Il reste encore à explorer un aspect de la personnalité et de la vie de Laurent Remillieux avant de terminer ce deuxième chapitre. Cet aspect a déjà été effleuré à plusieurs reprises et l’évocation du poste d’enseignement occupé à l’institution Saint-Joseph de Roanne comme le récit consacré au ministère développé dans le quartier de Croix-Luizet peuvent très bien servir à l’introduire. Laurent Remillieux, professeur d’allemand dans l’enseignement privé catholique, avait aussi pris en charge les paroissiens de langue allemande de Saint-Julien de Cusset. Sa collaboration avec l’abbé Corsat s’était en fait d’abord établie sur cette base : le curé le réclamait quand se présentaient au confessionnal « les Allemands » de Cusset, car sa connaissance de la langue allemande s’avérait nécessaire au ministère paroissial 461 . Lors de la célébration des fêtes de Pâques, en avril 1911, Laurent Remillieux était prié non seulement d’entendre les confessions des Allemands mais de dire en allemand aussi la messe et l’instruction du lundi de Pâques 462 . Le dépouillement de la correspondance familiale a rapidement confirmé l’importance que l’allemand, l’Allemagne et les Allemands avaient occupé dans la vie de Laurent Remillieux au cours des quelque dix années qui précédèrent la guerre. Cette correspondance renvoyait une image de l’Allemagne parfois très différente de celle formée par quarante années d’antagonisme et de préjugés patriotiques voire nationalistes. Le terme de germanophile caractérise pleinement cette vision dont Laurent Remillieux avait poussé jusqu’à l’extrême les conséquences logiques. Il était également possible de retrouver les liens personnels et familiaux que Laurent Remillieux avait établis au sein de l’Allemagne wilhelmienne et qu’il tenta de consolider farouchement jusqu’au dernier moment, jusqu’au déclenchement du conflit mondial. De fait, ceci nous a amené à poser une dernière question : comment ce prêtre germanophile avait-il subi la montée des nationalismes et la menace de la guerre qui annonçait la ruine de ses projets étrangers ?
Ces questions, je les ai déjà formulées dans un article 463 que je reprendrai largement, en le complétant, dans une optique toutefois différente. Si cette dernière partie peut aussi nourrir l’histoire du voyage, un thème qu’affectionne aujourd’hui l’histoire sociale et culturelle, en proposant l’exploration d’une expérience individuelle qui saisira les destinations, les modalités de ce voyage, le déroulement des séjours, si elle peut contribuer aussi à définir, à titre d’exemple, les contours de l’univers mental d’un jeune prêtre français au début du vingtième siècle, autant de sujets de réflexion qui avaient organisé l’article cité, elle sera évidemment ici envisagée beaucoup plus sous l’angle biographique. Des éléments qui pouvaient apparaître alors comme anecdotiques, les stratégies de voyage déployées par le prêtre ou son appréciation des événements nous entraînent dans l’analyse de son comportement affectif et relationnel ou dans l’examen de son mode de fonctionnement intellectuel. Il est clair en somme que l'observation des relations que Laurent Remillieux entretenait avec l’Allemagne avant 1914 doit continuer à nous livrer une compréhension du personnage et de ses expériences initiales, particulièrement dans la perspective d’une réflexion à venir sur l’action que mena cet homme au service du rapprochement franco-allemand, une fois qu’il sera devenu le curé de Notre-Dame Saint-Alban.
« Tes “clients” allemands de Cusset, pour employer le mot de Mr le Curé, t’ont paraît-il réclamé. Aussi Mr le Curé désirerait-il que tu viennes à Cusset vendredi soir, vers 7 h et demie-8 h, si possible, pour les confesser », Lettre d’Emilie Remillieux à Laurent, datée du 21 décembre 1909. Aucun renseignement n’a été retrouvé sur ces Allemands et on peut même supposer qu’il ne s’agissait en fait que d’une famille.
Lettre de Jean Remillieux à Laurent, datée du 6 avril 1911.
Natalie Malabre, « La passion d’un prêtre français pour l’Allemagne wilhelmienne », Chrétiens et sociétés. XVIe – XXe siècles, Bulletin du Centre André Latreille (Université Lumière – Lyon 2) et de l’Institut d’Histoire du Christianisme (Université Jean Moulin – Lyon 3), 1999, n° 6, p. 111-131.