l’histoire. Car la première partie a une logique intrinsèque, un objet particulier : l’histoire d’un individu, de son rapport au groupe familial et aux réseaux relationnels entrecroisés qui l’accueillirent, forme son unité, alors que ce n’est plus l’itinéraire particulier de cet individu qui interrogera la deuxième partie de la thèse.

En abandonnant la focalisation sur les acteurs de l’histoire, la deuxième partie privilégiera un autre point de vue. Les analyses historiques continueront à se débattre entre le monde et ses représentations, observés encore à l’échelle de la micro-histoire, mais en se polarisant cette fois sur l’espace délimité par le territoire paroissial. On se concentrera dès lors sur l’histoire de l’expérience paroissiale de Notre-Dame Saint-Alban, telle qu’elle s’est déroulée de 1919 à 1949, entre le moment où les fondateurs de la paroisse ont investi cet espace de la périphérie urbaine et la mort de Laurent Remillieux, qui a exercé tout ce temps la charge curiale, dans ces trois décennies qui ont renouvelé les perspectives catholiques de la mission intérieure. Le temps et l’espace s’étaient imposés, il ne restait plus qu’à suivre dans leurs agissements et leurs considérations ceux qui, pour une raison ou une autre, habitaient, fréquentaient la paroisse Notre-Dame Saint-Alban ou s’intéressaient à elle. Cette dernière, qui avait donné son nom au sous-titre de la thèse, devenait enfin l’objet central de l’histoire. Mais que l’on réfléchisse sur les itinéraires religieux et social de quelques catholiques lyonnais durant les deux premières décennies du vingtième siècle ou que l’on tente de croiser histoires religieuse et sociale de la paroisse qu’ils fondèrent dans les trois décennies suivantes, la recherche contribue dans les deux cas à l’écriture d’une histoire du religieux dans la ville du premier vingtième siècle.

Notes
1.

Yvan Daniel et Henri Godin, La France, pays de mission ?, Lyon, Editions de l’Abeille, 1943, 215 p.

2.

La rénovation liturgique a été mise en valeur par Henri-Charles Chéry, Communauté paroissiale et liturgie, Notre-Dame Saint-Alban, Paris, Editions du Cerf, 1947, 157 p.

3.

Etienne Fouilloux dans un chapitre du tome 12 de l’Histoire du christianisme, chapitre qu’il consacre aux « traditions et expériences françaises », évoque « la stratégie de préservation complétée par des projets offensifs en vue de reconquérir tout ou partie du terrain perdu », Jean-Marie Mayeur, Charles Pietri, André Vauchez, Marc Venard (dir.), Histoire du christianisme : des origines à nos jours, Tome 12. « Guerres mondiales et totalitarismes (1914-1958) » sous la responsabilité de Jean-Marie Mayeur, Desclée / Fayard, 1990, 1149 p., p. 469.

4.

Jean-Claude Delbreil, Les catholiques français et les tentatives de rapprochement franco-allemand (1920-1933), Université de Metz, S.M.E.I., 1972, 254 p. L'ouvrage est la version abrégée d'une thèse de doctorat de 3e cycle soutenue à la Sorbonne en juin 1969.

5.

Etienne Fouilloux, Les catholiques et l’unité chrétienne du XIXe et XXe siècle. Itinéraires d’expression française, Paris, Editions du Centurion, 1982, 1007 p.

6.

Joseph Folliet, Le Père Remillieux, curé de Notre-Dame Saint-Alban (1882-1949), Lyon, Chronique Sociale de France, 1962, 293 p.

7.

Françoise Bayard et Pierre Cayez (sous la direction de), Histoire de Lyon, tome 2, Du XVIe siècle à nos jours, Le Coteau, Horvath, 1990, p.444.

8.

Joseph Folliet, Le Père Remillieux…, op. cit.., p. 290.

9.

Lettre de Victor Carlhian à Laurent Remillieux, datée du 13 novembre 1922, Papiers Remillieux.

10.

Régis Ladous, « Victor Carlhian aux sources du personnalisme », in Jean-Dominique Durand, Bernard Comte, Bernard Delpal, Régis Ladous, Claude Prudhomme (dir.), Cent ans de catholicisme social à Lyon et en Rhône-Alpes – La postérité de Rerum Novarum, Paris, Les Editions Ouvrières, 1992, 566 p., p. 171-179. Etienne Fouilloux, « Jules Monchanin dans les milieux intellectuels lyonnais de l’Entre-deux-guerres », Jacques Gadille et Jean-Dominique Durand (dir.), Jules Monchanin (1895-1957) – Regards croisés d’Occident et d’Orient, Lyon, PROFAC-CREDIC, 1997, 409 p., p. 53-71. Françoise Buclet, Le Van, Revue lyonnaise de bibliographie, 1921-1939, Mémoire de Maîtrise d’histoire contemporaine sous la direction d’Etienne Fouilloux, Université Lumière Lyon II, 1995, 260 p.

11.

C’est Yves Musset, prêtre du Prado et responsable des archives conservées au séminaire du Prado à Limonest qui m’a lancée sur cette piste. La rencontre fortuite de deux anciennes résidentes de la Maison Sociale de Saint-Alban lui avait permis d’établir le lien qui existait entre cette Maison Sociale, installée dans le quartier du Transvaal, et l’équipe de laïques au centre du projet de Victor Carlhian, dont il avait pris connaissance lors de nos conversations. En croisant les témoignages et les allusions contenues dans les sources secondaires, on pouvait se rendre compte de l’importance de l’expérience menée sur le territoire de Notre-Dame Saint-Alban.

12.

« Les communistes et les chrétiens : alliance ou dialogue ? Madeleine Delbrêl (1906-1933-1964) », Le Supplément, Editions du Cerf, juin 1990, p. 5-145.

13.

Une conversation avec Alain Saint-Denis, médiéviste, professeur à l’Université de Bourgogne, que je rencontrai lors d’un colloque à Rouen en janvier 2000, me persuada de la pertinence des interrogations croisées. Qu’il s’agisse d’examiner le problème du religieux dans les villes de la Bourgogne du XIIe siècle ou dans la ville du premier XXe siècle, les préoccupations pouvaient être comparées.

14.

Jacques Revel, « Un vent d’Italie – L’émergence ce de la micro-histoire », in Jean-Claude Ruano-Borbalan, L’histoire aujourd’hui, Auxerre, Editions Sciences Humaines, p. 239-245. Ces quelques pages résument les travaux que Jacques Revel a consacrés à la micro-histoire et notamment sa réception par les historiens français sur le terrain de l’histoire sociale. Deux textes de Jacques Revel ont particulièrement guidé ma démarche et m’ont aidée à définir le cadre méthodologique de ma recherche. Il s’agit, d’une part de sa présentation de l’ouvrage de Giovanni Levi : Jacques Revel, « L’histoire au ras du sol », présentation de Giovanni Levi, Le Pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont au XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1989, p. I-XXXIII, et d’autre part ses contributions à l’ouvrage collectif publié sous sa direction, Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Seuil / Gallimard, Hautes Etudes, 1996, 247 p.

15.

Jacques Revel, « Présentation », Jeux d’échelles…, op. cit.., p. 12.

16.

Carlo Ginzburg et Carlo Poni, « La micro-histoire », Le Débat, n°17, 1981, p. 136.

17.

Par exemple : Emile Pin, Pratique religieuse et classes sociales dans une paroisse urbaine, Saint-Pothin à Lyon, Paris, Spes, 1956, 445 p.

18.

On peut citer l’ouvrage sur la paroisse de L’Haÿ-Les-Roses, animée par des moines bénédictins : Sophie Hasquenoph, Dom Hadelin Van Erck, Une aventure bénédictine, Paris, Le Sarment Fayard, coll « Des chrétiens d’Age en Age », 1996, 419 p.

19.

Jean-Claude Ruano-Borbalan, « Introduction générale », L’histoire aujourd’hui, Auxerre, Sciences Humaines Editions, 1999, 473 p., p. 8.

20.

C. Ginzburg et C. Poni, « La micro-histoire », op. cit.., p. 134.

21.

C. Ginzburg et C. Poni, « La micro-histoire », op. cit.., p. 134.

22.

J.-C. Ruano-Borbalan, « Introduction générale », L’histoire aujourd’hui, op. cit.., p. 8. Le colloque évoqué était intitulé « Savoir et compétences en formation, éducation et organisation », organisation scientifique Sciences Humaines, actes parus sous la direction de J.-C. Ruano-Borbalan, avec la collaboration de Martine Fournier, Paris, Editions Demos, 2000, 190 p.

23.

Voir la réflexion de Gérard Noiriel, Sur la « crise » de l’histoire, Paris, Belin, 1996, 347 p.

24.

Les contributions et les débats suscités par le sujet « Histoire et anthropologie, nouvelles convergences ? » ont été publiés par la Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 49-4bis, supplément 2002, p. 81-121. Ce dossier est l’occasion de dresser un inventaire des débats les plus récents, de rappeler les conditions de leur développement en les replaçant dans les évolutions de l’historiographie du XXe siècle, et de rassembler une bibliographie, dans laquelle on avait déjà largement puisé mais sans l’avoir encore mise au point de façon systématique.

25.

Sur le problème des emprunts « sauvages », voici ce que déclare notamment Jocelyne Dakhlia, alors qu’elle défend l’actualité d’une anthropologie historique : « Pour fréquenter un peu des anthropologues, je sais qu’ils s’agacent souvent d’un usage peu rigoureux de l’anthropologie là où s’arrête la compétence historienne, comme une référence un peu magique, dès que l’on tombe sur un schème plus ou moins universel et apparemment inexplicable. Mais cette critique ne porte pas, me semble-t-il, sur le travail proprement dit de l’anthropologie historique, plutôt sur des annexions un peu sauvages, floues, de la référence anthropologique. », Revue d’histoire moderne et contemporaine, op. cit., p. 85.

26.

Michel Naepels, « L’anthropologie au sein des sciences sociales historiques », Revue d’histoire moderne et contemporaine, op. cit., p. 103-108. Sauf indication contraire, les citations qui suivent sont tirées de cette contribution.

27.

Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire : essai d’épistémologie, Paris, Editions du Seuil, coll. « L’Univers historique », 1971, 350 p., repris dans Comment on écrit l’histoire, Paris, Editions du Seuil, coll. « Points, Histoire », 1996, 438 p.

28.

Jean Bazin, « La production d’un récit historique », Cahiers d’études africaines, 1979, n° 19, p. 435-483.

29.

Michel Naepels suit encore la réflexion de Jean Bazin, « Interpréter ou décrire. Notes sur la connaissance anthropologique », in Jacques Revel, Nathan Wachtel (éd.), Une école pour les sciences sociales. De la VIe section à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, Editions du Cerf, 1996, 554 p., p. 401-420.

30.

J. Bazin, « Interpréter ou décrire. Notes sur la connaissance anthropologique », op. cit., p. 420.

31.

Michel Naepels cite la contribution d’Alban Bensa, « De la micro-histoire vers une anthropologie critique », in J. Revel, Jeux d’échelles…, op. cit., p. 37-70.

32.

Serge Gruzinski évoque Carlo Ginzburg notamment.

33.

Etienne Anheim et Benoît Grévin, « “Choc des civilisations” ou choc des disciplines ? Les sciences sociales et le comparatisme », Revue d’histoire moderne et contemporaine, op. cit., p. 122-146, à propos de Marcel Détienne, Comparer l’incomparable, Paris, Editions du Seuil, coll. « La librairie du XXe siècle », 2000, 129 p., et Jack Goody, L’Orient en Occident, Paris, Editions du Seuil, coll. « La librairie du XXe siècle », 1999, 393 p., (1ère édition Cambridge, 1996).

34.

Etienne Anheim et Benoît Grévin, « “Choc des civilisations” ou choc des disciplines ? Les sciences sociales et le comparatisme », op. cit., p. 143.

35.

Maurice Garden et Dominique Dessertine, « Les quartiers urbains. Définitions, limites, méthodes d’analyse », Bulletin du Centre d’histoire économique et sociale, 1979, n°1, p. 21-39.

36.

J’ai dépouillé le Bulletin du Centre d’histoire économique et sociale de l’Université Lumière Lyon 2 sur les vingt-cinq dernières années. De plus, j’ai utilisé les « Références bibliographiques sur le quartier urbain (Europe ; fin XVIIIe-1940) », mises à disposition par Claire Berthet et Olivier Faron dans ce même bulletin, 1992, 1, p. 43-47.

37.

Jean-Paul Burdy, Le Soleil noir, un quartier de Saint-Etienne, 1840-1940, Lyon, P.U.L., 1989, 270 p.

38.

Jean-Luc Pinol, Les mobilités de la grande ville, Lyon fin XIXe – début XXe, Paris, P.F.N.S.P., 1991, 432 p.

39.

Je n’évoquerai que deux références qui me paraissent essentielles parmi les travaux d’histoire urbaine : Gérard Jacquemet, Belleville au XIXe siècle, du faubourg à la ville, Paris, 1984 ; Annie Fourcaut, La banlieue en morceaux, Paris, Créaphis, 2000, 345 p., synthèse la plus récente des travaux de l’historienne de la banlieue parisienne, qui porte spécialement sur les lotissements de banlieue dans l’entre-deux-guerres, mais qui permet, par sa bibliographie, de faire le point sur les travaux majeurs de l’histoire des périphéries urbaines.

40.

Bilan historiographique proposé par Jean-Luc Pinol, « L’histoire urbaine contemporaine en France », in Jean-louis Biget et Jean-Claude Hervé (dir.), Panoramas urbains. Situation de l’histoire des villes, ENS Editions Fontenay / Saint-Cloud, 1995, p. 209-232. La lecture du deuxième tome de la nouvelle histoire urbaine de l’Europe est aussi éclairante : voir Jean-Luc Pinol (sous la direction de), Histoire de l’Europe urbaine, Tome II : De l’Ancien Régime à nos jours. Expansion et limite d’un modèle, Paris, Seuil, 2003, 889 p.

41.

L’annexe 2 relate la constitution de la base de données et ses difficultés méthodologiques.

42.

Je pense d’abord aux travaux de Pierre-Yves Saunier car ils ont commencé par concerner la ville de Lyon, mais aussi au groupe formé à l’Université de Caen autour de Colette Muller et à l’équipe dirigée par Marc Saint-Hilaire à l’Université Laval de Québec. Parmi ces géographes, ceux qui se sont spécialisés dans le domaine de la géographie historique ont particulièrement attiré mon attention.

43.

Cette collaboration avec un géographe de l’Université Jean Moulin Lyon 3, Jérôme Chaperon, m’a conduite à participer aux sessions consacrées au thème « Religion in the City » par la Onzième Conférence de Géographie Historique qui s’est tenue à Québec du 12 au 18 août 2001. Les aspects techniques du travail cartographique sont présentés dans l’annexe 3 et le dossier cartographique est contenu dans l’annexe 4.

44.

Pour faire le point sur les définitions du concept de territoire, tel qu’il est utilisé par les historiens cette fois, on peut partir d’un article de Nicolas Verdier, « Variations sur le territoire. Analyse comparée de projets urbains : Le Havre 1789-1894 », Annales HSS, juillet-août 2002, n° 4, p. 1031-1066. L’auteur y analyse une série de projets urbains concernant la ville du Havre au XIXe siècle, dans le dessein d’en tirer des informations sur les conceptions territoriales de cette époque. Le début de l’article rappelle les nombreuses définitions encore discutées du territoire et propose un point de départ pour constituer une bibliographie sur la question. Cet article est tiré de Penser le territoire au XIXe siècle, le cas des aménagements de l’Eure et de la Seine Inférieure, Thèse de doctorat en histoire et civilisation sous la direction de Bernard Lepetit puis Jacques Revel, Ecole des hautes études en sciences sociales, Paris, 2 vol., 609 f°, soutenue le 18 décembre 1999.

45.

Concept opératoire, le territoire est un outil de réflexion construit par le chercheur. Employé par les acteurs de l’histoire à écrire, il devient objet d’histoire. Qu’il ait une réalité ou non, le territoire des Eglises demeure celui de l’historien puisque que, tout autant que la réalité, les discours tenus sur cette réalité et ses représentations sont les objets de l’histoire.

46.

Jacques Revel, « L’histoire au ras du sol », op. cit.., p. XI.

47.

Si j’avais à choisir une position parmi celles des praticiens de la micro-histoire, on aura compris que je suivrais celle de Jacques Revel « (et aussi celle de M. Abélès, d’A. Bensa, de B. Lepetit) [qui] voit dans le principe de la variation d’échelle une ressource d’une exceptionnelle fécondité, parce qu’elle rend possible la construction d’objets complexes et donc la prise en compte de la structure feuilletée du social. Elle pose du même coup qu’aucune échelle n’a de privilège sur une autre, puisque c’est leur mise en regard qui procure le plus fort bénéfice analytique. », Jacques Revel, « Présentation », J. Revel, Jeux d’échelles…, op. cit., p. 13.

48.

« La réduction d’échelle proposée par Ginzburg et Poni, après Grendi, invitait à une autre lecture du social », Jacques Revel, « L’histoire au ras du sol », op. cit.., p. XI.