S’il avait été dit, au moment de la fondation paroissiale, que les catholiques de Notre-Dame Saint-Alban avaient pour mission d’assurer la présence de l’Eglise dans les confins de la ville pour apporter la Parole divine à une population déchristianisée, où se confondaient les migrants déracinés et les ouvriers mal intégrés à l’espace social urbain, il était désormais difficile de s’en tenir à cette vision.Laurent Remillieux continuerait pourtant à élaborer un récit qui réponde aux attentes des catholiques intéressés par l’expérience missionnaire menée à Notre-Dame Saint-Alban, en taisant de la réalité ce qui nuisait à l’exemplarité dela paroisse. Il parviendrait à ériger le territoire paroissial et les paroissiens en un quartier et une population utopiques mais qui se conformaient aux exigences de la démonstration. Il restait à découvrir les raisons de ce travestissement. Somme toute, l’homogénéité servait le projet paroissial et ce fait, comme la représentation que les catholiques de Notre-Dame Saint-Alban ont donnée du territoire paroissial et de ses habitants, doivent être étudiés avant d’être mis en relation, dans le chapitre suivant, avec l’analyse des logiques missionnaires.
Le travail consistera alors à confronter l’analyse d’une réalité urbaine reconstituée par l’historien au discours catholique tenu sur cette réalité pour tenter d’en comprendre les fondements. « Histoire du fait urbain et histoire des représentations sont bien sûr indissociables » 147 . Au-delà de l’histoire paroissiale locale, c’est ici l’occasion d’apporter une contribution à l’histoire de la « crise urbaine », telle qu’elle a été définie par les élites à propos des mal-lotis des banlieues parisiennes mais que l’on retrouve en des termes semblables dans les récits de Laurent Remillieux. Focaliser la réflexion sur le regard particulier des fondateurs de la paroisse permet enfin d’entrevoir la perception que des catholiques, qui occupaient le terrain, avaient de la périphérie de la grande ville et donne ainsi l’occasion de saisir le message qu’ils voulaient faire passer sur le quartier et sur leur présence dans celui-ci. Leur position d’extériorité apportait une autre dimension : ceux qui venaient s’installer dans le quartier neuf restaient investis des repères urbains intériorisés jusque-là et donc d’une culture attachée au centre de la ville. L’examen de ce regard catholique sur la ville reposera sur divers textes laissés par l’abbé Remillieux et sur le mémoire de fin d’études de Simone Mayery 148 . Le dossier de photographies, déjà en partie exploité dans ce chapitre, permet de compléter ces sources en proposant une autre façon de pénétrer les relations que les fondateurs de la paroisse entretenaient avec cet espace urbain, prolongeant ou corroborant les premières impressions procurées par la lecture des sources écrites. On a déjà souligné que ces photographies présentaient un double intérêt. Elles ont d’abord permis de confirmer certaines caractéristiques urbanistiques et d’enrichir la description du paysage urbain. Elles serviront maintenant à comprendre comment le territoire paroissial a été perçu par leurs commanditaires. Au cours de ce développement, c’est la période initiale de l’histoire de Notre-Dame Saint-Alban, celle qui recouvre essentiellement la première décennie, qui retiendra notre attention. Elle montre que les rapports originels de la paroisse avec son territoire et avec les habitants de ce territoire allaient être investis des représentations catholiques de la périphérie urbaine et que les préjugés qui les fondaient contribueraient finalement à amplifier le décalage entre discours catholique et réalité urbaine.
Annie Fourcaut, La banlieue en morceaux…, op. cit., p. 147.
Outre l’article déjà cité de La Vie catholique, j’utiliserai surtout le brouillon dactylographié, inachevé, de l’ouvrage sur la paroisse promis par l’abbé Remillieux à la maison d’édition Bloud et Gay, déjà cité. Le mémoire évoqué est donc celui de Simone Mayery, Monographie d’un quartier lyonnais, « Grange Blanche », op. cit.