Laurent Remillieux et Victor Carlhian, tous les deux issus du réseau des anciens sillonnistes lyonnais, avaient fondé ensemble la paroisse de Notre-Dame Saint-Alban mais leur association avait reposé dès le départ sur un malentendu. La collaboration avait vite tourné à la confrontation, même si de cette dernière les sources et les témoignages directs ne renvoient qu’une image feutrée. Ils ne privilégiaient pas les mêmes engagements et, si chacun savait emprunter à l’entourage de l’autre les hommes qui sauraient faire avancer sa propre cause, s’ils circulaient occasionnellement dans les mêmes réseaux, cette fréquentation commune ne relevait pas d’une communauté d’idées ni d’action. Répertorier les catholiques qui ont fréquenté la paroisse sans appartenir au territoire institutionnel revient finalement à défaire l’entrelacement des réseaux auxquels appartenaient, par leurs engagements extérieurs respectifs, les deux hommes. On aura déjà compris que deux réseaux se détachaient nettement dès les années 1920. La participation de Victor Carlhian aux différents cercles d’intellectuels catholiques lyonnais de l’entre-deux-guerres a pu faire connaître Notre-Dame Saint-Alban dans ce milieu, attiré par l’expérience spirituelle promise et la possibilité de nouvelles rencontres. Le combat de Laurent Remillieux en faveur du rapprochement franco-allemand irrigua peut-être plus encore la réalité paroissiale. Les liens que le curé de Notre-Dame Saint-Alban avait réussi à recréer, après la guerre, avec des catholiques de l’aire germanique, étaient rapidement redevenus une des raisons majeures de sa vie et de son action. La clé essentielle de ses engagements se retrouvait donc, comme au cours de ses années de jeunesse, dans sa relation avec l’Allemagne.
Il s’agit alors d’envisager, dans leur complexité et leur multiplicité, les recoupements et les interactions de tous les groupes fréquentés par les animateurs de Notre-Dame Saint-Alban et ayant influencé ou nourri à un degré quelconque la vie paroissiale. Une mise en récit privilégiant l’unité d’action plutôt que la continuité chronologique semble nécessaire pour approcher les logiques d’ensemble et montrer comment s’inséraient les différents réseaux envisagés dans un même milieu catholique social. On n’évitera pas de placer Laurent Remillieux ou Victor Carlhian au centre de l’histoire, mais on veillera aussi à introduire dans la mesure du possible une observation extérieure. En abordant par exemple l’histoire paroissiale par l’intermédiaire de Jules Monchanin, on ne cherche pas cette fois à analyser le regard que pourrait porter sur l’expérience paroissiale un prêtre non-conformiste 659 , mais à démêler l’écheveau des liens tissés avec les fondateurs de la paroisse en dehors de cette dernière, jusqu’à envisager le partage des expériences intellectuelles ou pastorales menées au sein du territoire paroissial. Retracer ensuite les relations entretenues par Paul Couturier avec Victor Carlhian et Laurent Remillieux amène à élargir le champ de l’observation et à renverser l’orientation de cette dernière. Définir la place et le rôle des deux fondateurs de Notre-Dame Saint-Alban dans la naissance lyonnaise de l’œcuménisme spirituel revient en effet à considérer les engagements extérieurs qui innervaient en retour la réalité paroissiale, lui donnant ainsi une de ses dimensions extraterritoriales. L’itinéraire du groupe des laïques de L’Association, décrit sur trois décennies environ, permet quant à lui de situer la paroisse dans d’autres cercles lyonnais du catholicisme social et de montrer la contiguïté des expériences locales et nationales en matière de travail social ou de laïcat consacré. Retrouver enfin les Compagnons de Saint-François, et spécialement leur branche féminine, nous ramène à l’Allemagne tout en permettant de montrer comment se renégocie le fonctionnement du groupe des laïques consacrées. L’objectif est d’une part d’appréhender les liens extérieurs à Notre-Dame Saint-Alban, qui participent de la définition des identités de Laurent Remillieux et de Victor Carlhian et fournissent des clés pour la compréhension des actions qu’ils engagèrent au sein de la paroisse. Mais il ne faut pas oublier, d’autre part, que l’on cherche à étudier ces groupes pour eux-mêmes et non la seule présence des deux héros de l’histoire en leur sein, puisque c’est bien le lien du groupe à Notre-Dame Saint-Alban qui nous intéresse depuis le moment où l’hypothèse d’un fonctionnement paroissial fondé sur un réseau extra-paroissial de pratiquants a été posée.
Jacques-Guy Petit, « Un non-conformiste des années vingt : Jules Monchanin », Cahiers d’Histoire, 1981, 3, p. 271-287. La thèse de doctorat d’histoire de l’auteur a porté sur Le milieu de formation de l’abbé Monchanin (1895-1925) et elle a été soutenue en 1974 à l’Université Paris X-Nanterre, deux volumes dactylographiés de 250 et 299 p. Publication partielle sous le titre La jeunesse de Monchanin, 1895-1925. Mystique et intelligence critique, Paris, Beauchesne, 1983, 276 p.