2.3. Rôle de la formation initiale dans l’appréhension et la compréhension par les étudiants et stagiaires des caractéristiques du temps de travail enseignant dans l’enseignement secondaire.

Après l’obtention des diplômes universitaires proprement dits, la préparation des épreuves théoriques du concours exige un renforcement de l’investissement personnel, grâce auquel le candidat tentera de pallier les lacunes majeures qui pourraient obérer sa réussite à l’écrit puis à l’oral. Ce qui rend cet effort continu et soutenu supportable est, bien évidemment, la motivation qui l’anime ; cette motivation, nous le pensons, peut se structurer en général à partir de deux ensembles. D’une part, ce qui, chez lui, est lié à un désir d’accession à une fonction, à une situation dans la sphère sociale. D’autre part, ce qui fonde, dans une vision empathique, la volonté ou le désir de jouer un rôle, par le service rendu, à la communauté et / ou aux individus qui la composent. Les deux pôles ne sont pas exclusifs l’un de l’autre et peuvent se décliner sous de multiples formes.

Sans négliger cela, nous devrons rester attentif à un autre volet de la question : la motivation ne peut-elle naître, également, de la confrontation avec l’objet dont on a entrepris l’étude, s’en nourrir et prendre ainsi une forme identitaire ? A ce titre, il nous paraît utile de rappeler que cette notion d’« identité disciplinaire » prend un relief particulier dans le système scolaire français, qui privilégie la mono-valence disciplinaire des professeurs 52 . Il nous semble donc nécessaire, lorsqu’il est question d’étudier des phénomènes relatifs aux pratiques enseignantes de ne pas occulter cette donnée. A catégorie, indice, niveau d’enseignement et temps de travail équivalents, nous faisons l’hypothèse que les pratiques de travail personnel sont différentes selon les disciplines, pas seulement, comme on pourrait s’y attendre, à cause de démarches didactiques spécifiques ou de préconisations particulières, mais, plus fondamentalement, parce que les cultures des différentes disciplines, liées à leurs épistémologies respectives ont, depuis longtemps, forgé des attitudes et des méthodes de travail. Nous rappelons à ce propos l’importance qu’il convient d’accorder au cadre temporel, « ritualisé » selon les usages scolaires et universitaires, dans lequel cette confrontation toujours singulière peut advenir et prendre sens. Nous avons déjà insisté également sur les ambiguïtés du mode d’alternance temporelle de l’activité enseignante, telle qu’il est structuré en France, au regard des pratiques développées par les professeurs dans leur cursus initial de formation disciplinaire.

Ces deux points étant posés, nous suggérons que, dans le processus de maîtrise progressive d’une discipline, plaisir et douleur jouent successivement, alternativement un rôle moteur. Obstacles surmontés ou non, démarches pertinentes ou erratiques, maîtrise durable ou partielle sont le lot de tout apprentissage. Pour ce qui relève du cas des professeurs du Secondaire, la particularité est que, c’est notre hypothèse, la décentration par rapport à ce schéma disciplinaire initial et fondateur n’est pas facilitée à l’entrée dans le métier.

En formation de deuxième année d’I.U.F.M., cette manière de travailler individuellement la discipline, si elle est enrichie par des approches nouvelles, didactiques en particulier, est-elle fondamentalement remise en question par un ou des modèles professionnels incontestables et même, plus simplement, identifiables ? L’expérience progressive du terrain, acquise grâce aux stages en responsabilité et en pratique accompagnée, suscitera indéniablement son lot de questions et de remises en cause des conceptions du jeune enseignant, mais lui permettra-t-elle réellement de reconsidérer durablement son mode de travail individuel antérieur, pour en abandonner les routines et en dépasser les limites, au profit d’une structure d’activité proprement professionnelle ? Le travail enseignant, considéré sous ses aspects spatio-temporels, se présente-t-il au regard du stagiaire PLC2, comme un tout lisible et homogène, que la formation en alternance dont il bénéficie lui permettrait de maîtriser ?

Bien entendu, nous ne négligeons pas le fait que le tutorat, le compagnonnage avec les pairs enseignants, tel qu’il existe en deuxième année d’I.U.F.M., aménage des démarquages utiles dans ce domaine ; nous remarquons pourtant que, par delà le terme du cursus de formation, c’est bien à l’aune de sa performance individuelle, inscrite dans l’alternance temps de service - temps non contraint, que le jeune professeur sera jaugé. A partir de ce constat, nous nous demanderons, lors du recueil de données, si peuvent perdurer, dans ce travail, notamment dans la partie hors service devant élèves, des formes dominantes de rapport à la discipline issues des pratiques scolaires et universitaires. Est-on passé, dans une continuité qui respecte des équilibres indispensables, d’un rapport personnel et narcissique à la discipline à un rapport collégial et empathique ? La question dépasse largement, nous en avons pleinement conscience, les limites étroites du cadre temporel de l’activité enseignante mais, parce que ce cadre constitue une des contraintes du système considéré, nous ne devons pas en négliger l’examen.

Dans cette problématique de la continuité-discontinuité de l’agir individuel et professionnel, nous soulignons l’importance des processus psychologiques en jeu :

‘« L’action humaine est toujours celle d’un auteur aux prises avec une situation ; cet auteur se trouve par le fait même engagé dans un double processus qu’il cherche à unifier, d’une part un processus simplificateur de préparation, d’anticipation, d’orientation de ses intentions, d’autre part un processus complexe de concrétisation à travers la mise en œuvre, et la réalisation, des intentions esquissées. Ainsi ce premier paradoxe qui allie la simplification des intentions et l’affrontement de la complexité du réel est un critère de reconnaissance d’une action, qui ne saurait se réduire à un comportement mimétique, à un acte instinctif ou à un comportement adaptatif 53 . » ’

En résumé, qu’il se situe en amont ou en aval de la frontière marquée par les épreuves théoriques du concours, nous supposons que le néo-enseignant sera, in fine, dans son travail personnel - hors du cours qu’il recevait et hors du cours qu’il donne - confiné, le plus souvent 54 , dans ce rapport personnel avec l’objet qu’il tentait de maîtriser pour lui-même, avant de s’exercer à en maîtriser la transmission 55 . La formulation est, sans doute, par trop lapidaire ; la nécessité de la transmission n’annule pas, par prescription, l’exigence d’une maîtrise renouvelée ; la seconde s’avère indispensable à la première, mais celle-ci n’advient pas toujours par celle-là.

Comment, si la pratique professionnelle dominante est marquée par l’isolement, voire l’insularité du travail de chacun, peut-on favoriser la prise de conscience de ces enjeux ? Comment saisir, à partir des pratiques singulières, le sens que les auteurs-acteurs tentent de donner à leur action ? Comment en faire une contrepartie réellement professionnelle aux injonctions « managériales » des dernières décennies et au discours souvent globalisant des syndicats ? C’est bien là, nous semble-t-il, que peut se situer le point nodal qui provoque notre interrogation.

Dans les pages qui suivent, nous aborderons la question du temps de travail à travers le prisme du passage 56 en formation initiale 57 . Nous avons déjà été amené à prendre en compte plusieurs phénomènes qui, se situant en amont de la formation initiale, nous imposent, comme un développement des quelques remarques liminaires déjà énoncées à ce sujet, d’en examiner les conséquences éventuelles sur celle-ci ; il s’agira de notre ligne directrice dans les pages qui suivent.

Notre regard se portera donc sur les paramètres qui peuvent jouer un rôle dans l’organisation du travail du candidat au professorat (temps et espace) lors de ce passage par la formation initiale. Les entretiens que nous avons choisi de mener doivent ensuite permettre d’appréhender la manifestation de ces effets et d’en mesurer l’impact sur les pratiques déclarées par les personnes enquêtées.

En ce qui concerne le contexte de la formation professionnelle, nous avons affaire à une étape initiale, censée favoriser l’acquisition et la maîtrise raisonnable des pratiques les plus indispensables, éclairées par les savoirs théoriques qui autorisent à en valider la pertinence ; la question de la gestion du temps et de l’espace de travail peut logiquement être rattachée à cet ensemble de pratiques professionnelles et, par conséquent, il nous paraît nécessaire de repérer sous quelles formes cette préoccupation se traduit ou non en cours de formation, et ce que les dispositifs ainsi mis en évidence sont propres à induire pour le stagiaire.

En outre, l’organisation du cursus aménage, dans les interstices du cursus formel, des phénomènes spatio-temporels spécifiques, qui pourraient influencer, directement ou indirectement, leurs conceptions et / ou leurs pratiques en matière de gestion du temps et de l’espace de travail.

En résumé, tout en procédant à un balayage du contexte dans lequel s’inscrit notre analyse, nous aborderons successivement les deux volets de la question que nous venons de détailler, en nous appuyant sur les ressources théoriques suivantes :

Notes
52.

Les contre-exemples que constituent - ou ont constitué – quelques catégories (P.C.E.G., P.E.G.C., P.P.L.P. 2) ne suffisent pas à faire pièce au cas général. Par ailleurs, il ne nous semble pas que les activités intégrées, au cours de la dernière décennie en particulier, au service de certains professeurs - mais pas de tous -, tels que l’Aide Individualisée en classe de Seconde, les Parcours Pédagogiques Diversifiés, les Travaux Personnels Encadrés, entre autres, soient de nature à contrecarrer l’identité disciplinaire des professeurs. En revanche, nous l’admettons, l’ouverture sur « la discipline de l’autre » est amplement favorisée par ce biais, ce qui peut constituer un levier significatif pour faire évoluer les conceptions.

53.

Boutinet, J.P., L’immaturité de la vie adulte, Paris : Presses Universitaires de France, 1998, 267 p., (pp. 119-120).

54.

Une étude de la DPD à propos du « travail en commun des enseignants dans le second degré ; note d’information 02-16, MEN, ISSN 1286-9392 indique à ce propos que « le travail en commun est favorisé avant tout par l’implication personnelle des enseignants » (p. 3), ce qui montre l’importance de l’initiative personnelle des acteurs dans un conteste qui n’est pas habituellement mobilisateur. D’ailleurs, on note que « ce sont toujours les mêmes qui sont volontaires. » (p. 5).

55.

Nous n’omettons pas, nous l’avons déjà souligné, le rôle que peuvent jouer les tuteurs (PCP) au cours de la seconde année de formation ; nous ne pouvons affirmer que ce compagnonnage garantira l’acquisition d’un regard critique sur les modes traditionnels de gestion du temps et de l’espace de travail par le professeur.

56.

Ce sur quoi nous focalisons notre attention est bien la réflexion à propos du processus qui s’opère pour chaque individu durant la phase de formation initiale professionnelle et non l’analyse des effets attendus, les objectifs annoncés dans le cursus formel.

57.

La population à laquelle nous nous réfèrerons est circonscrite aux professeurs stagiaires qui ont suivi leur formation initiale professionnelle en continuité stricte avec leur cursus universitaire, après la licence ou la maîtrise dans le cas général.