La lecture du dernier ouvrage cosigné par Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, 14-18, retrouver la Guerre 571 a finalement conforté le choix d’inscrire la fondation de la nouvelle paroisse de Notre-Dame Saint-Alban dans un chapitre centré sur l’expérience de la mort vécue par la famille Remillieux et ses proches pendant la Grande Guerre. Effectuée après l’écriture de l’introduction de ce troisième chapitre, elle en justifiait amplement l’orientation. Les deux auteurs y présentent à la fois une réflexion historiographique sur le premier conflit mondial, passant au crible les silences de l’histoire sur des aspects aujourd’hui valorisés par les travaux en cours, et un inventaire de ces nouveaux chantiers, renouvelant l’analyse de l'épreuve de la guerre et de ses conséquences. Trois chapitres manifestent leurs intentions et je ne retiendrai d’eux que ce qui peut intéresser la compréhension de mon sujet. Le premier sur « La violence » s’ouvre sur l’ « histoire nécessaire » de la bataille, du combat et de la violence. Le deuxième interroge la dimension de guerre sainte qu’avait prise « la croisade » menée par chaque nation contre son ennemi. Le dernier associe à l’observation des manifestations d’un deuil collectif la tentative d’attirer l’attention des historiens sur l’utilité de prendre en compte l’analyse du deuil personnel. Et c’est bien sur ces thèmes que s’articulent les histoires de Laurent Remillieux et de son entourage écrites dans les pages qui vont suivre. Sur les années de guerre, je n’ai pu retrouver qu’une documentation très partielle : la correspondance familiale n’a pas été conservée dans les mêmes proportions que pour la période précédente et, si l’on excepte l’année 1914 et quelques rares lettres de l’année 1916, Laurent Remillieux lui-même n’apparaît souvent qu’au travers des lettres envoyées du front par son frère Louis ou des témoignages livrés indirectement par ses collègues de Roanne ou des habitants de Croix-Luizet. La biographie de Jean Remillieux reste un document d’autant plus essentiel que Laurent Remillieux s’efface derrière le sacrifice de son frère. Mais on ne pouvait laisser plus longtemps à l’arrière-plan le personnage de Victor Carlhian, lui aussi accablé par la douleur de la perte de son ami intime, et entretenant avec sa femme une correspondance régulière qui livre ses pensées et ses projets. Les combats et la mort de Jean et de Louis Remillieux nous introduisent non seulement dans une histoire exemplaire du sacrifice consenti, dans la violence du champ de bataille et dans les expressions de ferveur religieuse que cristallisent ces catholiques du front mais nous amènent aussi à réfléchir plus précisément sur ceux qui figuraient « parmi les grands absents du deuil de guerre » 572 , le frère et l’ami, qui deviendraient justement les fondateurs de Notre-Dame Saint-Alban. La première partie du chapitre sera donc l’occasion de réunir les acteurs rencontrés dans les deux premiers chapitres et d’observer l’infléchissement que la Grande Guerre a imposé à leur existence.
Stéphane Audoin-Rouzeau, Annette Becker, 14-18, retrouver le Guerre, Paris, Gallimard, 2000, 272 p. L’ouvrage propose une mise au point bibliographique récente, justifiant d’autant plus le choix d’en faire la référence première de mon travail surtout en ce qui concerne la réflexion sur la souffrance, la douleur et le deuil. Sur ce dernier thème par exemple, les auteurs dressent un bilan du chantier ouvert depuis une dizaine d’années et dont la publication collective Guerre et cultures. 1914-1918, dirigée par J.-J. Becker, Jay M. Winter, Gerd Krumeich, A. Becker, S. Audoin-Rouzeau, Paris, Armand Colin, 1994, 446 p. avait marqué une des étapes avec un chapitre sur « La mort et le deuil », inclus dans la troisième partie intitulée « La guerre représentée et la guerre vécue ». Les contributions de Françoise Thébaut, « La guerre et le deuil chez les femmes françaises », p. 103-110 ou de Peter Gray, « Freud et la guerre », p. 111-117, révélaient des recherches en cours appelant d’autres travaux sur ce thème que synthétise donc l’ouvrage de S. Audoin-Rouzeau et A. Becker. La dernière publication de S. Audoin-Rouzeau, Cinq deuils de guerre. 1914-1918, Paris, Editions Noesis, 2001, 264 p., marque l’étape suivante des études menées sur le deuil. Les cinq récits de vies endeuillées qu’il juxtapose nous révèlent des itinéraires de femmes essentiellement. En analysant la douleur des pertes vécues par Laurent Remillieux et Victor Carlhian, le chapitre en cours nous conduira à aborder au contraire les spécificités d’un deuil masculin. Evidemment, les aspects religieux de la guerre ont fait aussi l’objet d’une recherche bibliographique plus précise. Depuis, l’ouvrage de Jacques Fontana, Les catholiques français pendant la Grande Guerre, Paris, Editions du Cerf, 1990 rééd., 440 p., la question a été renouvelée par une équipe d’historiens dont Annette Becker a été la principale instigatrice. Je ne citerai ici que trois publications : Chrétiens pendant la Première Guerre mondiale, Actes des journées tenues à Amiens et à Roanne et à Péronne les 16 mai et 22 juillet 1992, sous la direction de Nadine-Josette Chaline, publié à Paris, Editions du Cerf, 1992, 201 p. ; Annette Becker, La guerre et la foi. De la mort à la mémoire. 1914-1930, Paris, Armand Colin, 1994, 142 p. ; enfin le premier numéro de la revue annuelle 14-18 Aujourd’hui. Today. Heute, Editions Noésis, 1998, comprenant un dossier intitulé « Pour une histoire religieuse de la guerre », numéro qui présente par ailleurs une bibliographie détaillée sur l’histoire de la Grande Guerre. J’indiquerai ensuite les autres ouvrages consultés qui ont pu m’apporter des précisions sur des sujets particuliers ou me permettre de confronter l’expérience des Remillieux à d’autres exemples étudiés par des historiens. Un colloque, organisé par le Centre de Recherche de l’Historial de la Grande Guerre et qui s’est tenu à Péronne du 5 au 7 juillet 2002, a dressé un bilan de travail et présenté les dernières perspectives du groupe de recherche animé par Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker sur la Première Guerre mondiale. Un compte-rendu en a été donné par Dominique Fouchard, « 1914-1918 : bilan d’étape », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 77, janvier-mars 2003, p. 109-110. Les réflexions développées dans ce chapitre désirent s’inscrire dans cette « quête des traces de l’intime » qui tente, « par la variation d’échelles [l’expression est de Stéphane Audoin-Rouzeau], [de] mesurer jusqu’à quelle profondeur la guerre a agi sur les individus » et qui cherche « comment s’articule le passage du singulier au collectif ». Le travail sur l’historiographie de la Première Guerre mondiale récemment publié par Antoine Prost et Jay Winter, Penser la Grande Guerre. Un essai d’historiographie, Paris, Editions du Seuil, série « L’Histoire en débats », 2004, 345 p., permet pour finir de faire le point sur les débats qui opposent sur les thèmes abordés les historiens français et de replacer de façon synthétique les analyses du chapitre dans les problématiques actuelles.
Ibid., p. 237.