Le repli sur une action religieuse et sociale

Ce réseau formé avait donc survécu à la condamnation de 1910. Il s’était resserré autour d’un noyau qui reprenait en main les activités militantes réorientées sur le terrain politique avec la Jeune République. Les clercs qui avaient participé au mouvement sillonniste avaient certes pris leurs distances avec l’action politique. Mais cet éloignement s’inscrivait pour la plupart dans la continuité de la réserve publique qu’ils avaient adoptée dans la dernière année de l’existence du Sillon et, de toutes les façons, il était déjà devenu difficile de confondre membres du réseau et militants actifs : même si certains, comme les frères Remillieux, ne participaient plus à la lutte politique, ils appartenaient encore au réseau de sociabilité des anciens sillonnistes. La collaboration qui s’engageait entre laïcs militants à la Jeune République et clercs pour mettre en place la colonie de Chapareillan et garantir son fonctionnement le montrait concrètement. Ce projet puisait ses ressources dans l’amitié qui liait Jean Remillieux à Victor Carlhian et dans leur volonté de poursuivre l’œuvre d’éducation populaire qui les avait retenus dans le Sillon. Dans la biographie publiée par Laurent Remillieux après la mort de son frère, la colonie de Chapareillan occupe vingt-deux des pages du troisième chapitre, consacré à retracer les expériences ministérielles de l’abbé Jean Remillieux 217 . Largement remplies par les notes rédigées par Victor Carlhian, ces pages, sans jamais envisager directement l’inspiration sillonniste ni la continuité des deux expériences, l’évoquent implicitement : les idées sociales et éducatives mises en exergue par Victor Carlhian, comme le vocabulaire qu’il employait ramenait le projet de Chapareillan au texte qu’il avait écrit en 1908 sur « la théorie politique et sociale du Sillon », objet aussi de son rapport qui avait ouvert la séance sur les œuvres sociales lors du VIIe Congrès national du Sillon. La formation et l’éducation d’une élite, capable à son tour de forger la société à venir sur les bases de l’idéal qui avait été défini par les sillonnistes, déterminait la base du programme. Mais alors qu’en 1908, le programme débouchait sur la diffusion des idées démocrates et sociales, en 1911, il se réduisait à sa dimension religieuse : censure de Laurent Remillieux ou évolution de Victor Carlhian, influencé par son ami, Jean Remillieux, et blessé par la condamnation de 1910, ne pouvant finalement pas se résoudre à suivre la logique très politique de la Jeune République, on ne peut trancher sur l’explication, la solution se trouvant certainement dans la conjugaison des deux propositions. Dans tous les cas, on cerne là une inflexion majeure dans la vie de Victor Carlhian. En se mariant et en s’investissant dans l’œuvre d’un clerc, il privilégiait l’action religieuse, familiale et sociale, au détriment de l’action politique. On ne voudrait pas sombrer dans les travers de l’« histoire jugée » en essayant de dégager a posteriori les étapes qui l’auraient amené à l’œuvre accomplie avec la fondation de Notre-Dame Saint-Alban, mais on ne peut s’empêcher de mettre en parallèle l’expérience politique vécue à la Jeune République et celle de la colonie de Chapareillan : la comparaison des deux quant à l’enthousiasme de l’investissement montré par Victor Carlhian s’établit au détriment de la première. On a déjà remarqué que les autres sillonnistes, plus jeunes, étaient désormais appelés à occuper une place de plus en plus importante au sein de la Jeune République. On rappellera aussi que lors de l’allocution qu’il prononça au mariage de Victor Carlhian, Raymond Thomasset présentait l’ancien dirigeant du Sillon comme un compagnon et un collaborateur dévoué mais non comme celui qui menait la lutte politique. L’œuvre accomplie par le laïc à la colonie de Chapareillan montrait au contraire une détermination personnelle et résolue, que Raymond Thomasset replaçait sans hésiter dans le prolongement de l’action sillonniste :

‘« C’est bien aussi dans le même esprit que tu as conçu et organisé la Colonie de Vacances de Chapareillan où se formeront des jeunes gens hors de pair. » 218

Le projet de cette colonie, œuvre rattachée au Sillon catholique de Lyon, fut mené à son terme dès l’été 1911. Après la mort de Jean Remillieux, dans l’ouvrage qui lui était consacré, Victor Carlhian lui assignait un but exclusivement religieux rejoignant l’utopie missionnaire que les catholiques français désiraient mettre en œuvre sur le territoire national. Si l’on reconnaissait les méthodes du Sillon et son idéal démocratique et social, elles étaient dorénavant orientées uniquement vers la conversion de la société au christianisme.

‘« Il y a nécessité absolue aujourd’hui de former des hommes complets, corps et âme, dans une harmonieuse dépendance, mis au service du seul idéal qui mérite d’être poursuivi, parce qu’il est seul l’intégrale vérité : l’amour de Dieu, l’amour des autres. Ces hommes-là seront des meneurs ; ils appartiendront à l’élite qui, disséminée dans tous les milieux sociaux, fera l'avenir. En théorie, la famille devrait former cette élite ; l’école le pourrait. En fait, dans les conditions actuelles de la société, elles en sont toutes deux souvent incapables. L’abbé Jean Remillieux en vient à penser qu’il faut créer des milieux artificiels où s’accomplira la tâche nécessaire ; il lui apparaît que la colonie de vacances peut être l’un de ces milieux. » 219

Victor Carlhian s’effaçait devant l’abbé Jean Remillieux et c’était peut-être une façon de préserver son anonymat. Cela donnait aussi l’occasion à Laurent Remillieux de replacer l’œuvre de son frère dans une logique ecclésiale, conforme aux exigences de la hiérarchie vis-à-vis du Sillon catholique, plus généralement à la politique de Pie X, et qui écartait la suspicion engendrée par le Sillon. On retrouve dans ce discours et ses implications les encouragements pontificaux à une action catholique sociale certes menée conjointement par des laïcs et des clercs, mais celle des premiers demeurant dans le prolongement de celle des seconds. Le projet qui mêlait colonie de vacances et formation d’une élite éclairée, fer de lance d’une Eglise missionnaire, s’imprégnait des œuvres et des réflexions qui lui étaient contemporaines. « La première Action catholique » 220 déployait ses patronages, ses cercles d’études, ses sociétés de gymnastique et ses colonies de vacances dans le cadre paroissial ou dans celui de groupes liés à l’A.C.J.F. « En 1913, 171 patronages catholiques envo[yaient] 7000 enfants en colonies. » 221 Les anciens sillonnistes n’avaient pas été absents de ce mouvement qui renouvelait le catholicisme social. L’initiative de Jean Remillieux et de Victor Carlhian recueillait un double héritage, que l’abbé Vallier promouvait pour sa part depuis 1903 pour le compte de la Conférence lyonnaise Saint-Vincent de Paul à Verrières près de Montbrison, dans la Loire 222 . Après l’œuvre des Enfants à la Montagne, ce dernier avait ouvert, en 1907, deux autres colonies, à Aurec (Loire) et à Monsols (Rhône).

Les supérieurs de l’abbé Jean Remillieux avaient cependant d’abord retenu du projet la menace de l’héritage sillonniste et le prêtre n’avait obtenu que difficilement les autorisations officielles qui lui permettaient de prendre la direction de la colonie. On avait bien senti que sa volonté de refuser d’accorder à son œuvre un caractère charitable l’éloignait d’un catholicisme social traditionnel. Il ne s’agissait nullement d’accueillir des enfants déshérités en raison de leur pauvreté matérielle et morale. Ceux qui rejoindraient la colonie seraient au contraire sélectionnés sur leur valeur morale et intellectuelle dans tous les milieux sociaux qu’on pourrait atteindre. Il n’était donc pas seulement question d’offrir des vacances qui soustrairaient ces enfants à l’influence pernicieuse de leur milieu et de la ville industrielle 223 . Même si cet objectif entrait dans les projets de la colonie de Chapareillan, comme le montrera l’analyse du choix du lieu et la description des occupations des colons, il n’épuisait pas les intentions des organisateurs. Le temps de l’éloignement devait être consacré à leur formation morale et spirituelle : leur inculquer la discipline, le sens de l’effort et la beauté du sacrifice, les ouvrir à la vie en commun et aux autres milieux, voilà le programme de l’abbé Jean Remillieux redéfini par Victor Carlhian quelques années après. Certes, la formulation du programme, telle qu’elle apparaît dans l’ouvrage édité en 1916, peut avoir été contaminée par le vocabulaire lié à l’expérience de la Grande Guerre et il faut considérer avec prudence la terminologie utilisée. Certes, l’exposé sur les intentions reprend aussi le discours du temps sur « l’intérêt général », sur l’expérience de la vie commune qui permettait de fonder « une collectivité » et, à travers la célébration du contact retrouvé avec la nature procurant un bien-être physique et moral, on devine l’influence des théories hygiénistes. Mais de toutes les façons, les objectifs de cette colonie de vacances cadraient bien avec les aspects sociaux et religieux de l’idéal sillonniste qui avait enflammé les deux hommes. De plus, l’appui accordé à Jean Remillieux par l’ancien dirigeant du Sillon lyonnais, le fait que le projet apparût à tous comme une entreprise commune, renforçaient les inquiétudes des autorités diocésaines. La correspondance de Jean et Laurent Remillieux échangée en juin 1911 nous relate les péripéties de l’affaire en nous laissant entrevoir les réactions de leurs supérieurs hiérarchiques.

Le 23 juin 1911, Laurent Remillieux rendait compte à son frère d’une entrevue que lui avait accordée Mgr Lavallée, alors recteur des Facultés catholiques de Lyon, ainsi que directeur de l’enseignement secondaire catholique et, à ce titre, vicaire général du diocèse. Au cours de l’entretien, « Mr Lavallée » avait demandé des nouvelles des examens universitaires que Jean Remillieux était en train de passer. Puis, après avoir fait son éloge intellectuel, il en était venu à aborder le fond du problème :

‘« “J’ai appris au conseil de l’archevêché que votre frère allait ou désirait diriger une colonie de vacances du Sillon catholique. Je regrette de ne pas l’avoir su d’abord, car je tiens essentiellement à ce qu’aucun soupçon n’entache les débuts de son sacerdoce. Je tiens à causer longuement de cela avec lui.” » 224

Bien que Laurent Remillieux tînt à préciser que tout fut dit « sur un ton très aimable », il indiquait que, dans sa réponse, il avait protégé et justifié son frère, en précisant que ce dernier n’avait « pas le désir ni le droit d’enfreindre des ordres qui seraient explicitement donnés ». Le vicaire général envisageait le projet de Jean Remillieux avec une extrême réticence liée à la trop grande proximité de l’expérience sillonniste.

‘« “Ne croyez-vous pas Mr Remillieux que le fait de refuser des séminaristes à cette colonie de vacances, ne soit de la part de son Eminence une indication défavorable ?”
Puis pendant une heure il me soutint très éloquemment cette thèse : “Le Sillon fut et est un état d’esprit qui demeure sous des noms et dans des organes renouvelés. Cet état d’esprit lie intimement la vie religieuse, voire même la vie intérieure aux problèmes sociaux et politiques qui se posent. C’est là que fut la force du Sillon, ce sera encore celle de La Démocratie ou des partis nouveaux. Défalcation faite des erreurs de détail ou des exagérations de langage condamnées par le pape, le Sillon est essentiellement le mélange de la vie publique à la vie spirituelle. C’est cet état d’esprit qui aura fait écrire “la plus belle page de l’Eglise de France”. Mais c’est un fait dont on ne peut pas sortir : cette magnifique branche d’idéalisme a été cassée, brisée.”
Je te fais grâce de ce que j’ai répondu. Tu le devines. Je crois que mes réponses ont porté. Néanmoins nous avons couché sur nos positions. […] Prépare-toi à cette visite qu’il faut faire avant de voir le Cardinal. […] Il a été si gentil, si aimable tout en gardant parfois un ton doctoral. Il paraît avoir pour toi une telle affection que je ne saurais trop te conseiller de t’ouvrir entièrement à lui. Si tu es reçu […], il te laissera faire la colonie sans difficulté… sinon ? ? ? La question est pendante au conseil de l’archevêché. Mr Lavallée fera en somme ce qu’il voudra. » 225

Ce long extrait de la correspondance de Laurent Remillieux semble significatif des positions de chacun et des rapports que les frères Remillieux entretenaient avec leurs supérieurs hiérarchiques au sein de l’institution ecclésiale.

Le climat de l’année qui suivit la condamnation du Sillon était chargé de méfiance et personne ne doutait des survivances de l’esprit sillonniste. Le jugement de Mgr Lavallée sur le Sillon semble cependant empreint d’une compréhension qui nuançait la condamnation, et même d’une certaine mansuétude. Mais ses propos étaient évidemment rapportés par Laurent Remillieux qui pouvait les avoir filtrés ou interprétés ou encore déviés selon ses préoccupations personnelles. Ainsi, quand on connaît la volonté de réussite scolaire et universitaire qu’il avait reportée sur son frère, on peut se demander si l’espèce de chantage formulé autour de l’obtention de la licence de lettres qu’était en train de tenter Jean Remillieux n’était pas tout autant un effet de ses propres désirs, que le fruit de l’attachement du recteur des Facultés catholiques, agrégé de lettres, à la réussite d’un clerc destiné à un poste d’enseignement dans un petit séminaire. De plus, si Laurent Remillieux se donnait comme le héraut du sillonnisme, certaines de ses remarques et son insistance justement à se montrer comme l’ardent défenseur des positions sillonnistes n’étaient pas dépourvues d’ambiguïté. En octroyant à Fleury Lavallée une gentillesse et une amabilité qui allaient au-delà des convenances sociales, en lui prêtant d’abord des propos bienveillants à l’égard du Sillon puis une affection ressentie à l’égard de Jean, il influençait ce dernier et le prévenait contre toute tentation de velléités contestataires. L’ombre d’un chantage affectif planait sur ses conseils. Enfin, il faut relever la liberté de propos sinon de ton que révèle la relation de l’entrevue entre Laurent Remillieux et Fleury Lavallée. Certes, l’abbé Remillieux mentionnait le « ton doctoral » du chanoine, mais, d’après ce qu’il voulait bien répéter à son frère, il avait exprimé ses idées avec une liberté d’expression qui laisserait entendre un climat plus libéral qu’on n’aurait pu l’envisager au sein de l’institution. On ne peut pourtant pas supposer au chanoine Lavallée des sympathies sillonnistes 226 . La liberté qu’il accordait à Laurent Remillieux pouvait cependant aussi être la conséquence de la position de ce dernier à l’égard de sa hiérarchie : ne serait-il pas celui qui, plus prudent, plus mesuré, plus conforme aux attentes de l’institution, devait ramener son frère à la raison ?

En dépit des craintes que Laurent Remillieux exprima le lendemain lorsqu’il apprit l’échec de Jean à ses examens, l’entrevue de ce dernier avec le chanoine Lavallée, au soir du dimanche 25 juin, se déroula au mieux 227 . Le vicaire général l’autorisait à prendre pour un mois la direction de la colonie, tout en exigeant la promesse de rentrer au plus tard vers le 15 ou le 20 septembre. Il lui conseillait de se rendre au plus tôt chez le cardinal pour lui communiquer les résultats de cet entretien. La rencontre eut effectivement lieu le lundi 26 juin. Le cardinal Coullié se laissa aisément convaincre par la recommandation de son vicaire général, non sans avoir répété à Jean Remillieux que « ces messieurs du Sillon, si généreux, viv[aient] dans les nuages » 228 . L’abbé Remillieux repartit des bureaux du secrétariat avec une lettre signée de l’archevêque l’autorisant à se charger de la colonie du Sillon catholique de Lyon. A son retour à Lyon, un nouvel entretien accordé par Fleury Lavallée lui confirma, le 22 septembre, la nouvelle de sa nomination comme professeur d’une classe de quatrième à l’Institution Notre-Dame des Minimes. Ce poste répondait à ses vœux car il lui permettait de continuer à vivre chez ses parents tout en poursuivant le ministère entamé à Croix-Luizet, « avec l’assentiment exprès de M. Lavallée lui-même » 229 . Ce dernier n’avait pas manqué de le remettre en garde contre un attrait intempestif pour les fréquentations sillonnistes.

‘« Tu devines avec quelle joie je te confirme la nouvelle de ma nomination aux Minimes : j’ai vu hier M. Lavallée qui me l’a annoncée avec un mélange d’amabilités et de sévères conseils préventifs : Sillon… etc. ! Tout a d’ailleurs été gentiment dit, avec des protestations répétées de confiance… » 230

On retrouve toujours cette même légèreté avec laquelle Jean Remillieux accueillait les conseils et les mises en garde de sa hiérarchie. Idéaliste, sûr du bien-fondé de ses choix sillonnistes, confirmé dans ces choix par son entourage familial, il ne remettait pas en question la direction qu’il avait donnée aux réalisations temporelles de sa vocation ni la réflexion qu’il avait menée sur les rapports que devaient entretenir christianisme et société moderne. Il ne faudrait pas croire cependant que ses audaces demeuraient sans limites. Si sa hiérarchie recevait avec tant de bienveillance « ses originalités », elle restait en contrepartie assurée de son respect des règles et des décisions de l’institution.

Sans aucune ambiguïté, chaque fois qu’il en avait l’occasion, il défendait les positions de l’Eglise catholique lyonnaise face au camp anticlérical. C’était bien sûr avec plaisir que Laurent Remillieux avait mis en valeur ces interventions dans l’ouvrage qui lui était consacré après sa mort. A plusieurs reprises, au cours de l’année 1911, Jean Remillieux interpella les habitants de Croix-Luizet pour justifier le point de vue officiel des catholiques face à des attaques anticléricales menées par des journaux républicains proches des radicaux. Dans des tracts répandus dans le quartier, il soutenait les décisions des « évêques de la région », qui avaient « interdit la lecture du Progrès de Lyon et du Lyon républicain », ou dénonçait les polémiques de journalistes vilipendant l’oppression dont se rendaient coupables les autorités ecclésiastiques vis-à-vis des « pauvres cervelles catholiques » à l’occasion des illuminations du 8 décembre glorifiant le dogme de l’Immaculée Conception 231 . Aucune concession envers le camp ennemi n’était envisageable et l’abbé Jean Remillieux participait activement de la politique de défense religieuse menée par l’Eglise catholique à Lyon.

Son amitié avec Victor Carlhian ne l’avait pas non plus conduit jusqu’à épouser les sympathies de son ami pour les thèses modernistes ni sa tendance à une critique sociale acerbe. Il se refusait ainsi à envisager les inégalités économiques et sociales comme un obstacle à l’épanouissement spirituel des classes populaires. Alors que Victor Carlhian désirait combattre la pauvreté et ses injustices pour préparer une reconquête religieuse, lui au contraire reprenait la tradition ecclésiale en opposant à ses ambitions réformatrices la conception mystique du sacrifice.

‘« Tandis que je montre le fardeau économique faisant ployer l’humanité sous son faix et étouffant en elle le sentiment du beau, l’emprise des besoins matériels assujettissant l’âme à la domination charnelle, la servitude de l’esprit sous le travail qui l’écrase, le prêtre me montre la religion venant au secours de l’esprit, substituant à la misère qui dégrade la mortification qui exalte, à la souffrance de la faim l’épreuve purifiante du jeûne, laissant intactes les choses, mais en transposant la valeur, refaisant notre psychologie humaine, pour substituer aux sentiments naturels la grâce divine qui les transfigure.
Je pars d’un point de vue rationnel. Je voudrais briser et alléger le fardeau de misère et de travail afin que l’humanité puisse lever la tête vers ses destinées spirituelles et divines, contempler la beauté et faire le bien ; le prêtre qu’il est part d’un point de vue surnaturel et mystique qui rend le fardeau doux et léger : il veut enseigner à porter la croix. » 232

La misère matérielle était transcendée par le sacrifice et la rédemption qui lui était liée. Cette lecture religieuse de la question sociale avait le mérite d’évacuer toute tentation de lui chercher une solution politique. Les positions de Jean Remillieux adoptaient paradoxalement le point de vue d’une pensée catholique réactionnaire éloignée de l’état d’esprit sillonniste.

De la même façon, sa conception de l’autorité ne pouvait contrevenir à l’ordre institutionnel. Toute réflexion d’ordre théologique devait se soumettre au contrôle de l’institution et accepter son jugement. Les termes d’autorité, de contrôle et de discipline revenaient régulièrement dans les échanges que rapporta plus tard Victor Carlhian. Loin de discuter des idées qui circulaient dans les milieux modernisants qui avaient pourtant attiré le dirigeant du Sillon lyonnais, Jean Remillieux renvoyait son ami à la nécessité de se conformer aux enseignements officiels de l’Eglise. Quand Victor Carlhian lui opposait la difficulté de faire le deuil des opinions et des projets condamnés, il avançait la primauté du spirituel et les exigences de l’intérêt supérieur de l’Eglise. Dans tous les cas, seule l’institution détenait la vérité et le catholique devait reconnaître cette évidence.

‘« Il m’expliquait alors la nécessité de l’autorité. Afin de discipliner le courant de la vie mystique et d’en écarter toute illusion, afin d’opérer le triage de l’humain et du divin, du charnel et du surnaturel, il faut que la théologie, s’appuyant sur les enseignements officiels de l’Eglise, en développe les conséquences rationnelles. L’Eglise progresse par les saints, par les bourgeons de leurs vertus. Ils manifestent la sève divine qui circule dans tous les rameaux vivants issus de son tronc ; mais ne faut-il point émonder l’arbre, éviter qu’il se couvre de feuilles au détriment des fleurs et des fruits ? […] Nous chrétiens, nous y voyons la nécessité d’être unis, dans une même foi, au siège de Pierre.
Est-ce que d’ailleurs, un contrôle de la vie mystique n’est pas nécessaire ? Il doit être concordant avec l’expérience antérieure, concordant avec la révélation. C’est au magistère de l’Eglise à confirmer cette concordance. La vie surnaturelle dans les âmes requiert l’autorité. » 233

Evidemment, Victor Carlhian avait épuré de tout leur contenu polémique les conversations qu’il avait rapportées par écrit à Laurent Remillieux. Il s’en tenait à des généralités prudentes. Dans l’objectif d’une publication soutenue par l’Eglise et préfacée justement par Monseigneur Lavallée, il ne pouvait être question de soulever le problème du modernisme et, comme on laissait dans l’ombre l’engagement sillonniste de Jean Remillieux, on édulcorait les débats théologiques que Victor Carlhian avait pu soulever lors de ses discussions avec le jeune prêtre. De ce fait, la biographie de l’abbé Jean Remillieux n’offre que l’image reconstituée d’une communauté catholique lyonnaise consensuelle.

L’amitié de Victor Carlhian et de Jean Remillieux était née du compagnonnage sillonniste. Pourtant les rapports que les deux hommes avaient développés ne reprenaient pas ceux qui structuraient le groupe sillonniste. Victor Carlhian n’apparaissait plus comme l’aîné et le guide que désignait Raymond Thomasset. La différence d’âge, encore plus importante entre Victor Carlhian et Jean Remillieux (onze ans) qu’entre Victor Carlhian et Raymond Thomasset (huit ans) aurait dû jouer en sa faveur. Mais le statut de Jean Remillieux lui assurait une prééminence spirituelle qui régissait les rapports entre clerc et laïc. Victor Carlhian avait lui-même retranscrit les propos tenus par son ami et les avait orientés selon les besoins de sa démonstration. Il mettait donc en scène la supériorité spirituelle du clerc sur le laïc qui ne savait pas tout abandonner à sa foi : il méprisait dorénavant l’intellectualisme qui l’avait conforté dans ses velléités contestataires. Mais il est aussi possible d’imputer la repentance que Victor Carlhian montrait implicitement dans ces passages à la mort de son ami et à la culpabilité qu’il pouvait en éprouver. Son texte confiait la douleur de la perte.

‘« A l’évocation de ce souvenir, toute ma pensée s’émeut d’une douleur tragique. Il n’est plus là, et certaines choses ne pourront pas être. Chaque homme a un secret à révéler, et s’il meurt trop tôt, il emporte ce secret dans la tombe. Le secret qu’il avait à dire, on ne le saura jamais. C’est là l’inconsolable regret, la grande souffrance que l’on éprouve, devant le souvenir de ceux qui sont partis trop tôt. » 234

Et cette confidence de « l’inconsolable regret » jetait une autre lumière sur l’admiration portée par le laïc au clerc. La disparition héroïque de Jean Remillieux mettait un terme à leurs débats et la seule marque d’affection que Victor Carlhian pouvait encore lui offrir était de se rendre à sa vision du monde et à sa conception de la foi. Celui qui restait vivant s’effaçait devant l’inévitable supériorité de celui qui était mort. En devenant le garant du souvenir, il devait abdiquer la part de libre arbitre qui avait maintenu le débat tant que l’autre était présent.

‘« Malgré nous, le siècle nous enveloppe, nous les laïcs, et de même que nos habits étaient pleins de la poussière de la grande ville, ainsi le monde s’attache à nous et nous naturalise. Nous sommes imprégnés des senteurs du siècle et de la poussière des choses profanes ; c’est un voile imperceptible ; il suffit à ternir l’éclat de l’âme. Avec l’abbé Jean, je comprenais mieux la grandeur du sacerdoce et la beauté d’une âme qui vit dans l’atmosphère spirituelle et morale la plus haute, qui échappe à la fumée du monde. » 235
« Ce n’est pas la première fois que je sens toute la distance qui sépare ses pensées, toutes imbibées de surnaturel, de mes vues trop humaines. Je cherche Dieu ; lui l’a trouvé. Je voudrais aller à la Beauté ; il en vient. Je voudrais l’homme plus homme, plus affermi dans son rôle de créature raisonnable et libre, et lui m’explique les étranges abaissements d’un Dieu devenu homme. » 236

Aussi quand Laurent Remillieux assurait en juin 1911 le chanoine Lavallée que son frère se conformerait bien aux ordres qu’il recevrait, ne peut-on qu’accepter son appréciation. Le témoignage de Victor Carlhian repris dans la biographie de 1916 semble même confirmer le jugement. Alors que le laïc peinait à comprendre comment Jean Remillieux acceptait des décisions toute administratives, qui contrevenaient à ses désirs et à la façon qu’il avait d’envisager la réalisation de sa vocation, ce dernier le rassurait en opposant à la vanité de sa volonté personnelle la grandeur du sacrifice. Pour l’abbé Jean Remillieux, l’obéissance à l’autorité participait de son « abandon à Dieu » et c’était en son nom qu’il retenait son ami dans ses élans à bâtir des projets d’avenir.

‘« Le sens de la discipline et de l’abandon à la volonté de Dieu, qui était si développé chez lui, était aussi un fruit de l’humilité. Quand son ami faisait des plans d’avenir il lui répondait “qu’il appartenait au devoir que la discipline lui imposerait, aujourd’hui ici, demain là..” L’ami se révoltait. “Mais si c’est ici que tu peux rendre des services, pourquoi accepter d’aller là, pourquoi ne pas mettre en premier lieu ses goûts, ses préférences, ses possibilités de travail ? Je suis un païen d’avoir articulé ces mots en premier lieu. Ce n’est pas ainsi qu’une âme chrétienne raisonne. Il faut placer en premier lieu l’obéissance et la fidélité ; c’est en second lieu qu’il faut tenir compte de ses goûts. L’autorité, au reste, en tient toujours largement compte. A elle seule appartient d’organiser le travail. Faisons-lui crédit.” […]
“J’admirais l’éducation qui aboutit à un tel dépouillement de l’homme et le forme ainsi pour la société… Quand, parfois, il insistait sur la nécessité de l’obéissance absolue à l’autorité, il m’arrivait de trouver ses paroles dures. En théorie, j’admettais ; mais en pratique, s’imposer cette loi de l’obéissance et du silence me semblait le renoncement suprême.” […]
Cette obéissance était du sacrifice.
“Il me montrait le christianisme comme entièrement organisé autour de cette loi du sacrifice rédempteur ; il m’exposait toute l’économie providentielle de la souffrance, en vue de racheter le péché.” » 237

Victor Carlhian finissait par reconnaître l’inanité de sa position et la légitimité transcendante de celle du clerc. Mais cette fois les citations utilisées dans le passage en question étaient entrecoupées de phrases de transition écrites par Laurent Remillieux, faisant clairement apparaître les manipulations successives qu’avaient subies les propos tenus par Jean Remillieux. S’il est alors difficile de faire la part des choses et d’attribuer à chacun sa pensée et ses paroles originelles, le résultat n’en demeure pas moins intéressant. On doit en retenir le consensus dégagé autour du noyau d’anciens sillonnistes formé par les frères Remillieux et Victor Carlhian : la soumission aux autorités de l’Eglise catholique était revendiquée, la primauté du spirituel devait guider l’action religieuse et sociale de ces hommes, les frères Remillieux représentaient une sorte de force centrifuge qui avait absorbé l’ancien dirigeant du Sillon lyonnais et Laurent Remillieux apparaissait déjà comme celui qui détenait le mot de la fin.

L’expérience de Chapareillan confirme d’ailleurs ces quelques conclusions. Plusieurs membres de la famille Remillieux participèrent directement à la première colonie : Jean Remillieux bien sûr, mais aussi Joseph, le benjamin de la famille, qui vint comme colon et dont on attendait qu’il formât « un noyau de solide bon esprit et de joyeuse piété » 238 , et Augustine, la « Petite Mère », qui assuma l’organisation matérielle des repas essentiellement. Laurent Remillieux avait intercédé en faveur de son collègue, l’abbé Vallas, qu’il avait déjà présenté à sa famille mais qui n’était pas encore entré dans son intimité. Il tenait à l’intégrer dans les projets familiaux pour « affermir sa vocation, jeter peut-être quelques germes qui ailleurs ne l’[auraient] jamais [atteint] en le séparant de sa famille qui [était] un véritable enfer ». La colonie de Chapareillan l’accueillit comme directeur et ces quelques semaines partagées firent beaucoup pour l’introduire effectivement dans le cercle relationnel des frères Remillieux. Quelques jours avant le début de la colonie, Jean Remillieux, Victor Carlhian et Jean Vallas s’accordèrent un peu de répit et se retrouvèrent pour un séjour en haute montagne, dans le massif de la Maurienne. Après une ascension guidée par l’abbé Vallas, emportés par la contemplation des hauts sommets, Jean Remillieux et Victor Carlhian ramenaient de leur expédition « la nostalgie avide des cimes » 239 . La haute montagne venait d’entrer dans le programme d’éducation réservé aux colons de Chapareillan après avoir trouvé sa place dans leurs objectifs de réalisation personnelle. Après l’été 1911, les projets d’excursions, de voyages et de vacances se réalisaient en la compagnie de Jean Vallas et le trio qu’il finit par former avec Jean Remillieux et Victor Carlhian multipliait les occasions de se retrouver en dehors de toute activité officiellement organisée, en dehors de toute militance formelle. Qu’il s’agît d’aller skier, de participer à une journée d’alpinisme ou de s’embarquer pour la Corse, la configuration amicale restait la même, si toutefois l’on exceptait une variable : le nombre de Remillieux participant à l’entreprise.

L’élection du lieu qui devait accueillir la colonie du Sillon catholique s’imposa au dernier moment. On ne sait pas qui proposa à Jean Remillieux le local de Chapareillan, « petite ville [située] dans la vallée du Grésivaudan, sur la frontière de l’Isère et de la Savoie » 240 . Victor Carlhian l’accompagna pour les premiers repérages. De Chambéry un détour les conduisit à Notre-Dame de Myans, lieu d’un pèlerinage local 241 où ils prièrent pour la bénédiction de leur œuvre. Une marche de deux heures et demie les conduisit ensuite à Chapareillan. Le paysage qui s’étendait entre le massif de la Grande Chartreuse et la chaîne de Belledonne les conquit d’emblée. Durant cet été 1911, la colonie s’établit dans l’ancienne église de Chapareillan pendant six semaines. Victor Carlhian ne resta pas sur place mais ses visites soutenaient son ami dans ses efforts de pallier les imprévus et les difficultés du premier séjour. Entre les exercices de piété et les corvées, les jeux et les courses en montagne égayaient le quotidien des colons. On retrouve dans la mise en œuvre de cette pédagogie qui « obéi[ssait] à un renouveau de la catéchèse » le « renversement de l’éducation morale » déjà observé dans d’autres patronages catholiques 242 . Répondre aux besoins et aux aspirations du colon et instaurer activement les bases d’une vie saine permettaient de transmettre un message éducatif beaucoup mieux que ne l’aurait fait l’assistance passive aux prédications, aux cérémonies ou aux leçons de catéchisme. Le choix d’une région montagneuse se révélait particulièrement propice à l’éducation des corps et des esprits.

‘« Plus encore que le jeu discipliné, la pratique de la haute montagne est une école d’énergie. En effet, elle demande aux excursionnistes un effort permanent et une discipline absolue. C’est le cheminement à travers des sentiers à peine tracés et pleins d’obstacles, roches ou éboulis, qu’il faut franchir en observant soigneusement les recommandations du chef de la caravane ; toute fausse manœuvre expose quelquefois à des dangers, toujours à des retards. L’escalade vous oblige à l’aide d’autrui. Là, plus que partout, le sentiment de la solidarité vous obsède et vous domine, requiert et facilite la pratique des vertus qui rendent la société possible. Tout ce dont on a besoin, même la nourriture, a dû être transporté péniblement. En montagne, il n’y a rien qui ne soit acheté, rien qui ne soit conquis.
Mais voici la récompense de la pénible ascension. […] La fatigue disparaît, tandis que seule demeure la vision radieuse d’un panorama inoubliable.
Quelle leçon plus convaincante […] ! Quel exemple peut mieux frapper de jeunes imaginations et leur prouver la nécessité de l’aide mutuelle, de la peine et de la discipline ! Quelle meilleure façon d’apprendre que la nature ne se dompte qu’au prix d’un retranchement et d’une privation, que tout enrichissement moral exige le don de soi-même et que tout progrès réclame la rançon d’un sacrifice !
Exposer les conditions de toute conquête spirituelle et morale, indiquer le prix qu’il y faut mettre, sont les points fondamentaux de toute science qui s’occupe d’éducation. » 243

La haute montagne portait à son apogée « les leçons de la vie commune » 244 dont profitaient tous les colons. Victor Carlhian reprenait aussi à son compte le discours des pédagogies actives désirant amener l’enfant à prendre connaissance du monde et du réel en dehors de toute abstraction 245 . Mais la montagne exaltait le rite initiatique suivi par les colons et l’ascension vécue par les adolescents avec leurs guides relevait de la métaphore. L’abbé Jean Remillieux les conviait à une autre élévation, spirituelle cette fois, mais dont la voie restait ouverte par le même guide. Cependant le discours sur l’ascension renvoyait aussi à celui des bienfaits de l’alpinisme et de « l’invention de la montagne » dans le cadre des nouveaux loisirs promus au tournant du siècle. On était au temps où « la promotion de la montagne cré[ait] le mythe alpestre : régénération par l’air pur, élans moraux et poétiques dans le face-à-face du marcheur et des sommets. L’ascension dev[enait] une valeur » 246 . Mais on s’en tiendra ici au message éducatif livré par Victor Carlhian au nom de son ami. On reviendra plus tard sur la participation personnelle des organisateurs de la colonie de Chapareillan au développement des loisirs offerts par la montagne, participation qui ne nous renseigne pas seulement sur leur spiritualité mais aussi sur leur vie sociale et ses conditions.

Les trois années suivantes la colonie se reforma à Chapareillan. En 1912, Victor Carlhian était présent lors de l’accueil des colons. Cette année-là, la colonie disposa d’une chapelle où l’on assistait chaque matin à la messe et chaque soir à la prière. Pendant l’année scolaire, les contacts étaient maintenus par des réunions régulières, des promenades collectives et parfois, quand des vacances le permettaient, des excursions de quelques jours. Pour ceux qui ne pouvaient pas y participer, un périodique fut fondé, Notre Journal, les Gones ! 247 . Le 15 août 1912, les organisateurs reçurent des parents de colons à Chapareillan, dans un local qui avait été aménagé à leur intention.

‘« Avec émotion, ils prirent part à la vie de la colonie. Ils étaient transportés dans le lointain passé de leur enfance. Les sentiments religieux, enfouis sous l’âpreté quotidienne de la lutte pour l’existence, se réveillaient. Ils rapportèrent de leur séjour à Chapareillan une reconnaissance confiante envers les directeurs, prélude de l’heureuse influence que ceux-ci pourront exercer plus tard auprès de leurs enfants. » 248

Le reste de l’année, l’abbé Jean Remillieux rendait visite aux familles à leur domicile, et les pères étaient invités à participer aux excursions.

‘« Ainsi, la colonie devait être une petite cellule bien organisée de vie morale et religieuse, aux lointains prolongements dans la famille et la société. L’action de la colonie aurait à s’étendre par contiguïté de voisinage et de temps, c’est-à-dire aller des colons à leur famille, à leur milieu et ainsi de proche en proche. » 249

Ces paroles étaient encore celles de Victor Carlhian retranscrivant les intentions de son ami. Ces intentions étaient-elles issues d’une réflexion commune ? Ne portaient-elles pas la marque de la réflexion personnelle que le laïc était alors en train de développer en ces années de guerre ? Ou au contraire les nouveaux projets de Victor Carlhian s’inspiraient-ils de l’expérience initiale de Chapareillan ? Le discours tenu dans la biographie de Jean Remillieux ne revêt pas l’originalité que Laurent Remillieux et Victor Carlhian désiraient prêter aux intentions du prêtre mort à la guerre. On a vu combien le projet de la colonie de Chapareillan s’inscrivait fidèlement dans le contexte des autres colonies développées en France avant la guerre. Mais il méritait d’être étudié car il livrait l’état d’esprit de ses fondateurs, anciens sillonnistes qui avaient opté pour une action religieuse et sociale. La formation d’une élite d’adolescents devait non seulement servir à poser les bases d’un monde à venir mais, dans l’immédiat, elle fournirait aussi des chrétiens convaincus et exemplaires susceptibles de ramener leurs proches à ce que Victor Carlhian considérait comme la religion de leur enfance. Jean Remillieux et Victor Carlhian ne s’adressaient pas à un milieu athée ou agnostique, à convertir. Ils visaient un milieu qui s’était détaché de la pratique religieuse et de l’Eglise catholique parce qu’elles ne répondaient plus à leurs besoins quotidiens et dont il fallait réactiver la foi. L’utopie missionnaire se réalisait en vase clos, elle cherchait à créer une communauté idéale qui répondrait aux sollicitations spirituelles et morales d’un christianisme exigeant. Le lien avec le reste de la société, avec la société réelle, n’était pas clairement ni concrètement envisagé. Au problème des milieux populaires areligieux et anticléricaux, les deux hommes n’apportaient pas (encore ?) de solution.

L’examen de la reconversion des activités des sillonnistes de la région lyonnaise n’a finalement ouvert que quelques pistes et les conclusions restent partielles et fragiles. On peut seulement déduire des remarques développées dans ce chapitre que les plus jeunes et les plus convaincus des laïcs sillonnistes poursuivirent généralement la militance politique entreprise dans le plus grand Sillon au sein de la Jeune République, tandis que les femmes et les clercs se réfugièrent dans les œuvres religieuses et sociales. Mais d’après ce que nous livrait Raymond Thomasset notamment, les premiers n’avaient jamais rompu les contacts avec les activités de leur paroisse et ils étaient encore susceptibles de collaborer avec les seconds. L’engagement sillonniste avait été mené parallèlement à leur participation aux œuvres paroissiales, et leur entrée dans la Jeune République n’avait pas modifié leurs pratiques de catholiques insérés dans une communauté paroissiale. L’appartenance au réseau sillonniste n’exigeait aucune exclusivité, même si elle avait transformé le regard qu’ils portaient désormais sur les autres catholiques et réciproquement. Comme on n’a jamais retrouvé les papiers Carlhian donnant des renseignements précis sur la composition du Sillon lyonnais, papiers pourtant évoqués par Jeanne Caron dans sa bibliographie, et qu’il n’existe aucun travail sur les débuts de la Jeune République à Lyon, on ne peut être assuré du passage de tous les sillonnistes au nouveau parti politique, ni mesurer la déperdition que nous pousse à envisager, par comparaison, le rapport présenté par Pierre Morel pour le mouvement à Roanne quelques mois plus tard. Les quelques itinéraires particuliers suivis au long de ce chapitre n’envisagent que des cas extrêmes et donc sûrement pas les plus représentatifs du groupe : le parcours de l’animateur du Sillon lyonnais ou de deux clercs qui connurent une certaine renommée au sein du groupe, l’évocation des principaux militants, ceux qui détenaient une fonction notable et qui étaient en contact avec les dirigeants du Sillon central, ne peuvent pas résumer le devenir des sillonnistes lyonnais.

Mais le plus important pour notre propos, c’est de savoir que le réseau sillonniste survécut à la condamnation, ce dont nous sommes sûrs. Le mariage de Victor Carlhian présenta l’occasion de manifester la continuité des solidarités et des amitiés sillonnistes. Les « vingt-quatre Camarades » qui avaient eu le « plaisir d’entendre Victor Carlhian, à Saint-André-la-Côte, leur faire part de ses fiançailles et leur annoncer son mariage prochain » envoyèrent une lettre à chacun des « chers camarades » susceptibles de participer à la souscription ouverte pour offrir aux futurs époux une œuvre d’art, « gage de [leur] fraternelle affection et symbole de l’âme commune qui [les] uni[ssait] » 250 . La lettre, datée du 22 mai 1912, était signée par vingt-quatre jeunes hommes domiciliés à Lyon, Caluire ou Villeurbanne et qu’on retrouve dans la liste des souscripteurs imprimée à la fin de la plaquette qui voulait conserver le souvenir du mariage de Victor Carlhian. Ces hommes, en se désignant comme des camarades et en rappelant l’âme commune qui les unissait, établissaient une continuité explicite entre Sillon et Jeune République. En appelant leurs camarades à participer au cadeau de mariage de Victor Carlhian, ils signifiaient tout aussi explicitement la permanence du réseau sillonniste. Plus de la moitié des noms de la liste des souscripteurs ont finalement été identifiés en tant que sillonnistes : les renseignements fournis par les divers travaux sur le Sillon et les sources consultées se recoupent. Ce chapitre aura définitivement montré non seulement que les fondateurs de Notre-Dame Saint-Alban étaient bien issus du milieu sillonniste, mais aussi que ce milieu continuait à jouer un rôle dans leur vie sociale et à informer de nouveaux projets.

La condamnation du Sillon avait fait basculer Victor Carlhian dans le cercle familial restreint des Remillieux. Alors qu’il avait perdu sa fonction de dirigeant du mouvement sillonniste, son amitié avec Jean Remillieux lui laissait un repère et lui permettait de se réinvestir dans de nouvelles entreprises. Sur ces dernières pesait désormais une influence cléricale. On aurait dit que la famille Remillieux avait phagocyté la vie relationnelle et affective de Victor Carlhian : des vacances au réveillon du 31 décembre 1911, elle accueillait le temps que ce dernier consacrait aux loisirs et aux fêtes familiales, elle allait jusqu’à lui fournir les circonstances favorables à sa déclaration auprès de Marie de Mijolla. Comment s’étonner alors que, sur les quatre orateurs qui prirent la parole, le jour de son mariage trois appartenaient à la famille Remillieux, le dernier étant l’un de ceux qui partageaient son intimité ? L’ancien réseau sillonniste avait développé des micro-logiques relationnelles qui parvenaient à leur terme. Ces logiques proposaient des éléments d’explication à la direction que chacun donnait en ce temps à ses activités publiques, mais réciproquement elles étaient aussi en accord avec la personnalité, le statut et l’histoire de chaque ancien sillonniste. Cela ne signifiait pas que d’autres ruptures n’interviendraient pas pour redéfinir les groupes et les équilibres relationnels, pour rendre possibles de nouvelles rencontres qui déploieraient des virtualités encore inexploitées. Ainsi la mort de Jean Remillieux recomposerait le groupe qui lui était lié et altérerait les projets communs. Elle laisserait peut-être aussi l’attrait exercé sur Victor Carlhian par les débats intellectuels et théologiques connaître une réalisation et des engagements concrets. Mais les accomplissements à venir seraient aussi redevables des dynamiques mises alors en place.

Enfin, toutes les explications développées sur le thème de l’amitié qui liait Victor Carlhian et Jean Remillieux, à partir d’une critique des textes que le premier a livrés à Laurent Remillieux pour la biographie du prêtre mort à la guerre, ne doivent pas nous éloigner du problème essentiel : si elles nous aident à appréhender les sentiments et les préoccupations qui assaillaient Victor Carlhian au moment où il écrivait ces lignes et à interpréter ses efforts de soumission spirituelle et intellectuelle, elles ne nous disent pas comment comprendre la différence qui marquait les idées et l’état d’esprit des deux hommes. Ils s’étaient rejoints dans la militance sillonniste, privilégiaient tous les deux les logiques éducative, religieuse et sociale du premier Sillon au détriment de l’orientation politique du plus grand Sillon. Jean Remillieux avait accepté des engagements qui avaient soulevé la suspicion de sa hiérarchie. Pourtant, il restait très en deçà de l’audace intellectuelle, des préférences théologiques et de la réflexion sociale développées par Victor Carlhian. Certes, ils appartenaient peut-être à la même génération de catholiques dont la sensibilité avait été façonnée par les événements et les questions du siècle naissant. Cependant, même le changement d’échelle opéré pour étudier le réseau sillonniste ne suffit pas à épuiser l’analyse des comportements et des choix des membres de ce réseau, et donc en particulier ceux de Victor Carlhian et de Jean Remillieux. Il ne faut plus considérer le groupe sillonniste dans son ensemble, mais déterminer de nouvelles lignes de partage si l’on veut atteindre la pluralité de ces comportements et de ces choix. Et l’on ne doit pas se contenter d’un nouveau changement d’échelle, on doit lui superposer de nouvelles grilles de lecture. Après l’analyse en terme de clef générationnelle opératoire dans un premier temps, après l'étude qui a permis d’établir la position des sillonnistes dans le champ catholique dans un deuxième temps, il faudra maintenant se lancer dans un examen des conditions sociales et familiales qui ont permis à chacun de s’intégrer dans le groupe dans une perspective singulière. En effet, comme « bon nombre de sociologues soulignent […] la dépendance de la jeunesse dans le processus de socialisation » et affirment qu’ « à leurs yeux, la transmission et la reproduction des valeurs au sein de la famille se font autant sous le signe de la continuité que sous celui de la rupture, et en tout cas pour ce qui est des valeurs partisanes » 251 , nous partirons de l’hypothèse que, pour comprendre la différence qui existe entre les conceptions de Victor Carlhian et de Jean Remillieux, il faut se résoudre à explorer leurs histoires familiales, leur fonctionnement et leurs logiques. L’analyse serait à répéter pour chacun des sillonnistes, mais on se contentera évidemment dans ce travail, pour des raisons déjà explicitées, de l’étude de cas qu’offre la famille Remillieux. L’engagement de Jean Remillieux et ses particularités seront alors indissociables de l’ensemble des expériences familiales. En déplaçant le cadre de l’histoire vers les Remillieux, on réduira, certes, le terrain de l’observation mais, en contrepartie, on pourra atteindre de nouvelles thématiques indispensables à l’intelligence de certains aspects de l’histoire paroissiale à venir. Et par un autre glissement, les nouvelles questions soulevées se focaliseront inévitablement sur le personnage de Laurent Remillieux puisque ce dernier joua un rôle clé dans la structure familiale, alors que jusque-là il était plutôt apparu dans une position périphérique au sein de l’histoire du réseau sillonniste.

En effet, l’engagement sillonniste de Laurent Remillieux s’était véritablement révélé à Roanne, où la situation d’une poignée de sillonnistes, isolés mais convaincus, avait permis à un jeune ecclésiastique lyonnais de jouer un rôle notable au sein du groupe. Parce que son frère avait déjà noué des liens avec le Sillon lyonnais et son dirigeant, parce que ce frère avait désormais conquis une place reconnue de tous les sillonnistes, il avait d’autant plus bénéficié de l’aura que les militants sillonnistes prêtaient aux clercs ralliés à leur cause. Il était ainsi devenu l’interlocuteur clérical privilégié du Sillon de Roanne et était en mesure d’assumer une certaine médiation avec le Sillon lyonnais, chargé de coordonner les activités régionales et d’assurer la liaison avec le Sillon central. Les circonstances avaient fait de l’abbé Laurent Remillieux un militant sillonniste. Pourtant, cet engagement était resté, à Lyon et auprès des autorités diocésaines, plus discret que celui de son frère, Jean Remillieux. Après la condamnation du Sillon, il s’était retiré des débats et ses interventions auprès des anciens sillonnistes avaient perdu de leur caractère public, même s’il continuait en privé à soutenir les efforts de réorganisation de leurs activités et à lire la presse qu’ils éditaient. Ses choix désormais ne s’expliquaient plus aussi largement par les options politiques de l’ancien Sillon et l’on assistait à une redéfinition de ses priorités. Son attitude face à l’Allemagne, en cette période de tensions qui poussaient la Jeune République à se défier d’un pacifisme intégral, se démarquait notamment des positions affichées par les anciens sillonnistes de la Jeune République. Il suffit pour s’en convaincre de lire Louis Remillieux retraçant à son frère aîné sa participation le 12 avril 1913, à Paris, à un banquet des étudiants Jeunes Républicains.

‘« Je t’avoue que je m’attendais à mieux. Ce qui était très intéressant, c’était la rencontre de jeunes républicains venus d’horizons bien différents. Mais leur point de vue patriotique, c’était le lien qui unissait, m’a paru à différentes reprises assez faux. C’était un peu pompier : tirades patriotiques assez banales. Je n’ai pas pu attendre malheureusement la fin, le toast de Marc. […] J’ai rencontré au banquet Bruchon et Carlhian ; cela m’a fait grand plaisir. » 252

Les Remillieux évoluaient toujours au sein du réseau des anciens sillonnistes et se réjouissaient de cette fréquentation amicale. Mais les points d’achoppement résidaient encore dans les choix politiques de chacun. Comment expliquer les divergences ? L’exploration de l’autre partie de l’histoire personnelle de Laurent Remillieux, celle qui nous conduira au cœur de sa famille et des premières expériences vécues en dehors du Sillon, pourra apporter de nouveaux éléments de compréhension. Il faut aussi savoir chercher ailleurs que dans le Sillon les origines de l’histoire de Notre-Dame Saint-Alban, car l’aventure sillonniste qui avait mobilisé Laurent Remillieux, en compagnie de ses frères, essentiellement pendant quatre ou cinq ans, ne peut épuiser les spécificités du projet paroissial. En résumé, après l’analyse du réseau de sociabilité sillonniste, l'enquête biographique conduite sur les années de jeunesse et de formation de Laurent Remillieux devrait, dans la poursuite de l’effort entrepris, nous faire parvenir à une connaissance du milieu des fondateurs de Notre-Dame Saint-Alban et de son environnement lyonnais.

Notes
217.

Âme de prêtre-soldat. L’abbé Jean Remillieux (1886-1915), op. cit., p. 129-150.

218.

Raymond Thomasset, Plaquette imprimée pour le mariage de Victor Carlhian et de Marie de Mijolla, « Hommage affectueux de leurs Amis reconnaissants à l’occasion de leur mariage », p. 17.

219.

Âme de prêtre-soldat. L’abbé Jean Remillieux (1886-1915), op. cit., p. 129-130.

220.

On retrouve l’expression dans un titre donnée à un développement sur la renaissance catholique des années d’avant-guerre dans l’ouvrage de synthèse de Gérard Cholvy et Yves-Marie Hilaire, Histoire religieuse de la France contemporaine, Tome 2, 1880 / 1930, Toulouse, Editions Privat, 1986, 547 p., p. 150.

221.

André Rauch consacre un chapitre aux « vacances en colonie avant la Grande Guerre » dans son ouvrage sur les Vacances en France de 1830 à nos jours, Paris, Hachette, coll. « La vie quotidienne », 1996, 279 p. La citation est extraite de la page 69.

222.

Bruno Dumons et Catherine Pélissier, « Laïcat bourgeois et apostolat social : la Société Saint-Vincent de Paul à Lyon sous la IIIème République », in J.-D. Durand…, Cent ans de catholicisme social à Lyon et en Rhône-Alpes, op. cit., p. 299-300.

223.

A. Rauch écrit que « dans un contexte de scolarisation générale, la colonie de vacances remplit une mission : l’école a contraint la famille à lui abandonner l’instruction de l’enfant, la colonie doit le soustraire aux nuisances de la ville. », in Vacances en France de 1830 à nos jours, op. cit., p. 65. Les remarques qui suivent et qui replacent les intentions de Jean Remillieux et de Victor Carlhian dans le discours du temps reprennent ses conclusions sur « la doctrine des colonies », p. 70-72.

224.

Fleury Lavallée est cité par Laurent Remillieux, lettre du 23 juin 1911 à Jean Remillieux.

225.

Lettre de Laurent Remillieux à son Jean, datée du 23 juin 1911.

226.

Voir la notice biographique rédigée par Jean Comby in Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine consacré à Lyon – Le Lyonnais – Le Beaujolais, op. cit., p. 266-7.

227.

Lettre de Jean Remillieux à Laurent, datée du 26 juin 1911.

228.

Ibid.

229.

Lettre de Jean Remillieux à Laurent, datée du 23 septembre 1911.

230.

Ibid.

231.

Âme de prêtre-soldat. L’abbé Jean Remillieux (1886-1915), op. cit., p. 116-120.

232.

Âme de prêtre-soldat…, op. cit., p. 93-94.

233.

Âme de prêtre-soldat…, op. cit., p. 98-99.

234.

Âme de prêtre-soldat…, op. cit., p. 73.

235.

Âme de prêtre-soldat…, op. cit., p. 74.

236.

Âme de prêtre-soldat…, op. cit., p. 94.

237.

Âme de prêtre-soldat…, op. cit., p. 109-110.

238.

Lettre de Jean Remillieux à Laurent, datée du 26 juin 1911.

239.

Âme de prêtre-soldat…, op. cit., p. 138.

240.

Âme de prêtre-soldat…, op. cit., p. 136.

241.

Christian Sorrel, « Aspects du culte marial dans le diocèse de Maurienne à la fin du XIXe siècle », Chemin d’histoire alpine : mélanges dédiés à la mémoire de Roger Devos, réunis par Michel Fol, Christian Sorrel et Hélène Viallet, Annecy, Association des amis de Roger Devos, archives départementales de la Haute-Savoie, Imprimerie Chirat, 1997, 510 p., p. 183-215.

242.

A Rauch, Les Vacances en France de 1830 à nos jours, op. cit., p. 71.

243.

Âme de prêtre-soldat…, op. cit., p. 132-134.

244.

A Rauch, Les Vacances en France de 1830 à nos jours, op. cit., p. 73.

245.

Ibid., p. 74.

246.

André Rauch, « Les vacances et la nature revisitée », in Alain Corbin, L’avènement des loisirs, 1850-1960, Paris, Aubier, 1995, 471 p., p. 81-117.

247.

Seul le témoignage de Laurent Remillieux nous en propose une trace. Voir Âme de prêtre-soldat…, op. cit., p. 134-135.

248.

Âme de prêtre-soldat…, op. cit., p. 141.

249.

Âme de prêtre-soldat…, op. cit., p. 135.

250.

Lettre du 22 mai 1912 conservée à l’Institut Marc Sangnier, Petits fonds, « Victor Carlhian ».

251.

J.-P. Azéma, « La clef générationnelle », Vingtième Siècle, revue d’histoire, n° 22, avril-juin 1989, p. 6. L’auteur renvoie aux travaux de sociologues sur le sujet et notamment à Annick Percheron, « Préférences idéologiques et morale quotidienne d’une génération à l’autre », Revue française de science politique, 32 (2), avril 1982.

252.

Lettre de Louis Remillieux à Laurent, datée du 16 avril 1913 et envoyée d’Evreux.