Si l’on veut éviter tout anachronisme qui projetterait sur les débuts de l’histoire paroissiale les problématiques définies pour les années 1940, la clé de l’action religieuse menée par l’équipe paroissiale à Notre-Dame Saint-Alban est donc à rechercher en premier lieu dans les discours tenus et les pratiques mises en place avant la Deuxième Guerre mondiale. Il faut logiquement retourner aux sources les plus anciennes en les confrontant aux formes traditionnelles de la mission intérieure, sans y chercher a priori l’originalité de Laurent Remillieux. « Le prêtre doit savoir rester pauvre, avec le Christ pauvre et avec les pauvres, ses meilleurs amis. » Cette phrase, écrite pour l’article publié dans La Vie catholique, qui associait l’exigence de pauvreté à l’apostolat missionnaire, résume les conceptions et les pratiques du curé de Notre-Dame Saint-Alban. Elle a déjà été citée dans le chapitre précédent à propos de ses recherches de logement et elle a contribué à montrer combien le discours, construit à l’occasion du dossier sur la vie religieuse des banlieues, servait le projet missionnaire concernant la périphérie déchristianisée de la grande ville. Mais, jusque-là, les considérations sont restées limitées à la question du rapport entretenu par les cadres de la paroisse à l’espace urbain délimité par le territoire paroissial, autrement dit, à l’analyse critique de leur vision de la périphérie urbaine et de leur usage de cet espace. La réflexion sera maintenant centrée sur le projet religieux défini pour les paroissiens et sur les modalités de ses applications ; elle explorera d’une nouvelle manière la thématique récurrente qui emplit tous les textes abordant le problème de l’évangélisation d’une population ouvrière éloignée de l’Eglise catholique. Les discours tenus sur la pauvreté dont se réclamait le curé de Notre-Dame Saint-Alban, sur la question de l’argent dans l’Eglise et sur la charité comme mode relationnel fixant de façon exclusive les rapports entretenus avec les paroissiens du Transvaal, dévoilaient la logique missionnaire qui dirigeait l’action religieuse de Laurent Remillieux et de son équipe. Ils les renvoyaient paradoxalement à un modèle traditionnel désavoué par les abbés Godin et Daniel, tirant les leçons de l’échec voire de l’impossibilité d’une œuvre missionnaire conduite dans le cadre de l’institution paroissiale. Ils les laissaient en deçà de la fracture dessinée par les propositions d’une nouvelle présence au monde qui conduiraient à la naissance des prêtres-ouvriers. Car, même si Laurent Remillieux appartenait à cette famille « qui, au cours des siècles, se réfère inlassablement au christianisme insatisfait des Béatitudes et au christianisme fraternel de l’Eglise primitive, de préférence au christianisme établi du devoir d’état », il demeurait inclus dans le pôle ordonné autour de l’insistance à « être pauvre » « dans le monde des pauvres » et continuait à méconnaître celui qui entraînait les clercs à « être homme » « dans la cité des hommes ». Pour lui, il ne s’agissait que « d’appliquer l’évangile, de le mettre en œuvre » et non de s’ouvrir à un inconnu, « rendant caduc tout modèle à reproduire », ouvrant des interrogations sans « réponse magistrale » 215 . C’était par cette distinction qu’on pouvait aussi revenir sur les raisons du détournement du projet initial de Victor Carlhian qui avait amené à la fondation paroissiale. La paroisse voulue par Laurent Remillieux ancrait son projet dans une tradition missionnaire qu’autorisait l’institution ecclésiale la moins réformiste. Les changements liturgiques qu’il introduisait par ailleurs possédaient alors une double signification. Ils nourrissaient le projet en lui donnant de nouveaux moyens, qui montraient cette fois la capacité des catholiques à transiger avec le monde moderne dès lors qu’il s’agissait de faciliter leur apostolat 216 . Ils allaient aussi contribuer à le dévoyer en le ramenant à expérimenter de nouvelles expressions de la foi au sein d’une communauté fervente mais restreinte.
Les citations sont extraites de la présentation des deux modèles missionnaires définis par Emile Poulat dans la préface reprise pour la nouvelle édition de son ouvrage sur la naissance des prêtres-ouvriers, Les prêtres-ouvriers. Naissance et fin, Paris, Les Editions du Cerf, 1999, 647 p., p. 12-13.
J’utiliserai en fait la problématique développée par Etienne Fouilloux dans un exposé présenté à Louvain-la-Neuve le 17 novembre 2000, lors de la Journée du centenaire de la Revue d’Histoire ecclésiastique, exposé publié par ladite revue sous le tire « Intransigeance catholique et “monde moderne” 19e – 20e siècles) », Vol. 96 (2001), n° 1-2, p. 71-87.