Un nouveau réseau articulé sur les Compagnes de Saint-François et le laïcat consacré

Le chapitre précédent sur la mission a déjà laissé pressentir que l’œuvre paroissiale accomplie par Laurent Remillieux à Notre-Dame Saint-Alban devait beaucoup aux liens qu’il entretint avec le catholicisme allemand à partir du début des années 1920 et à son investissement dans des causes extérieures aux enjeux strictement paroissiaux 841 . La correspondance d’Yvonne Girard comme celle de Laurent Remillieux avec Sylvie Mingeolet le confirment à leur tour. Ainsi, les lettres qui évoquent les relations nouées avec les catholiques allemands, et qui disent dans le même temps le combat pour la paix et l’attrait pour le renouveau liturgique venu d’Allemagne, mettent en scène, non pas les paroissiens de Notre-Dame Saint-Alban, mais seulement les jeunes femmes liées à L’Association et les Compagnes de Saint-François. Les liens entretenus avec le père Stratmann surtout y apparaissent comme une manifestation de la contiguïté des deux engagements. Depuis 1923, la Friedensbund deutscher Katholiken était désormais placé sous l’influence du dominicain Franziskus Stratmann, aumônier d’organisation d’étudiants à Berlin. En 1926, ce dernier prit en charge une paroisse de Berlin. Régis Ladous le présente comme l’un des animateurs du renouveau liturgique et comme le « leader officieux » de la FDK, « à la fois théoricien et praticien » 842 . Une lettre écrite par Yvonne Girard le 8 septembre 1931 rappelle la visite rendue à Combloux par le père Stratmann à ses amies de L’Association.

‘« Au camp de vacances de nos groupes à Combloux, le Père Stratmann lui-même a pu s’arrêter. Quelle joie pour toutes ! Et combien mes amies étaient heureuses. Les lettres étaient enthousiastes, toutes disaient : “Du Père Stratmann se dégage une impression de repos et de confiance, tout en lui respire la paix”. » 843

La jeune femme enchaîne aussitôt sur le récit du dernier voyage de l’abbé Remillieux en Allemagne, où il avait accompagné le premier des grands pèlerinages internationaux des Compagnons de Saint-François vers Notre-Dame des Affligés, à Luxembourg. L’année suivante, sous sa conduite, les Compagnes se rendaient en Rhénanie. Dans une lettre datée du 8 juin 1932 844 , Laurent Remillieux décrivait à Sylvie Mingeolet l’avancement des préparatifs du pèlerinage en Alsace et du camp qui lui succèderait à Bendorf. Il lui rappelait que Bendorf se situait « tout près de Maria Laach », à « un jour de camp », et lui annonçait le « beau petit pèlerinage » qu’ils y feraient par chemin de fer.

L’entrée de Sylvie Mingeolet chez les Compagnes de Saint-François datait de 1930 845  : cette année-là, au retour du pèlerinage qui conduisit les Compagnons et les Compagnes à Notre-Dame de Tamié en Savoie, les bandes s’arrêtèrent à Notre-Dame Saint-Alban. Lors de ce même pèlerinage, l’abbé Remillieux avait accepté de devenir l’aumônier des Compagnes. Ces dernières, « unies à la paroisse », célébrèrent « les fiançailles de l’une d’elles, Yvonne Chapuis, avec Joseph Huissoud ». Les Compagnons y organisèrent leur feu de joie, après avoir donné une représentation du Mystère de Saint-François et de son compagnon dans la cour de l’hospice des Incurables 846 . Joseph Folliet date de cette soirée le début de la relation particulière qui s’instaura entre le mouvement Compagnon et la paroisse de Notre-Dame Saint-Alban. Cela n’allait pourtant pas de soi. Une des compagnes présentes rappelle dans le témoignage que lui demanda Joseph Folliet ce premier contact avec la paroisse de leur aumônier 847 . Selon la volonté de ce dernier, elle assista avec ses camarades à une cérémonie de baptême et se souvient surtout du toussotement irrépressible qui prenait le célébrant entre chaque mot ou presque, sauf lorsqu’il parlait en latin. Elle met en rapport le fou rire communicatif qui emporta l’ensemble des compagnes avec leur incompréhension du rituel. Son témoignage se poursuit avec l’autre point de malentendu, qui souleva cette fois l’indignation parmi la bande. Très nombreuses étaient celles qui se refusèrent dans un premier temps à accepter la conception des relations franco-allemandes de leur aumônier. La présence de « deux jeunes chrétiens allemands » leur fut pénible et leur conversion au pacifisme de Laurent Remillieux attendit l’affirmation de la vocation internationale de leur mouvement, même si dès cette année-là Franz Stock, accompagné de quelques amis allemands, participa au pèlerinage de Tamié.

Sylvie Mingeolet fonda la bande lyonnaise des Compagnes et s’imposa très vite comme la chansonnière de la branche féminine du mouvement. L’amitié qui la liait déjà à Joseph Folliet s’approfondit alors. Ils se retrouvèrent à travailler ensemble à la Chronique Sociale : Sylvie Mingeolet fut engagée en 1936 pour être la secrétaire de Marius Gonin et eut pour patron dès 1938 son camarade compagnon. Elle avait fait sa connaissance par l’intermédiaire d’Yvonne Girard, qui fréquentait comme elle la Maison des Jeunes de Saint-Alban, encore sous la responsabilité d’Ermelle Ducret. Yvonne Girard était issue d’une famille ouvrière originaire de la Creuse, socialiste et anticléricale, mais respectant les rites de passage du catholicisme. Fragilisée par l’éclatement de la cellule familiale, elle s’était éloignée des convictions politiques et religieuses de ses parents pour intégrer le réseau des militants catholiques gravitant autour de Notre-Dame Saint-Alban. Résidant au plus près des locaux paroissiaux, Yvonne Girard participa d’abord aux activités de la Maison des Jeunes, animées par le groupe de laïques de L’Association. Puis elle se lança dans l’aventure du guidisme et s’intéressa aux débuts de la J.O.C.F.. Mais entraînée par ses nouveaux amis, elle milita surtout dans les rangs de la Jeune République et s’enthousiasma pour tous les combats démocrates-chrétiens, celui de la paix notamment. Sa présence au Congrès de Bierville, en 1926, apparaît dans sa correspondance comme l’apogée d’un engagement idéaliste, vécu sur le mode affectif. Son adhésion à l’Union française pour le suffrage des femmes comme son affiliation à l’Union régionale pour l’éducation civique et sociale de la femme n’échappaient pas aux ambiguïtés de la pensée catholique, tentant de redéfinir au sein de la tradition la condition de la femme catholique du XXe siècle. Tenaillée depuis son insertion dans la communauté paroissiale par une vocation religieuse, dont elle partageait les affres avec son ami Joseph Folliet, elle hésita, avant d’explorer la voie expérimentale du laïcat consacré, qui lui permettait de concilier son besoin d’action et son désir de vouer sa vie à Dieu.

Emmenée par une amie, Sylvie Mingeolet avait d’abord participé aux camps de vacances, établis les premières années à Usillon, à Thorens-Sales, puis fixés à Combloux dans le chalet de l’Alpée, et rapidement elle s’était révélée indispensable aux activités théâtrales qui se déroulaient sur le territoire paroissial. Elle fut ainsi amenée à côtoyer le milieu de la Jeune République. Mais en ce milieu des années 1920, son intérêt pour le rapprochement franco-allemand demeurait encore très discret, en retrait de l’engagement des autres jeunes femmes de la Maison des Jeunes. Elle n’avait notamment pas suivi ses amies à Bierville, dans la propriété de Marc Sangnier en Seine-et-Oise, où s’était tenu le VIe Congrès de l’Internationale démocratique, dédié cette fois à « La paix par la jeunesse ». Une carte envoyée d’Usillon en Savoie pendant l’été 1927 et adressée par Yvonne Girard à Bernhard Berkenfeld, évoquait au contraire la présence au Congrès d’Ermelle Ducret, de Marie Marty, Thérèse Rivollier, Jeanne Le Gros, Emilie Remillieux, Marie-Thérèse Isnard, Marie Blanc, Lucienne Huissoud, autant de jeunes femmes liées à la Maison des Jeunes et qui se rappelaient au bon souvenir du jeune Allemand en apposant leur signature au dos de la carte postale.

Ce fut justement à Bierville que Joseph Folliet, venu de la Jeune République et converti au « pacifisme d’action » par Marc Sangnier, rencontra les délégués du Quickborn. Inspiré par ce mouvement de la jeunesse allemande et par l’amitié qui se noua dans le cadre de Bierville avec Franz Stock, un des animateurs du Quickborn en Westphalie et membre du Bund Neudeuschland, Joseph Folliet fondait les CSF en 1927, en compagnie de René Beaugey, secrétaire général du Sillon catholique de Paris, et du père Boulier, jeune jésuite de l’Action Populaire. Dans l’article écrit pour Chrétiens et sociétés XVIe-XXe siècles,Régis Ladous a voulu montrer le rôle de médiateur joué par Laurent Remillieux au moment de la création des Compagnons de Saint-François. Il lui attribue le mérite de la rencontre décisive entre Joseph Folliet et Franz Stock, en expliquant que le jeune Allemand était venu à Bierville sur les conseils d’Hermann Platz et en ramenant ce dernier à l’amitié qui le liait au curé de Notre-Dame Saint-Alban ; il le hausse ensuite à la stature de conseiller spirituel et intellectuel sans lequel un mouvement durable et structuré n’aurait pu naître 848 . Les éléments qu’offre Joseph Folliet lui-même dans sa biographie de l’abbé Remillieux n’autorisaient pourtant pas une telle conclusion. Selon lui, Laurent Remillieux aurait rencontré les Compagnons de Saint-François à la Semaine sociale de Nancy et il les aurait présentés à ses paroissiens dans la Semaine religieuse et familiale du 26 octobre 1927 849 . Le prêtre n’apparaît donc pas dans son récit étroitement lié à la fondation du mouvement et, quand il évoque les relations nées à Bierville, il se contente de mettre en scène côté français « des jeunes hommes appartenant au Sillon catholique de Paris » 850 . Le témoignage d’un jeune congressiste de Bierville utilisé par Antoine Deléry pour relater les circonstances de la rencontre avec Franz Stock précise encore cette version des faits, en redonnant son importance au réseau de la Jeune République 851 . L’article de Régis Ladous procède en fait d’une erreur de méthode. En dégageant une figure héroïque qui cristallise la possibilité de la rencontre et le passage à l’action, il oublie les autres possibles de l’histoire, autrement dit les autres protagonistes français de ce rapprochement franco-allemand, et ne prend pas le temps de cerner les différents réseaux dans lesquels ils circulaient et qui multipliaient les opportunités de rencontres. Renversons la perspective : Laurent Remillieux, lié aux anciens sillonnistes lyonnais, ne faisait qu’appartenir à l’un de ces réseaux et profiter de cette appartenance pour s’insérer dans le milieu du catholicisme allemand pacifiste. D’après les documents disponibles, il apparaît vraisemblable que les relations que le curé de Notre-Dame Saint-Alban noua avec Franz Stock furent postérieures à Bierville et qu’elles commencèrent avec leur participation commune aux pèlerinages des CSF. Une carte de Franz Stock lui annonça son ordination prévue pour le 12 mars 1932. Dans la réponse qu’il lui fit, Laurent Remillieux se désolait de ne pouvoir assister à sa première messe car il devait partir le même jour pour Berlin. Le jeune Allemand lui proposa alors de s’arrêter à Paderborn sur le chemin de la capitale 852 .

La passion de l’abbé Remillieux pour l’Allemagne et son aptitude à saisir les opportunités offertes par les rencontres des premiers congrès démocratiques internationaux au cours de ces années 1920 orientèrent les engagements de la décennie suivante. C’est le même fil qu’il faut suivre pour comprendre comment Laurent Remillieux se retrouva participant des rencontres qui rassemblèrent, à partir du printemps 1929, plusieurs théologiens de langue française et allemande à Fribourg, autour de l’abbé François Charrière, futur évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg 853 . Les colloques de Montbarry, placés sous la responsabilité directe de Mgr Besson, accueillaient des personnalités du monde catholique français, les jésuites Gustave Desbuquois et Albert Valensin, le dominicain Joseph Delos, professeur à l’Université catholique de Lille, Mgr Bruno de Solages, recteur de l’Institut catholique de Toulouse, ou encore le père Merklen, directeur de La Croix. Parmi les Allemands invités, on reconnaît le nom de Franziskus Stratmann. Mais se rendent aussi à Montbarry le père Noppel, jésuite, supérieur du Germanicum et animateur du Bund Neudeutschland, et le professeur Hans Wirtz, fondateur avec Franz Stock en 1930 des Pionnieren des Heiliges Franziskus, branche allemande du mouvement des Compagnons de Saint-François. Dans un témoignage envoyé à Joseph Folliet au début des années 1950, Mgr Charrière assure que Laurent Remillieux joua dans ces consultations un rôle indispensable, il en fait même « le ferment des rencontres » et souligne ses talents de rassembleur, sa détermination à maintenir l’existence du groupe, les services rendus en tant que traducteur 854 .

Les sources disparates et incomplètes qui permettent de traiter la question des relations de Laurent Remillieux avec le catholicisme allemand de l’entre-deux-guerres laissent bien des zones d’ombre. Il est le plus souvent impossible de dater les premières rencontres et d’en retracer les circonstances précises. Comment savoir exactement qui a introduit Laurent Remillieux dans le milieu des théologiens de Fribourg fort éloigné de ses horizons intellectuels habituels ? Sa connaissance de la langue allemande et son insertion dans la nébuleuse du rapprochement franco-allemand sont les seules données clairement identifiables. A partir de 1930 cependant, on peut supposer que l’aumônerie des Compagnes de Saint-François lui procura un statut et lui donna l’occasion de mieux pénétrer les mouvements de la jeunesse catholique allemande. Les contacts s’étoffèrent et s’approfondirent, et ce fut vraisemblablement au cours des années 1930, comme le laisse entendre sa correspondance, qu’il acquit ce rôle d’agent de liaison des catholicismes français et allemand. On retrouve par exemple le nom de Hans Wirtz dans les lettres que Laurent Remillieux adressa à Sylvie Mingeolet et à Henriette Duhourcau, elle aussi Compagne de Saint-François, au cours des années 1934 et 1935, au moment où le fondateur des Pionniers de Saint-François cherchait à s’installer à Vitznau en Suisse, hors de l’Allemagne nazie. On peut y suivre les péripéties de cette installation et les efforts déployés par l’abbé Remillieux auprès des autorités suisses, pour obtenir les autorisations officielles, et auprès de ses relations, pour rassembler des fonds et soutenir financièrement l’initiative de Hans Wirtz. La maison de Vitznau lui apparaissait comme la première étape enfin concrète de la réalisation de son idéal de réconciliation et d’unité indissociable de sa vision d’une Europe chrétienne.

‘« Vous savez aussi bien que moi ce que peut faire cette maison sainte, du moins qui veut être sainte. Pour ceux qui sont capables de savoir pleinement, il s’agit beaucoup moins d’organiser là-bas un centre de rencontres en masse et passagères que de créer un centre spirituel de vie franciscaine où des âmes d’abord catholiques viendront se plonger. Quand quelques-unes auront compris, elles seront des « pierres de base », base lorsqu’on construira l’édifice, Refugium peccatorum. Là-bas pas d’amitiés banales sans utilité pour la grande œuvre ; ce sera un centre de travail où, par le fond, le grand problème occidental sera traité.
[Laurent Remillieux fait ensuite référence à l’ouvrage de Jules Romains sur « Le couple France-Allemagne », publié chez Flammarion au début de 1935]
Quand entre chrétiens de France et d’Allemagne nous aurons formé une équipe de pécheurs, Refugium Peccatorum, et non pas de réformateurs hautains, nous pourrons établir les grands services dont les schémas sont déjà dans nos esprits, agence de presse, maison de retraite, formation au laïcat, etc…
Bref, c’est une maison religieuse qui est digne d’appartenir aux idéalistes chrétiens, à ceux qui ont la foi, une foi profonde et vraie, soit en Allemagne, soit en France. Il faut que les principaux camarades de l’A.C.J.F., que les vieux lutteurs à l’esprit catholique comprennent et apportent, non seulement leur obole, ce qui est important, mais aussi leur aide spirituelle. » 855

La Maison de Vitznau fut bénie en septembre 1935 par le curé du lieu. De nouveau, comme avant la Grande guerre, la vision du monde de Laurent Remillieux, comme celle de sa propre vie, s’accrochait à la nécessité de vivre avec l’Allemagne un destin commun. Mais cette fois, elle se trouvait légitimée par le pacifisme dont se réclamaient non seulement les milieux catholiques qu’il côtoyait mais qui irriguait aussi la société française dans sa majorité.

Ce furent toujours ces relations nouées au sein du catholicisme international qui l’amenèrent à participer au nouveau développement du débat européen sur le laïcat dans ces mêmes années 1930. Sa présence dans les différentes rencontres, qui furent autant de préliminaires à la formation des instituts séculiers, était en fait due à son appartenance à plusieurs réseaux, français et allemands, parfois imbriqués 856 . Après avoir exposé la conception du laïcat de l’abbé Remillieux, Joseph Folliet propose dans sa biographie une liste de ces participations qu’il est nécessaire de croiser avec ce que révèlent par ailleurs des sources primaires.

‘« Cette conception du laïcat, le Père Remillieux l’avait élaborée, perfectionnée et précisée par ses expériences, mais aussi par de nombreuses conversations individuelles et de fréquentes rencontres auxquelles il prit une part active et où je fus souvent son compagnon. Il connut, par exemple, la Mère Ledochowska, sœur du général des Jésuites, fondatrice et supérieure d’un nouvel ordre religieux, mais très soucieuse des problèmes laïques […]. Il était présent à la rencontre de Salzbourg, en 1931, sur le laïcat féminin ; à celle de Saint-Gall, en 1934, avec Mgr Scheiwiller, évêque de Saint-Gall ; Mgr Spindt, évêque de Rothenburg ; le chanoine Charrière, plus tard évêque de Fribourg ; le docteur H.C.E. Zacharias, notre vieil ami, et le docteur Metzger. Il assistait, vers les années 1930, aux entretiens de Chatou, chez l’abbé Viollet, avec Marius Gonin, le R.P. Desbuquois, Mlle Madeleine Delbrel, Mlle Taphanel, Mlle Lacroix, de l’Union Saint-Pierre-et-Saint-Paul. En 1937, c’était à Milan, avec le R.P. Gemelli, recteur de l’Université du Sacré-Cœur, et le docteur Metzger. La mobilisation dispersa une seconde rencontre milanaise, qui avait commencé en septembre 1939. » 857

En 1937, le Cardinal Gerlier commanda à Laurent Remillieux un rapport sur le groupe de laïcat qui possédait son centre dans la paroisse qu’il administrait 858 . La lettre que rédigea le curé de Notre-Dame Saint-Alban et qui accompagna ledit rapport apporte de nombreux renseignements sur l’insertion du groupement au sein des réseaux européens du laïcat. Elle confirme la présence de certaines des Associées, accompagnées de Laurent Remillieux, au rassemblement de Salzbourg en 1931. Les Lyonnais avaient été invités par « Mademoiselle Taphanel de Cambrai ». Une quarantaine de personnes, des laïques, des prêtres, des religieux (dominicains, jésuites, bénédictins) y représentèrent pendant huit jours treize groupes, « de tous les continents », puisqu’y figuraient des Américains. Le rapport confidentiel annexé à la lettre écrite au Cardinal Gerlier précise qu’assista à cette réunion le Docteur Metzger, du diocèse de Würzburg, directeur général de la Société du Christ-Roi de la Croix-Blanche. Les commentaires de Laurent Remillieux distinguent au sein de la réunion deux groupes, dont un ne désirait qu’adapter les ordres religieux aux nouveaux besoins de l’apostolat. Cette tendance s’incarnait dans la personnalité de « Mère Ledochoska » (sic). Cette dernière fit avorter le projet d’une nouvelle réunion en la faisant interdire par le pape par l’intermédiaire de la Congrégation des Religieux. Laurent Remillieux obtint alors, sur la médiation de Mgr Vanneufville, trois audiences auprès du Cardinal Serafini, Préfet de la Congrégation du Concile, puis une auprès de Pie XI. En dehors du document conservé dans les Papiers Gerlier aux Archives de l’Archevêché de Lyon, les traces de ces audiences ont été retrouvées dans au moins deux autres documents : un compte-rendu rédigé par Laurent Remillieux lui-même à l’issue de l’audience accordée par le pape le 15 novembre 1935 859 et une lettre écrite toujours par Laurent Remillieux au R.P. Gemelli, recteur de l’Université du Sacré-Cœur, datée du 29 juillet 1938 860 . Laurent Remillieux posa deux questions au Cardinal Serafini. A la première, « Est-ce que la position de laïcat prise par le groupe de Lyon est légitime ? », ce dernier répondit par l’affirmative. La deuxième concernait la possibilité de réunir des groupes de laïcat pour « prendre des contacts sur le plan spirituel et échanger des vues sur l’Action Catholique » 861 . Le Cardinal Serafini donna son accord en posant une condition : les laïques devaient être reçus par un évêque dans son diocèse et travailler sous sa responsabilité. Laurent Remillieux ajoute qu’il émit l’idée de contacts plus fructueux s’ils mettaient en présence des chrétiens de langues et de nationalités différentes. Il proposa aussi la Suisse et particulièrement le diocèse de Saint-Gall comme terre d’accueil. Pie XI aurait entretenu Laurent Remillieux de la question du laïcat dans les mêmes termes.

L’abbé Remillieux collaborait donc à la réflexion sur le laïcat d’abord au nom du groupe de laïques consacrées que sa paroisse abritait. Il allait aux réunions en tant que « prêtre normalement chargé du groupe, puisqu’[il était] leur curé » 862 . Avant d’aborder son sujet principal, la réunion générale de Saint-Gall prévue pour le mois de mai 1938, le rapport rédigé pour le Cardinal Gerlier évoque ensuite les réunions organisées exclusivement pour les catholiques français. Les premières rencontres avaient eu lieu « quatre ou cinq ans » auparavant. Les groupes se retrouvaient dans la propriété de l’Union-Saint-Pierre-Saint-Paul, à Chatou, sous le patronage de l’abbé Viollet 863 . Les clercs s’effacèrent bientôt et Marius Gonin, membre du groupe « Jésus-Ouvrier », assura la présidence des deux sessions annuelles. Le père Desbuquois prit part aux premières réunions comme aumônier et animateur des Assistantes Familiales de Rouen. Mais lui et son groupe se retirèrent, sur le motif que l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France était saisie des questions concernant les groupes de laïcat. La vie de L’Association et son orientation vers le travail social avaient entraîné le groupe dans la mouvance de L’Action Populaire et du père Desbuquois. Tous les deux ans, la retraite annuelle était prêchée par le jésuite 864 . On a évoqué précédemment le rôle qu’avait pu jouer en 1928 Edouard Duperray dans ce rapprochement. Mais à partir du printemps 1929, le curé de Notre-Dame Saint-Alban fut placé directement en présence du jésuite dans les colloques de Montbarry. Il ne semble pas avoir pour autant développé avec lui des relations personnelles. Alors que semblait se préparer la nouvelle réunion internationale qui ne fut finalement pas autorisée, en janvier 1935, Laurent Remillieux contacta Gustave Desbuquois pour lui faire part de quelques suggestions 865 . Jeanne Le Gros venait de l’avertir de son départ pour Paris, où elle avait été demandée par le jésuite « au sujet des réunions projetées du Laïcat ». Son curé souhaitait l’organisation d’une rencontre préalable entre groupes de laïques francophones qui se tiendrait à Paris, le lundi 4 mars, lundi précédant le Mercredi des Cendres. Les participants seraient chargés de dresser un programme détaillé des questions qui pourraient être traitées dans une réunion ultérieure, beaucoup plus large cette fois, c’est-à-dire dépassant le cadre de la francophonie. Laurent Remillieux conseillait de faire appel, en dehors des laïques de L’Association et des Auxiliaires Familiales, à Joseph Folliet, « laïque authentique » qui s’était révélé à Saint-Gall l’année précédente et qui était « l’élève » du jésuite. Il s’agissait ensuite de faire appel à des personnages connus des catholicismes allemand, anglais, italien, espagnol, pour élargir le débat au niveau européen. Laurent Remillieux proposait de s’occuper personnellement des « amis d’Allemagne ». Cette seconde réunion s’apparenterait à de « véritables assises du Laïcat naissant » et pourrait se tenir en Suisse, dans le diocèse de Mgr Scheiwiller. L’abbé Remillieux revenait ici sur ses conversations avec le Cardinal Serafini. Mais son idée était en fait d’utiliser au mois de septembre de l’année en cours la nouvelle maison de Vitznau, toute désignée par le projet de la destiner à accueillir un centre de formation du laïcat.

La dernière partie du rapport au Cardinal Gerlier concerne donc la réunion de Saint-Gall prévue pour le mois de mai 1938 866 . Laurent Remillieux annonce d’emblée que le Docteur Metzger fut celui qui rendit possible, pratiquement, une telle rencontre, par sa collaboration avec le R.P. Gemelli, Recteur de l’Université Catholique de Milan. Le curé de Notre-Dame Saint-Alban avait maintenu ses contacts avec le Docteur Metzger depuis la réunion de Salzbourg. Dans une lettre écrite en février 1934 à Gabrielle Joly, Compagne parisienne, il mentionnait un courrier envoyé à ce dernier au sujet du laïcat et dont il attendait une réponse 867 . Les travaux préparatoires à la réunion générales de Saint-Gall se déroulèrent à Milan et Laurent Remillieux y fut invité par le R.P. Gemelli. Le problème qui se posait à lui en ce mois de novembre 1937, alors que la petite conférence de Milan venait d’avoir eu lieu et que les quatre participants, le P. Agostino Gemelli, o.f.m., le Dr Max Josef Metzger, Mgr Ladislas Kornilowicz de Varsovie et l’abbé Remillieux avaient obtenu l’approbation de Pie XI, découlait du refus du père Desbuquois à donner son assentiment au projet. Le jésuite de L’Action Populaire regrettait même que l’abbé Remillieux se fût impliqué dans les préparatifs de Milan car le R.P. Gemelli ne lui apparaissait pas comme « le personnage qualifié pour grouper des chrétiens laïques de toutes nationalités ». Laurent Remillieux s’en remettait à son archevêque pour savoir s’il devait convoquer les groupes français, tout en lui faisant savoir qu’il désapprouvait l’attitude, pour lui incompréhensible, du père Desbuquois. Les Français figurèrent finalement parmi les participants de la rencontre de Saint-Gall et le Dr Metzger rendit compte des exposés de l’abbé Remillieux, du père Perrin et de l’abbé Carnus.

Les liens qu’avait noués Laurent Remillieux avec les catholiques de langue allemande apparaissent bien comme un des fils directeurs de son insertion dans les réseaux européens du catholicisme. Il avait d’abord su profiter de la filière des anciens sillonnistes pour s’introduire dans les milieux pacifistes, puis son statut d’aumônier des Compagnes de Saint-François l’amena à fréquenter les mouvements de la jeunesse catholique allemande. Le rôle qu’il joua dans l’histoire du laïcat consacré procéda aussi de son action dans le rapprochement franco-allemand. En France, son engagement dans les CSF lui avait permis d’élargir son champ d’action en faveur de ce rapprochement à travers les pèlerinages qui associaient des catholiques allemands et il lui offrait une nouvelle audience parmi de jeunes catholiques français. De nombreuses lettres envoyées à Sylvie Mingeolet évoquent les relations entretenues par l’intermédiaire des CSF avec de jeunes Allemands et tentent de résoudre les problèmes relationnels dus aux réticences de certaines compagnes ne parvenant pas à se débarrasser de leurs préjugés anti-allemands. Chaque réunion lui fournissait l’occasion de revenir sur son sujet de prédilection. Une lettre envoyée à Henri Bouchet pour organiser la séance du Cercle Saint-François du 8 novembre 1935 annonce que l’aumônier des compagnes dirigerait le cercle et commenterait « certains faits franco-allemands » 868 .

Pour les enfants de la paroisse, Laurent Remillieux avait organisé des échanges avec des correspondants allemands. Marie Annequin et Germaine Pépin notamment en bénéficièrent. Des vicaires allemands partageaient désormais le quotidien des paroissiens de Notre-Dame Saint-Alban. On retrouve la signature des abbés Pavlar, Stellmach et Gutsfeld dans les registres paroissiaux des années 1935 à 1939. Marie-Thérèse Isnard confie à Joseph Folliet qu’avant de prendre leurs fonctions dans la paroisse les prêtres allemands étaient hébergés aux Houches, dans le centre de formation pour les jeunes filles désirant travailler dans l’aide aux mères et qui servait aussi de colonie familiale. Le séjour leur permettait de perfectionner leur français 869 . C’est dans le compte-rendu de l’audience que lui accorda Pie XI le 15 novembre 1935 que Laurent Remillieux aborde le plus précisément la question de la venue en France de ces prêtres allemands 870 . Selon ce texte, le curé de Notre-Dame Saint-Alban aurait eu connaissance de la possibilité de faire venir des prêtres allemands dans des diocèses français déficitaires par la lecture d’articles parus quelques années auparavant dans le Rhein-Mainische Volkszeitung 871 et qui présentaient cette action comme un moyen de « promouvoir l’esprit de paix » entre les chrétiens de France et d’Allemagne. En 1934, devant le refus de son archevêque de lui accorder un deuxième vicaire, Laurent Remillieux choisit de s’adresser au Cardinal Bertram de Breslau, qui satisfit immédiatement sa requête. L’année suivante, Notre-Dame Saint-Alban accueillait son premier vicaire allemand, l’abbé Pavlar. Le 17 novembre 1937, Laurent Remillieux écrivait à Mgr Gerlier, son nouvel archevêque pour demander l’inscription de l’abbé Stellmach sur l’ordo du diocèse comme vicaire et comme confesseur en langue allemande 872 . Cette inscription n’aurait aucune incidence sur son ministère paroissial mais elle semblait indispensable à sa reconnaissance officielle. Sans elle, il restait aux yeux du clergé « et surtout dans l’archiprêtré » « un prêtre auxiliaire sans “Pouvoirs” ». Laurent Remillieux désirait l’introduire dans les réunions de prêtres où « sa présence fraternelle et discrète […] favoriserait l’esprit d’Eglise ». Il précisait à son archevêque que la Mission Allemande de Paris avait délégué l’abbé Stellmach pour la région lyonnaise et qu’une fois par mois, il célébrait à Saint-Pierre pour les catholiques de langue allemande, après avoir entendu leurs confessions. Il avait aussi la charge de la publication d’un bulletin. Au cours de ses explications, tel un ultime argument, Laurent Remillieux nommait Franz Stock, prêtre titulaire chargé de la Mission Allemande de Paris, et évoquait ses liens avec les Compagnons de Saint-François et son amitié avec Joseph Folliet, avant d’en revenir à sa demande initiale. « Pas plus au titre de la Mission Allemande qu’au titre de Vicaire ou qu’au titre de Confesseur en langue allemande », son vicaire n’était mentionné dans l’Ordo, alors que « les chargés de missions étrangères (italienne et polonaise) » étaient « inscrits comme Vicaires à la paroisse Saint-Nizier.

Avant l’arrivée de ces vicaires, le presbytère accueillait déjà des jeunes filles allemandes qui réalisaient pour la paroisse un travail de secrétariat et que l’abbé Remillieux tenta, parfois avec succès, d’insérer dans le réseau des Compagnes de Saint-François. Joseph Folliet assure que le curé de Notre-Dame Saint-Alban, « passionné par le problème du laïcat et de l’aide paroissiale, était entré, en Allemagne, en relations avec un “séminaire”, où des jeunes filles se préparaient aux tâches de catéchistes et d’auxiliaires paroissiales » et qu’il obtint « par le truchement de cette institution » que ces « jeunes filles vinssent faire un stage » dans sa paroisse 873 . Il en dénombre une dizaine. Le parcours de Cläre Barwitzky ne correspond qu’imparfaitement à ce scénario. On dispose sur elle de deux documents retraçant en partie son histoire à deux moments différents de sa vie en France. Le premier est le Livre d’or de Vaujany, qui évoque la période où elle prit en charge en tant qu’auxiliaire paroissiale cette paroisse iséroise de montagne ; le deuxième est un fascicule racontant les Mémoires de Chamonix, écrites quarante ans après les événements, en 1986, et qui revient pour sa part sur les années de guerre et l’implication de la jeune Allemande dans les activités de la Résistance française 874 . Cläre Barwitzky était née en Haute Silésie, dans une ville maintenant polonaise, en 1913. Elle obtint son baccalauréat en 1932 mais ne put réaliser son désir de devenir institutrice. On lui offrit alors de passer une année en France, « au pair », chez un curé de Lyon qui l’emploierait comme secrétaire. La proposition émanait à la fois du Prof. Hermann Hoffmann de Breslau et de Paulus Lenz, secrétaire général de la Confédération des Catholiques Allemands pour la Paix, qui entretenaient tous les deux des relations avec l’abbé Remillieux. Cläre Barwitzky accepta l’offre car elle aimait la langue française et pensait trouver dans ce séjour le perfectionnement linguistique dont elle avait besoin. De juin 1932 à décembre 1933, son travail à la cure toucha essentiellement aux relations franco-allemandes : courriers, traductions, contacts, voyages ; la secrétaire allemande accompagnait les activités extra-paroissiales de Laurent Remillieux. Elle se trouva ainsi mêlée au réseau des CSF, mais aussi à celui de la Chronique Sociale, et fut le témoin des débuts de l’œcuménisme spirituel. Elle découvrit un jour dans le bureau le prospectus d’un séminaire d’Aides Paroissiales à Freiburg/Br et ce fut cette découverte qui l’amena à s’intéresser à la profession. A son retour dans sa ville natale de Neiße en décembre 1933, elle prit la peine de passer par Freiburg. La visite du séminaire décida de sa vocation. Pendant l’année qui suivit, elle tenta avec les dirigeants des différentes organisations de la jeunesse catholique d’organiser une résistance que la terreur nazie rendit vaine. De 1935 à 1937, elle suivit le séminaire de Freiburg et reçut quelques visites de l’abbé Remillieux. A la fin de ses études, ce dernier lui demandait de prendre en charge la paroisse de l’Oisans qui ne possédait plus de prêtre résident depuis six ans et d’y exercer son ministère d’Aide Paroissiale. Le vicaire général de l’évêque de Grenoble, Mgr Caillot, et le Cardinal Gerlier donnèrent un accord sous condition : Laurent Remillieux et Cläre Barwitzky devaient trouver par eux-mêmes les moyens de financer leur entreprise. La jeune Allemande s’adressa d’abord aux membres du réseau des Compagnes pour fonder une « société des Amis de Vaujany », tandis que l’abbé Remillieux intéressait à l’affaire un groupe d’ingénieurs catholiques. Une jociste de Besançon, Marie-Louise Cardot, rejoignit bientôt Cläre Barwitzky pour la seconder dans ses tâches pastorales. Le livre d’or de Vaujany rend compte de ce réseau d’amitié et des concours obtenus. Les acteurs paroissiaux de Notre-Dame Saint-Alban, curé, vicaires nouveaux et anciens, membres des organisations de jeunesse et des autres œuvres, s’y retrouvent au même titre que certaines femmes de L’Association, que des Compagnes et des Compagnons de Saint-François et de leurs aumôniers, que des membres du clergé lyonnais ou de la Chronique Sociale.

Au cours des années 1930, le « pacte » passé entre les CSF et Notre-Dame Saint-Alban était bien devenu une des réalités de la vie paroissiale et de la vie religieuse du mouvement. Ainsi quand, du 20 au 29 octobre 1933, l’abbé Viollet de l’Association du Mariage Chrétien assura la prédication pendant les messes et dirigea une série de conférences et de débats, animant les différents groupes paroissiaux, les membres du Cercle Saint-François d’Assise, fondé sur l’initiative de Joseph Folliet et qui regroupait régulièrement depuis 1930 des militants de la Jeune République, du Parti démocrate populaire et du syndicalisme chrétien, furent aussi invités par leur aumônier à partager cet événement 875 . Laurent Remillieux multipliait les invitations.

‘« Dans l’espérance de vous voir un de ces soirs, très spécialement lundi et mardi au milieu d’une famille plus vaste qui est la famille spirituelle de Notre-Dame Saint-Alban » 876

Après celles de l’été 1930, d’autres fiançailles de Compagnons et de Compagnes furent célébrées à Notre-Dame Saint-Alban : Joseph Folliet en évoque quelques-unes dans sa biographie 877 alors que les doubles des registres paroissiaux conservent la trace de quelques autres pour les années d’après-guerre. Le 27 juin 1937, ce fut aussi dans la paroisse de l’abbé Remillieux que le mouvement fêta ses dix ans d’existence. Lors de la tenue des chapitres, le groupe prit l’habitude d’assister à la messe commune dans la vieille chapelle de Saint-Alban.

‘« De fait, le mouvement compagnon entre dans la famille « spirituelle » dont l’abbé Remillieux est le père. Les Compagnons de tous pays, bien entendu, mais particulièrement les Compagnons lyonnais, dont Notre-Dame Saint-Alban devient la seconde paroisse, la paroisse élue. Ils y font leurs réunions ; ils y tiennent leurs chapitres ; ils y donnent des feux de joie et participent aux fêtes communes. Ils viennent y célébrer leurs fiançailles […]. » 878

En toute logique, le départ de la première bande familiale de Lyon eut lieu en 1940 à Notre-Dame Saint-Alban. La célébration du mariage de Marcel Marchand et d’Alice Quenat, le 29 juillet 1945, manifesta un exemple de l’osmose existant désormais entre les CSF et la communauté paroissiale. Un faire-part du mariage a été retrouvé dans la correspondance entretenue par Joseph Folliet avec les Compagnons : il invite les CSF à participer à la messe de communauté qui se déroulerait à Notre-Dame Saint-Alban et au cours de laquelle Marcel et Alice se donneraient le sacrement du mariage 879 .

La correspondance de Sylvie Mingeolet confirme la vision donnée par Joseph Folliet. Ainsi, une lettre datée de 21 novembre 1943 et envoyée de la paroisse par la responsable de l’organisation de la vente de charité lui demandait d’ « alerter Compagnes et Compagnons pour la vente de Saint-Alban et tous ses amis » qu’elle pourrait « atteindre et décider » 880 . Dans les courriers échangés entre Laurent Remillieux et la responsable lyonnaise des Compagnes, Notre-Dame Saint-Alban demeure la paroisse privilégiée par les CSF, qui utilisaient les locaux pour leurs réunions, la salle des Guides du 69, rue Laënnec, en particulier, ou venaient se recueillir dans la vieille chapelle. L’usage de cette dernière et non de l’église paroissiale montre que le groupe avait investi un lieu spécifique, qui n’était pas celui, institutionnel, de la communauté paroissiale. Les deux groupes possédaient une certaine perméabilité et des passerelles avaient été édifiées entre les deux, mais ils demeuraient distincts. Les CSF étaient venus vivifier l’élite paroissiale que cherchait à créer le curé de Notre-Dame Saint-Alban et qu’il différenciait de l’ensemble des paroissiens. Ils participaient de la définition de l’identité de cette élite. Les messes partagées comme les rites de passage célébrés au sein de leur communauté, fiançailles, mariages, promesses, dans un lieu symbolique de leur différence, où ils pouvaient retrouver les expériences liturgiques vécues sur la route des pèlerinages, et qu’ils s’étaient appropriés, réactivaient l’existence du groupe, lui assuraient sa cohésion et sa pérennité. Notre-Dame Saint-Alban était devenue le lieu qui donnait à la pratique religieuse de ce milieu catholique une communauté visible. Se reconnaître dans l’expérience pastorale de la paroisse ou y participer c’était signifier aussi son appartenance à ce milieu.

La communauté paroissiale était en fait devenue un vivier pour les CSF. Le mouvement recrutait sous l’impulsion du curé parmi les fidèles les plus actifs dans les œuvres de jeunesse de la paroisse. Les doubles des registres paroissiaux et la correspondance de Sylvie Mingeolet conservée dans le Fonds de la Chronique sociale 881 livrent les noms de quelques jeunes gens résidant sur le territoire paroissial, déjà engagés dans les troupes de Guides et de Scouts, et ceux de jeunes filles anciennes élèves infirmières ou assistantes sociales de l’Ecole Rockefeller, dont beaucoup avaient résidé un temps dans le foyer des Religieuses d’Ernemont, installé avenue Rockefeller. C’est encore le signe que la paroisse évoluait au rythme des mutations sociales de son territoire et que ses nouvelles réalités devaient bien plus à l’apport des classes moyennes qu’au projet initial de réévangélisation de la ville ouvrière. Les Guides portaient cependant les plus grandes espérances de l’aumônier des Compagnes qui relatait à Sylvie Mingeolet chacune de ses visites à leur camp d’été et lui rapportait les vocations qui s’y dessinaient. Au mois de juillet 1936, la troupe de Guides s’était installée en Chartreuse.

‘« Le camp est établi sous les couleurs du Saint Père et sous un fanion bleu portant en exergue un magnifique “ PAX ”. C’est un symbole et un programme.
J’ai constaté avec joie que plusieurs Guides parmi les meilleures aspiraient à être Compagnes un jour. Parce que préparées, je crois qu’elles feront d’excellentes “ Pèlerines ”, bien simples et bien franciscaines. » 882

L’année précédente déjà, l’abbé Remillieux se félicitait de sa « nouvelle petite compagnie » et particulièrement de l’attitude de ses deux cheftaines, Marie Annequin et Germaine Pépin. Cette dernière apparaît à plusieurs reprises dans la correspondance que Sylvie Mingeolet entretint avec les Compagnes pendant la Deuxième Guerre mondiale. La première se maria le 29 mai 1938 avec Jean Duvernay. Un récit du baptême d’un de leurs enfants, Marie-Elisabeth, célébré le 8 décembre 1946, a été conservé dans le double du registre paroissial de cette année. Parmi les assistants, se trouvaient l’aumônier des foyers, l’abbé Chartier, et quelques foyers Compagnons qui devaient se réunir le même jour à la « maison de Laïcat », au 35 de la rue Volney.

Notes
841.

Voir p. 483-484 le développement consacré à cette hypothèse.

842.

R. Ladous, « Des chrétiens pour la paix : les Compagnons de Saint-François et l’Allemagne », op. cit., p. 141-142.

843.

Lettre d’Yvonne Girard à Bernhard Berkenfeld datée du 8 septembre 1931, A.M.L., Fonds C.S.F., 82-II-430.

844.

Lettre de Laurent Remillieux à Sylvie Mingeolet, datée du 17 juin 1932, Papiers Folliet, Carton Sylvie Mingeolet, Prado.

845.

Les informations concernant cette partie de la vie de Sylvie Mingeolet sont tirées de sa correspondance (Papiers Folliet, Carton Sylvie Mingeolet, Prado) et de l’ouvrage Sylvie Mingeolet - Souvenirs et Témoignages, rassemblés par Joseph Folliet, Lyon, Chronique Sociale de France, 1958, 239 p. Outre un portrait écrit par Joseph Folliet lui-même, on trouve, sur la période de sa jeunesse, les témoignages d’Ermelle Ducret et de Jeanne Le Gros.

846.

J. Folliet, Le Père Remillieux…, op. cit., p. 180-181.

847.

Témoignage de Lucienne Torcq non daté, Papiers Folliet, Carton Père Remillieux 1, Prado.

848.

Après avoir souligné les difficultés linguistiques qui entravèrent les premières relations de Joseph Folliet et de Franz Stock, Régis Ladous insiste sur leur amitié « créatrice, mais insuffisante pour structurer un mouvement un peu durable et aussi réaliste que possible. Il leur faut un médiateur qui leur explique les choses. Pourquoi, par exemple, Franz est-il venu à Bierville ? Il a suivi les conseils d’Hermann Platz. Mais qui est Hermann Platz ? Un professeur de l’université de Bonn, spécialiste de l’histoire religieuse de la France. Mais encore ? C’est un ami de l’abbé Laurent Remillieux. Voilà, nous y sommes ; c’est Remillieux qui va donner à Folliet la vision spirituelle, l’armature intellectuelle et les relations humaines qui vont lui permettre de se plonger sans s’y perdre dans la germanitude. », « Des chrétiens pour la paix : les Compagnons de Saint-François et l’Allemagne », op. cit., p. 140.

849.

J. Folliet, Le Père Remillieux…, op. cit., p. 180.

850.

Ibid., p. 179.

851.

Le témoignage en question est celui de Paul Maureille et il a été publié dans la brochure Sur les pas de l’abbé Stock, éditée par l’association Les Amis de l’abbé Stock à l’occasion du cinquantenaire de sa mort en 1998. Il est en partie cité par Antoine Deléry in Joseph Folliet (1903-1972). Parcours d’un militant catholique, Paris, Les Editions du Cerf, 2003, 484 p., p. 64 : « Répondant à une annonce de la « Jeune République », j’avais pris contact, en 1923, avec un jeune Allemand de mon âge, Joseph Weber. [...] En 1926, nous avions pris rendez-vous au Congrès des Jeunes pour la Paix à Bierville, sur l’invitation de Marc Sangnier. C’est à Bierville que Joseph Weber me présente son ami Franz Stock. C’est ensemble que nous avons prié, écouté les discours, chanté les chansons d’Henri Colas... Je venais d’être reçu au baccalauréat et j’avais reçu une bourse pour la Khâgne du lycée du Parc à Lyon où je ne connaissais personne. Je cherchais donc des Lyonnais à Bierville. C’est ainsi que j’ai trouvé Joseph Folliet et que Joseph Folliet a rencontré Franz Stock. ».

852.

Courriers échangés par Franz Stock et Laurent Remillieux entre le début du mois de mars et le 24 mars 1932, Papiers Remillieux-Thomasset.

853.

Frédéric Yerly, « La morale au secours du politique ? La pensée catholique et la question du désarmement. L’exemple de l’Union catholique d’études internationales, Marc Sangnier. La guerre, la paix (1914-1939), op. cit., p. 121-148, note 212 p. 122.

854.

Témoignage de François Charrière, non daté, Papiers Folliet, Carton Père Remillieux 1, Prado.

855.

Lettre de Laurent Remillieux à Henriette Duhourcau, datée du 25 février 1935, Papiers Folliet, Carton Sylvie Mingeolet, Prado.

856.

L’histoire des instituts séculiers féminins en France a été décrite par Marie-Antoinette Perret dans une thèse dirigée par Claude Langlois et publiée sous le titre Une vocation paradoxale. Les instituts séculiers féminins en France (XIXe – XXe siècles), Paris, Les Editions du Cerf, 2000, 414 p.

857.

J. Folliet, Le Père Remillieux…, op. cit., p. 232.

858.

Lettre de Laurent Remillieux à Mgr Gerlier, datée du 17 novembre 1937, A.A.L., Papiers Gerlier, 11 / II / 127, Dossier Notre-Dame Saint-Alban.

859.

Copie du compte-rendu de l’audience accordée par Pie XI conservée à l’Institut Marc Sangnier parmi les Papiers Francisque Gay.

860.

Lettre citée par Marie-Antoinette Perret in Une vocation paradoxale…, op. cit., p. 103.

861.

Rapport confidentiel annexé à la lettre écrite par Laurent Remillieux au Cardinal Gerlier, op. cit.

862.

Lettre de Laurent Remillieux à Mgr Gerlier, datée du 17 novembre 1937, op. cit.

863.

M.-A. Perret évoque ces réunions de Chatou comme une contribution française à la naissance des instituts séculiers. Cf. Une vocation paradoxale…, op. cit., p. 185-189.

864.

Ibid.

865.

Copie d’une lettre de Laurent Remillieux à Gustave Desbuquois, rédigée à Lyon le 8 janvier 1935. Le double de la lettre a été envoyée à Sylvie Mingeolet, alors que le père Desbuquois avait déjà répondu à l’aumônier des Compagnes « un mot charmant manifestant entre nous une parfaite unité de vue », lettre de Laurent Remillieux à Sylvie Mingeolet datée du 12 janvier 1935, Papiers Folliet, Carton Sylvie Mingeolet, Prado.

866.

Cf. M.-A. Perret, Une vocation paradoxale…, op. cit., p. 193-197.

867.

Lettre de Laurent Remillieux à Gabrielle Joly datée du 21 février 1934, Papiers Folliet, Carton Sylvie Mingeolet, Prado.

868.

Double d’une lettre de Laurent Remillieux à Henri Bouchet datée du 29 octobre 1934, envoyé à Sylvie Mingeolet, Papiers Folliet, Carton Sylvie Mingeolet, Prado.

869.

Témoignage de Marie-Thérèse Isnard non daté, Papiers Folliet, Carton Père Remillieux 1, Prado.

870.

Copie du compte-rendu de l’audience conservée à l’Institut Marc Sangnier parmi les Papiers Francisque Gay.

871.

Information confirmée par un texte écrit de Frankfurt par Ferdinand Böschen le 9 mars 1933, rapportant une conférence de Laurent Remillieux prononcée devant des membres de la FDK.

872.

Lettre de Laurent Remillieux à Mgr Gerlier, datée du 17 novembre 1937, op. cit.

873.

Citations extraites de J. Folliet, Le Père Remillieux…, op. cit., p. 90.

874.

Le Livre d’or de Vaujany a été ouvert le 6 juin 1937 et refermé à la fin du mois de juillet 1941. Il comporte 86 p. qui ont été photocopiés pour ceux qui avaient vécu cette expérience de mission rurale et avaient été les amis de Cläre Barwitzky. Les Mémoires de Chamonix écrites 40 ans après les événements, 30 p.,ont été rédigées par Cläre Barwitzky elle-même, en 1986, à Meiningen / Thüringen, alors qu’elle s’était retirée de toute activité dans le lieu où elle avait occupé le poste d’Aide-Paroissiale entre 1953 et 1969. Ces deux documents m’ont été prêtés par Germaine Pépin.

875.

Voir J. Folliet, Le Père Remillieux…, op. cit., p. 227-228.

876.

Lettre de Laurent Remillieux au Cercle Saint-François d’Assise, datée du 18 octobre 1933, Papiers Remillieux.

877.

Ibid., p. 190.

878.

Ibid., p. 192.

879.

Correspondance entre Joseph Folliet et les Compagnons de Saint-François, 1945, Fonds CSF 82-II-226, A.M.L..

880.

Correspondance de Sylvie Mingeolet avec les CSF, 1942-1943, Fonds CSF 82-II-225, A.M.L..

881.

Correspondance de Sylvie Mingeolet avec les CSF, 1942-1943, Fonds CSF 82-II-225, A.M.L..

882.

Lettre de Laurent Remillieux envoyée de La Ruchère-en-Chartreuse à Sylvie Mingeolet et datée du 22 juillet 1936, Papiers Folliet, Carton Sylvie Mingeolet, Prado.