La fascination de Laurent Remillieux pour l’Allemagne wilhelmienne.

Le goût de Laurent Remillieux pour les voyages ne revêtait en tout cas aucune dimension universelle : seule l’Allemagne le retenait désormais. Il se différenciait de la majorité des touristes français, pour qui l’étranger ne représentait qu’ « un univers exotique » dont ils restaient les « témoins assez lointains et indifférents » 523 . Il se distinguait encore des voyageurs français en Allemagne, dont les relations de voyage se montraient particulièrement victimes des « préjugés et stéréotypes ancrés dans un certain nombre de traditions nationales » 524 . Son regard sur l’Allemagne comme les modalités de son voyage demeuraient inséparables de ses convictions germanophiles. Pour définir la spécificité de ces convictions et envisager leurs conséquences, il faut d'abord étudier la représentation que Laurent Remillieux avait élaborée de l'Allemagne, avant de s’attacher à discerner sa conception des rapports à entretenir avec ce pays. Certes, l’image que Laurent Remillieux renvoyait de l’Allemagne correspondait, sur bien des points, à la vision des autres voyageurs français. Le dynamisme et la réussite économiques, à l’égal des aspects brillants de la civilisation, retenaient son attention, comme ils avaient fasciné les auteurs des enquêtes publiées des années 1880 au début du XXe siècle, qu’évoque Claude Digeon dans un ouvrage sur la question allemande dans la vie intellectuelle française, de l’avant-guerre de 1870 à celle de 1914 525 . Lui aussi louait l’effort et le travail, soutenus par une organisation efficace, expression du génie allemand 526 .

Et s’il ne déplorait pas par opposition l’inefficacité et la routine françaises, il établissait des comparaisons au détriment de la Grande-Bretagne.

‘« Dimanche nous aurons quitté Edinburgh. Je le regrette pour l'étude de la langue et la bicyclette. Par ailleurs l’Angleterre est moins intéressante que l’Allemagne parce que beaucoup moins pays d'avenir. » 527 ’ ‘« En apprenant de l’anglais et en faisant de plus en plus connaissance avec la mentalité anglaise, décidément superficielle et paresseuse, partant fort peu intéressante, nous jouissons de la mer, incomparable de beauté qui, elle, ne manque pas à ses promesses. » 528

Heureusement, la mer s’étalait sur toutes les côtes de cette île et venait satisfaire la passion romantique de l'abbé Remillieux.

‘« Les bicyclettes nous rendent de grands services. Elles nous permettent en une heure de fuir la société et de nous trouver tous les jours seul à seul avec la mer sauvage, grandiose, attirante comme la grande montagne. » 529

Laurent Remillieux affichait en contrepoint son mépris de la société anglaise, trop mondaine à son goût, qui fréquentait les plages du South Devon. L’aristocratie anglaise ne détenait pourtant plus le monopole de la villégiature en bord de mer 530 . La révolution ferroviaire avait attiré dans les stations balnéaires, depuis le milieu du XIXe siècle, les membres des classes moyennes, lesquelles ne cultivaient pas l'oisiveté comme genre de vie. Mais leur désir de calquer leurs attitudes sur celles de la classe dominante pouvait introduire, dans une vie sociale extrêmement codifiée, les apparences de la mondanité, qui rebutait tant l’abbé Remillieux. En revanche, les Allemands en villégiature sur l'île de Rügen étaient évoqués beaucoup plus favorablement.

‘« Ici, nous prenons tous les jours un cours chez le curé de la plage, un curé très aimable. En Allemagne, et même parmi les Allemands qui cherchent le repos, comme c’est le cas ici, je me plais toujours beaucoup. » 531

Les préjugés de l'abbé Remillieux s’en tenaient au critère national et ne relayaient aucune critique sociale. Les qualités ou les défauts qu’il attribuait aux gens rencontrés étaient conçus comme les caractères collectifs d'un peuple. Il en oubliait la précocité de l’industrialisation anglaise et la domination économique que la Grande-Bretagne avait imposée à l'Europe et au monde tout au long du XIXe siècle. Seules le captivaient la réussite récente de l’Empire allemand et l’expression de sa puissance nouvelle. Son attrait pour l’Allemagne du Nord et sa capitale trouvait là une de ses explications : au passé de l’Allemagne romantique des bords du Rhin, il préférait l’avenir incarné par Berlin 532 .

Au cours de ses nombreux séjours, il avait pu observer les effets du dynamisme économique de l’Allemagne, notamment le développement de l’urbanisation, liée à l’industrialisation, et la richesse étalée dans les formes particulières de l’urbanisme des villes allemandes 533 . Dans les enquêtes économiques publiées au début du XXe siècle, Claude Digeon relevait l’attrait des voyageurs français pour les nombreuses constructions récentes, les bâtiments colossaux, élevés pour les besoins de l’industrie et du commerce, ou les hôtels particuliers, et pour la perfection des services publics, (égouts, transports en commun) 534 . La population de Berlin dépassait les 3,5 millions et Laurent Remillieux précisait que « le quartier Charlottenburg, véritable ville de 500 000 âmes », était à lui seul « plus populeux et plus vaste que Lyon ». Il se félicitait du réseau des tramways qui permettait aux élèves français logés dans les faubourgs, incorporés à partir de 1911 dans l’association du Grossberlin, d’accéder au centre de Berlin 535 . Jamais il ne faisait allusion à la situation religieuse de Berlin. Le nombre majoritaire des protestants ne semblait pas lui poser de problème, lui qui n’évoluait qu’au sein d’un milieu catholique privilégié. Alors que la pratique élevée des catholiques d'Innsbruck avait été signalée à plusieurs reprises, il ne se préoccupait nullement de l’action sociale ni de la pastorale paroissiale offerte par le clergé catholique aux habitants de la grande ville, que le christianisme se devait de reconquérir sur des influences qualifiées de dissolvantes 536 . La sécularisation de la société avait fortement progressé, mais elle marquait peut-être moins à Berlin la sphère catholique, bénéficiant d'une meilleure résistance propre aux minorités. La modernité et la prospérité d’une Allemagne au travail suscitaient davantage son attention. De la même façon, lui qui voyageait sur des paquebots allemands, avait pu être impressionné par la magnificence déployée sur l’Imperator pour célébrer « la puissance du Reich allemand » 537 . Hambourg, où ils avaient débarqué à deux reprises, le premier port de l’Empire, symbolisait aussi la réussite commerciale maritime de l’Allemagne et la puissance de sa flotte marchande.

Mais l’abbé Remillieux ne tirait pas de ses observations les mêmes conclusions que les autres observateurs français : son admiration ne se voilait pas de la peur de l'ennemi héréditaire, devenu la première puissance industrielle européenne, redoutable concurrent, dont l’impérialisme agressif inquiétait les intérêts de la France et de ses alliés. S’ils ne dénigraient plus systématiquement les Allemands, les voyageurs français conservaient tout de même un état d’esprit empreint de méfiance qui les laissait toujours en retrait de l’adhésion 538 . Laurent Remillieux cherchait au contraire, en homme pratique, persuadé de son bon sens et soucieux des intérêts familiaux, à s’intégrer à cette réussite économique. Il voulait absolument que son frère Louis, qui poursuivait alors ses études d’ingénieur à l’Ecole Centrale lyonnaise, trouvât un emploi outre-Rhin, quand d’autres ne recherchaient que des stages 539 . Dès 1908, à Grenoble, il entra en contact avec Adolf Schroeder, encore un Allemand, industriel qui dirigeait une fabrique de papier à Golzern, en Saxe, et qui possédait des succursales de vente à Berlin, à Leipzig et à Hambourg. Schroeder accepta finalement de prendre Louis comme stagiaire : à lui de subvenir à ses besoins et de trouver un logement. Il refusait d’accéder à la demande de l’abbé Remillieux, qui l’enjoignait d’employer son frère comme salarié, alors qu’il n'avait aucune expérience dans la fabrication 540 . Comme à son habitude, Laurent Remillieux traitait les affaires de ses frères et sœurs, mais le projet ne se concrétisa pas et Louis fut embauché à Grenoble dans l’entreprise Neyret, « la première de France pour les turbines et les machines à papier ». Cette indication était rapportée par Laurent, qui servait encore d’intermédiaire et qui ne manquait pas l’occasion de prononcer un nouvel éloge de la supériorité allemande.

‘« Il y a dans ces usines un grand nombre d’ingénieurs dont plusieurs allemands (deux). Il paraît en effet que pour certaines parties difficiles (le câble !), les ingénieurs français sont en général fort peu préparés. Ce sont des positions superbes. Mr Neyret prendrait des Français très volontiers, cela va sans dire, s’ils étaient aussi sérieux et compétents que des Allemands. » ’

Derrière la compétence reconnue des ingénieurs allemands se cachait la supériorité de l’enseignement professionnel délivré en Allemagne, où se combinaient la recherche théorique et ses applications industrielles. Les universités et les écoles professionnelles formaient des scientifiques et des techniciens en contact avec les réalités de l’entreprise. Autant d’atouts relevés aussi par les Français étudiés par Claude Digeon 541 et classés encore aujourd'hui par les historiens parmi les causes de l’essor économique de l’Empire allemand 542 . Après son service militaire, Louis Remillieux réalisa enfin le désir de son frère et partit travailler en octobre 1912 à Leipzig. Au cours de l'hiver 1913, il annonçait à sa famille son retour, prévu pour le mois de mars, et son intention d’accepter un emploi à Evreux. Laurent Remillieux réagit très mal à cette nouvelle et exerça sur son frère toute la pression dont il était capable.

‘« Comme l'ingénieur t’a dit que tu manquais d’expérience pour être un bon voyageur représentant, pourquoi est-ce que tu ne peux pas faire un nouveau contrat avec Bleichert ? […] Avec un salaire réduit bien sûr, jusqu’à ce que tu sois assez fort pour avoir ce poste dans un an ou deux. En as-tu déjà parlé au directeur ? […] Si cette solution est impossible je crains qu’un poste en France ne pourra jamais te donner un aussi beau poste comme celui d’un représentant. C’est pour ça que je te conseille de chercher un poste en Allemagne. […] Je te demande d’abord ce qui est le plus souhaitable pour ton avenir. » 543 ’ ‘« Tu ne me dis pas dans ta dernière carte si tu as été voir le directeur. L’offre de Lefèvre [pour Evreux] n’est pas à rejeter tout de suite, mais franchement ça me plaît peu. Bien sûr mon opinion est une impression sans valeur car je ne sais guère de quoi il s’agit. Mon cher Ludwig tu peux me faire confiance, je t’aime tant. » 544

En désespoir de cause, Laurent Remillieux changeait le registre de son argumentation : le chantage affectif se substituait, comme à l’habitude, aux velléités d’un raisonnement aux intonations professionnelles et économiques.

Même si Berlin ne jouait pas le rôle prépondérant auquel pouvait prétendre Paris, capitale d’un Etat centralisé à l’unité ancienne, son extension eut pour corollaire son développement artistique et intellectuel, et c’était peut-être cet aspect qui avait d’abord séduit Laurent Remillieux 545 . Parmi les nouveaux édifices, il profitait des musées et, plus encore, des théâtres qui venaient embellir la ville, s’enorgueillissant d’être la capitale de l’art dramatique et lyrique 546 . Mais alors que les autres Français s’affligeaient des goûts théâtraux des Allemands, atterrés de voir l’art dramatique français représenté à Berlin par de mauvais vaudevilles, et critiquaient le jeu des chanteurs à l’opéra et des acteurs au théâtre 547 , Laurent Remillieux s’enthousiasmait pour toutes les représentations auxquelles il avait assisté. Il relatait ses impressions, ne laissait échapper aucun spectacle et recommandait à Louis et à Marie les programmes de l’opéra de Leipzig. Son intérêt pour les arts dramatique et lyrique allemands, s’il pouvait déjà être noté dès son premier voyage en 1908, se renforça les dernières années. Le thème devint alors récurrent dans sa correspondance.

‘[Au cours d’une traversée sur le Prinzessin, en 1911]: « En ce moment , l’orchestre de notre splendide steamer joue la Marche de Tannhauser : enthousiasmant ! » 548 ’ ‘« Tristan und Isolde est beau n’est-ce pas ? » 549 ’ ‘[A l’occasion de son séjour à Leipzig] : « Est-ce qu’il n'y aura pas une représentation de Wagner à la maison de l’Opéra ? » 550 ’ ‘[A la lecture du journal de Leipzig] : « On joue cette semaine Lohengrin. » 551

Les voyages en Allemagne avaient été l’occasion de la découverte des opéras de Wagner. La connaissance du théâtre allemand avait une origine plus scolaire, elle provenait d'abord des lectures imposées par les programmes du baccalauréat ou de la licence.

‘« La Vierge d’Orléans est une belle pièce. En ce moment dans les cours de Terminale, les élèves lisent Egmont de Goethe. J’entends tout le temps de la part des Français que la tragédie française est la première dans le monde. J’ai été curieux de relire Andromaque de Racine. Bien sûr, c’est très beau aussi, mais je dois avouer que je préfère la pièce allemande. Tandis que dans Andromaque, nous voyons la passion surmontée par le devoir, […] nous voyons dans Egmont et plus généralement dans le théâtre allemand, les hommes, ou plutôt une âme humaine, qui aime, souffre et se bat en plein milieu de la vie publique ou de la vie privée avant de devoir mourir. » 552

Il sollicitait aussi les impressions de Louis et Marie sur d’autres drames de Schiller, Maria Stuart ou Wilhelm Tell, toujours épris de la marche d'un destin individuel, sans mesurer apparemment la force de la critique lancée contre le pouvoir. Ce qui bouleversait Laurent Remillieux, c’était l’expression des états de l’âme et non la révolte contre l’ordre établi. Toutes ces œuvres touchaient une sensibilité modelée par le romantisme, comme l’avait déjà révélé son amour de la montagne. Il insistait lui-même sur le bonheur que lui donnait « le sentiment de la nature » dans la littérature allemande 553 .

‘« Ne soyez pas étonnés de voir, quand il gèle, des gens de Leipzig, de la plaine, le dimanche aller avec leur sac à dos à la campagne, même s’il n'y a pas de glacier à escalader. Le Français voit un chêne et ne sent rien. L’Allemand le soir voit le même chêne, mais comme dit Goethe, il n’est plus un chêne, c’est une tour qui nous regarde avec cent yeux dans la nuit. Chaque Allemand aime la nature et comprend sa voix. » 554

L’admiration intellectuelle de Laurent Remillieux pour l’art allemand devenait attachement sentimental, et ce glissement caractérisait bien sa personnalité et son mode de fonctionnement. Peut-être avait-il eu aussi l’occasion de découvrir la Jugendbewegung, ce mouvement de la jeunesse où les catholiques jouaient un rôle important, teinté d’un romantisme qui se comprenait comme une réaction contre la « vie des villes et leur société “artificielle”, éloignée de la nature et des rapports naturels entre les êtres » 555 . Pourtant, si pour l'opéra il montrait une prédilection pour Wagner, ses goûts théâtraux paraissaient plus éclectiques. Il ne sacrifiait pas au romantisme de Schiller et de Goethe, certes privilégié, le drame social réaliste contemporain. Plusieurs références à des œuvres de Hauptmann en témoignaient. Mais ces œuvres étaient-elles jugées selon la portée politique et sociale que voulait leur donner leur auteur ? L’accent mis sur les sentiments rendait d’ailleurs mieux compte des dimensions qu’avait prises la fascination exercée par l’Allemagne sur l’abbé Remillieux. Désormais les Remillieux correspondaient en allemand et utilisaient pour s’interpeller la forme germanique de leurs prénoms. Ces usages avaient été imposés par Lorenz, qui supportait mal toute dérogation aux règles du jeu familial, et rejoignaient le culte qu’il rendait à la civilisation allemande et à sa culture. L’usage de l’allemand dans la correspondance des frères et sœurs s’intensifia au cours des années 1912 et 1913, et ce fut en particulier dans cette langue que Laurent Remillieux discuta avec Jean du diagnostic de la maladie de leur père et qu’il rendit compte à Louis et à Marie de l’évolution du cancer pendant leur absence, dans un langage rempli de précisions médicales qui ne recherchait aucun euphémisme pour atténuer les douleurs et les angoisses du malade et de ses enfants. L’emploi d’une langue étrangère permettait certainement ce langage sans détour, car il exerçait à lui seul une forme de censure voilant une réalité cruelle, qui aurait été exposée dans toute sa violence si elle avait été exprimée en français. L’admiration que l’abbé Remillieux portait à l’Allemagne wilhelmienne devenait de plus en plus singulière, elle restait totale et absolue, vierge de toute préoccupation patriotique, et il faudra donc s’attacher à comprendre comment et pourquoi l'Allemagne l’avait ravi, sans retour possible.

Ce chapitre aura livré quelques-unes des logiques de l’itinéraire et de la vie de l’abbé Laurent Remillieux. Issue des classes moyennes lyonnaises, sa famille avait adopté le mode de vie de ces dernières et en portait les aspirations. Les choix résidentiels des Remillieux, comme leurs loisirs ou particulièrement les modalités de leurs voyages en Allemagne, témoignaient de cette appartenance sociale. Leur culture catholique, pétrie de piété ultramontaine et de spiritualité franciscaine, toute de soumission à l’autorité ecclésiale et aux exigences du culte, ajoutait cependant d’autres paramètres. Leur usage des espaces urbains, par exemple, et la représentation qu’ils en élaboraient se conformaient autant aux pratiques et aux conceptions de leur milieu social qu’à celles du milieu catholique dans lequel ils évoluaient. Il fallait vivre dans le centre ou tout près, mais de préférence dans les hauts lieux du catholicisme lyonnais, entre le quartier d’Ainay et la colline de Fourvière. Le quartier se fondait alors dans le territoire paroissial : les Remillieux se définissaient par rapport à la paroisse Saint-Paul quand ils habitaient chemin de Montauban. Leur cas illustrait aussi l’avènement des classes moyennes urbaines au sein du catholicisme. La militance sillonniste des enfants pouvait se percevoir finalement sous cet angle social. Les pratiques, sociales et religieuses, de la famille Remillieux introduisent en fait à une histoire religieuse des classes moyennes.

Aîné des enfants, Laurent Remillieux apparaît comme le pivot de la famille, incarnant sa figure paternelle et refusant de délier les destinées de ses frères et sœurs. Au sein de la fratrie, l’autonomie de l’individu était censurée : tout projet d’avenir demeurait familial. Les vocations de Laurent et Jean Remillieux avaient pris naissance dans le désir de leurs parents et avaient été modelées à la fois par la pratique familiale du catholicisme et par l’institution, qui contribua, en leur donnant une formation cléricale, à structurer leur personnalité. Une orientation commune, qui les portait vers la mission intérieure, se développait, inséparable de l’histoire familiale, et l’enjeu ecclésiastique et familial pouvait se nouer à Croix-Luizet. En dépit de premières affectations dans des postes d’enseignant non souhaités, les actions pastorales conduites en parallèle ont sûrement déterminé la future carrière de l’abbé Laurent Remillieux au sein de l’Eglise catholique. Même si au-delà de l’exploration biographique de celui qui est devenu le curé de Notre-Dame Saint-Alban, on a finalement aussi retracé le parcours d’un jeune clerc dans les premières années du vingtième siècle, il faut reconnaître que l’analyse des expériences personnelles et familiales menées en ces années d’avant-guerre ont conservé à ce parcours ses lignes originales et personnelles.

De la connaissance d’un milieu social au dessin de ses contours religieux, de la découverte du quotidien d’un séminariste, puis d’un clerc, au récit de ses apprentissages inhabituels, l’objet de l’histoire est resté le même : certes, comment expliquer le choix final du prêtre diocésain qui courut à la rencontre de l’utopie missionnaire et voulut la réaliser en terre ouvrière ? Mais surtout comment ne pas oublier les autres projets, alternatifs ou concomitants, leurs transformations ou leur abandon face aux inflexions du cours de la vie ? Comment les intégrer à une histoire qui, loin d’être linéaire, en dépit des discours postérieurs tenus sur Laurent Remillieux et d’abord par lui-même, révélait tout autant les ruptures du personnage que sa pérennité et ses constances ? La suite des événements, ou plutôt la reconstruction qui en sera proposée, puisqu’il ne saurait s’agir de céder à l’illusion biographique, continuera à répondre à ces questions, qui ont tenté dans ce chapitre d’envisager l’œuvre du hasard et la part de la nécessité au sein des jeunes années de la vie de Laurent Remillieux.

Notes
523.

P. Gerbod, op. cit., p. 297.

524.

P. Gerbod, op. cit., p. 297.

525.

Claude Digeon, La crise allemande de la pensée française (1870-1914), Paris, P.U.F., 1959, 568 p. L'ouvrage est issu d’une thèse, soutenue à la Sorbonne en 1957, qui étudie la crise déclenchée à l'égard de l'Allemagne dans la pensée française par la défaite de 1871 et par le rapide développement du nouvel Empire. Claude Digeon envisage l’influence exercée par l’Allemagne sur les écrivains français, sous l’angle du problème national. Son travail est certes fondé sur les écrits des intellectuels français, mais il est sans cesse amené à rapporter leurs considérations et leurs sentiments à ceux de l'opinion publique. Sur le thème étudié par Cl. Digeon, l’étude d'H. Barbey-Say, réalisée à partir d'un corpus de sources élargi, reprend souvent les mêmes analyses. Nous pouvons alors à la fois comparer les positions de l'abbé Remillieux à celles des voyageurs les plus éminents, rapportant d’Allemagne leurs impressions, et indiquer les similitudes de ces positions avec celles de l'opinion française générale ou les décalages qui l’en démarquent. Il faut bien sûr tenir compte des critiques que Jean-Jacques Becker a émises sur les conclusions de Cl. Digeon quant à l’importance du renouveau nationaliste et à sa chronologie : J.-J. Becker, 1914 : Comment les Français sont entrés dans la guerre, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1977, 638 p., p. 38 notamment.

526.

Cl. Digeon, op. cit., chapitre IX : « La menace allemande (1890-1905) ». Le titre du chapitre montre déjà que la fascination de Laurent Remillieux pour la réussite de l’Allemagne ne recouvrait pas les mêmes perspectives que celle exercée sur les écrivains étudiés par Cl. Digeon.

527.

Lettre de L. Remillieux à Louis, datée du 15 septembre 1911.

528.

Carte de L. Remillieux à Louis, envoyée de Paignton et datée du 8 septembre 1912.

529.

Ibid.

530.

Roy Porter, « Les Anglais et les loisirs », in L’avènement des loisirs, op. cit. p. 21-54.

531.

Lettre de L. Remillieux, envoyée à Louis de Baabe, datée du 14 août 1913.

532.

Ses préférences se distinguent encore de l’opinion commune puisque « jamais Berlin ne trouvera vraiment grâce aux yeux d'aucun Français, même des plus germanophiles », H. Barbey-Say, op. cit., p 109.

533.

Michel Hau, Histoire économique de l’Allemagne, XIXe-XXe siècles, Paris, Economica, 1994, 364 p., p. 67-68.

534.

Cl. Digeon, op. cit., p. 482.

535.

Lettre de L. Remillieux à ses parents, datée du 9 septembre 1908.

536.

Victor Conzemius, Histoire du christianisme, op. cit., p.671.

537.

A. Corbin, op. cit., p. 79.

538.

L’analyse de Claude Digeon est reprise sur ce point par Hélène Barbey-Say. Une des motivations des voyageurs français aurait été de « mieux connaître l’adversaire », d’en « mesurer les forces et les faiblesses », afin de lui « opposer une force nouvelle » : H. Barbey-Say, op. cit., p. 15 et p. 21.

539.

Ainsi le jeune Lyonnais Charles Bourgarel, envoyé par sa famille en stage pour un an (1912-1913) dans différentes maisons commerciales de Hambourg, dont le récit de voyage publié en 1917, sous le titre de Un an à Hambourg, a été étudié par H. Barbey-Say.

540.

Lettre d'Adolf Schroeder adressée à L. Remillieux et datée du 31 mars 1908.

541.

Cl. Digeon, op. cit., p. 483.

542.

Sur l’histoire de l’Allemagne contemporaine, la synthèse récente de Sandrine Kott, L’Allemagne au XIXe siècle, Paris, Hachette Livre, 1999, 254 p., offre un instrument de travail très pratique. La question de la recherche scientifique et de ses applications industrielles est traitée p. 120. On peut aussi consulter sur ce point l’ouvrage de M. Hau, Histoire économique de l’Allemagne, XIXe-XXe siècles, op. cit., p. 48-49.

543.

Lettre de L. Remillieux à Louis, datée du 4 février 1913.

544.

Lettre de L. Remillieux à Louis, datée du 6 février 1913.

545.

Cf. lettre de L. Remillieux à Emilie, datée du 2 décembre 1907 et déjà citée.

546.

Les informations sur Berlin sont issues de l’article « Berlin », in Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, Tome 8, Letouzey et Ané, 1935, col 510-523, et de l’ouvrage d’H. Barbey-Say, op. cit., p 108-109.

547.

H. Barbey-Say, op. cit., p 269.

548.

Carte postale de L. Remillieux à son frère Jean, datée du 18 septembre 1911.

549.

Lettre de L. Remillieux à Louis, datée du 30 novembre 1912.

550.

Lettre de L. Remillieux à Louis, datée du 23 décembre 1912.

551.

Lettre de L. Remillieux à Louis, datée du 13 janvier 1913.

552.

Lettre de L. Remillieux à Louis et Marie, datée du 18 novembre 1912.

553.

Le thème du retour à la nature porté par une sensibilité écologique, aux accents conservateurs et plongeant ses racines dans le romantisme, est évoqué par S. Kott, L’Allemagne du XIXe siècle, op. cit., p. 199-201.

554.

Lettre de L. Remillieux à Louis et Marie, datée du 18 novembre 1912.

555.

Joseph Rovan, Histoire de la démocratie chrétienne II, Le catholicisme politique en Allemagne, Paris, Editions du Seuil, 1956, p. 139.