La réflexion sur ces thèmes a déjà été engagée au moment de la préparation de communications pour des colloques organisés autour de deux figures cléricales lyonnaises : Jules Monchanin et Paul Couturier 660 . Dans le premier cas, les débats étaient largement centrés sur la vocation et le rayonnement missionnaires d’un prêtre connu pour sa rencontre avec la spiritualité hindouiste, mais qu’il fallait aussi saisir, avant son départ pour l’Inde, au moment de ses expériences et engagements lyonnais. Sa circulation au sein des milieux intellectuels catholiques lyonnais de l’entre-deux-guerres a été étudiée par Etienne Fouilloux 661 , qui avait sollicité ma participation pour compléter le tableau de l’époque lyonnaise par la relation des liens entretenus avec les catholiques sociaux de Notre-Dame Saint-Alban. Le personnage de Jules Monchanin 662 est déjà intervenu dans le récit de l’histoire paroissiale : son témoignage a souligné son adhésion au projet liturgique et a évoqué les débuts de sa participation à l’expérience pastorale. Mais avant de présenter plus en détail la nature et les circonstances de ses interventions, il nous faut comprendre par quel biais ce prêtre si difficile à saisir dans le Lyon catholique des années 1920, toujours et partout présent, que le père de Lubac définit comme un « homme [qui] était tout à tous », avant d’ajouter que « de sa plénitude tous prenaient leur part » 663 , mais qui paradoxalement passait, s’était pris, lui aussi, dans les filets de Notre-Dame Saint-Alban. Et ce furent en fait les relations personnelles tissées avec les principaux protagonistes de la paroisse qui le conduisirent d’abord jusqu’à ce lieu.
Le deuxième colloque a pour sa part envisagé les différents aspects de la personnalité de l’abbé Couturier et de son œuvre œcuménique. Mon intervention se chargeait d’analyser les rapports qui existaient entre le fondateur lyonnais de l’œcuménisme spirituel, Victor Carlhian et Laurent Remillieux, et la collaboration de ces deux derniers à l’histoire de l’œcuménisme spirituel. En me suggérant cette communication, Etienne Fouilloux n’a rien fait de moins que me proposer de revisiter quelques chapitres de sa thèse 664 , exercice qui pouvait apparaître dans un premier temps fort troublant, tant l’étendue du corpus de sources exploité, la précision et la rigueur des faits exposés, le souci de leur contextualisation et leur interprétation donnaient l’impression que cette histoire avait été écrite une fois pour toutes. Comme dans le cas de l’observation des liens noués par Jules Monchanin avec Notre-Dame Saint-Alban et ses animateurs, l’expérience présentait toutefois pour mon propre travail un intérêt certain. Le suivi de trois acteurs essentiels du réseau de l’œcuménisme spirituel né à Lyon m’a permis de revenir sur plusieurs hypothèses de travail qui guident l’histoire des réseaux et qui ont déjà été explorées au cours de l’étude du milieu sillonniste lyonnais. Se placer de nouveau à l’échelle de quelques individus seulement, en reconstituant précisément leurs itinéraires, en remettant à jour les problématiques qui conduisaient leurs histoires personnelles, en faisant apparaître les micro-logiques relationnelles qui présidaient à leur rencontre et à leur travail commun, autorise à re-questionner à la fois la part de l’amitié dans la constitution et l’entretien des réseaux et le rôle qu’y jouent les affinités intellectuelles et spirituelles.
Tandis que l’itinéraire lyonnais de Jules Monchanin permet de replacer sa participation à l’expérience paroissiale dans le contexte de son appartenance à un milieu catholique marqué par la personnalité de Victor Carlhian, la mise en regard des itinéraires de Paul Couturier, Victor Carlhian et Laurent Remillieux montre d’abord pourquoi la rencontre des trois hommes sur la base de l’œcuménisme spirituel a été possible. L’observation de l’amitié qui liait Victor Carlhian à Paul Couturier comme à Jules Monchanin ouvre aussi sur une histoire de l’intime que je n’avais pas pu encore approcher dans l’étude du fondateur laïc de Notre-Dame Saint-Alban pour la période de l’entre-deux-guerres. Elle montre combien le cadre de l’amitié a favorisé la conversion philosophique et théologique de l’abbé Couturier, alors que les relations qui se développaient entre Jules Monchanin et Victor Carlhian avaient trouvé au contraire leur origine dans la proximité intellectuelle révélée par leurs premiers échanges. En ce qui concerne Laurent Remillieux, les logiques de l’histoire renvoient au précédent de son expérience sillonniste. Sa contribution à l’œcuménisme spirituel procéda encore d’une problématique toute personnelle, qui naquit dans la continuité d’un engagement opéré dans un autre milieu que celui de l’œcuménisme. D’ailleurs, les engagements personnels des quatre hommes et leur insertion dans différents réseaux du catholicisme doivent être évoqués pour mieux suivre les fils qui tissèrent autour de Notre-Dame Saint-Alban ce réseau de pratiquants extra-muros qui fit sa renommée.
Le premier de ces colloques a été consacré en avril-juillet 1995 à Jules Monchanin. La communication a été publiée sous le titre « Jules Monchanin et Notre-Dame Saint-Alban », dans les actes des Colloques de Lyon-Fleurie et de Shantivanam-Thannirpalli, Jules Monchanin (1895-1957). Regards croisés d’Occident et d’Orient, Lyon, Profac-Credic, 1997, 409 p., p. 73-87. Le deuxième colloque évoqué s’est tenu en novembre 2002.
E. Fouilloux, « Jules Monchanin dans les milieux intellectuels lyonnais de l’entre-deux-guerres », in Jules Monchanin (1895-1957). Regards croisés d’Occident et d’Orient, op. cit., p. 53-71.
Les pages qui suivent reprennent donc largement la communication publiée sous le titre « Jules Monchanin et Notre-Dame Saint-Alban », op. cit.. L’essentiel des informations avait été recueilli dans le fonds Jules Monchanin des Archives municipales de Lyon.
Henri de Lubac, Sur les chemins de Dieu, Poitiers, Aubier, 1966, 356 p.
E. Fouilloux, Les catholiques et l’unité chrétienne du XIXe et XXe siècle. Itinéraires d’expression française, op. cit..