2 – L’itinéraire religieux d’un clerc

On a déjà vu, pour les années qui précédèrent la guerre, que l’influence sillonniste marqua essentiellement les rapports des Remillieux avec le catholicisme traditionnel, dont ils dénonçaient le conservatisme impuissant et les compromissions avec la classe bourgeoise. Pourtant, dans leur vécu religieux ou dans les premières expériences pastorales des deux frères prêtres, s’entremêlaient d’autres influences qu’il reste maintenant à examiner, en respectant bien entendu la condition méthodologique définie précédemment : ne jamais oublier l’héritage de leur histoire sociale qui les conduisait à une certaine perception de la société urbaine et industrielle les environnant, et contribuait à informer ainsi leur vie religieuse et les projets d’action catholique qu’ils pouvaient forger pour pallier les carences spirituelles supputées de cette société. C’est en ce sens qu’il faut considérer l’histoire religieuse des Remillieux comme largement amorcée.

On ne sait rien de la naissance de la vocation sacerdotale de Laurent Remillieux, puisque la source essentielle de notre travail sur les jeunes années du prêtre demeure cette correspondance familiale, qui ne livre ses premières traces significatives sur le sujet qu’à partir de 1901. A cette date, les choix de Laurent Remillieux quant à son orientation vers la prêtrise apparaissent déjà fixés 361 . On peut tout de même suivre les étapes de sa formation cléricale et dépeindre les dévotions familiales pour replacer cette vocation dans son contexte institutionnel et cerner la sensibilité religieuse qui la baigna 362 . La réalisation de la vocation sacerdotale de l’abbé Laurent Remillieux ne correspondit pas toujours à ses aspirations. Dans un premier temps, il dut assumer bien malgré lui les charges d’enseignement que lui confia l’institution ecclésiale. Mais parallèlement à ces postes d’enseignant qui répondaient aux besoins de l’Eglise catholique après les lois sur les congrégations et sur la séparation, il mena d’autres expériences pastorales plus proches de ses vœux, dont celle, décisive, vécue dans le quartier de Croix-Luizet à Villeurbanne. Ce fut durant ces années, qui laissaient aussi une large place à l’engagement sillonniste, que s’élabora un projet d’apostolat qui permettait de concilier vocation sacerdotale et exigences familiales. Car on ne doit pas perdre de vue que le cadre familial fournissait encore à Laurent Remillieux un lieu d’apprentissage, façonnant des comportements fondateurs qu’il reproduirait dans l’avenir. La mort du père montrait par exemple qu’une scène de la vie privée pouvait augurer de certaines positions adoptées plus tard par le prêtre dans la célébration des funérailles chrétiennes. Elle aidait aussi à révéler une relation à Dieu, à la vie et à la mort, qui structurait la personnalité de l’abbé Laurent Remillieux, sa conception du monde et donc sa façon de percevoir et d’exercer la prêtrise. En entrelaçant tous les éléments et en déplaçant les limites d’une expérience envisagée par ses acteurs comme spirituelle, on en viendra somme toute à s’interroger sur le rapport de Laurent Remillieux et de ses proches au monde et aux autres.

Notes
361.

La contribution de Raymond Darricau, « Un débat sur la vocation au début du XXe siècle : l’affaire Lahitton (1909-1912) » à la deuxième rencontre d’histoire religieuse de Fontevraud-l’Abbaye en 1978, propose quelques éclairages sur le problème de la vocation sacerdotale au temps où Laurent Remillieux se déterminait pour la prêtrise. Les actes de ce colloque ont été publiés sous le titre La Vocation religieuse et sacerdotale en France : XVII-XIXe siècles, Université d’Angers, 1979, 79 p., p. 65-77 pour le texte en question.

362.

L’ouvrage de Joseph Rogé, Le simple prêtre, Tournai, Casterman, 1965, 338 p., aborde aussi la question de la vocation dans une première partie sur « La vocation et la formation du personnage ». Mais les renseignements que cette partie donne sur le déroulement des études et de la vie des séminaires, comme sur les ordinations, apparaissent plus essentiels. Ils permettent de retrouver le contexte général dans lequel ont évolué les deux frères Remillieux au cours de leur formation cléricale. La deuxième partie, dévolue à « L’expérience du personnage », définit, quant à elle, les diverses institutions du ministère et rappelle le déroulement de la carrière ecclésiastique, autant d’informations pratiques utiles pour replacer les débuts cléricaux des Remillieux dans leur contexte institutionnel.