2.4. La formation initiale des professeurs : un ensemble composite

Considérons tout d’abord la formation initiale dans sa globalité : bien que, au sens strict, le suivi à l’I.U.F.M. de la préparation aux épreuves théoriques des concours 58 ne soit pas obligatoire, une préparation individuelle en dehors de ce cadre implique une prise de risques indéniable quant à la réussite aux épreuves écrites et, éventuellement, orales. Pour autant, suivre assidûment ces cours ne garantit pas le succès en fin d’année. Il s’agit d’un concours et non plus d’un examen universitaire académique, et c’est au prix d’un surcroît de travail personnel dans la discipline choisie, sur un laps de temps court 59 , que le niveau optimal de performance peut être atteint 60 . Les candidats savent, d’emblée, que le nombre de lauréats sera restreint par rapport au groupe dans lequel ils sont situés, ce qui poussera les plus aptes, les plus déterminés, les plus endurants à déployer efforts et constance pour espérer faire partie des élus. On peut donc noter que l’atteinte de l’objectif d’entrée dans le corps enseignant du Second degré, au terme d’un processus sélectif, est étroitement corrélée à la mise en place d’une organisation de travail mono-disciplinaire.

On pourrait penser, dans une vision radicale et militante de la formation, qu’il s’agit d’une forme archétypale de travail universitaire savant, faisant la part belle à l’accumulation, à l’encyclopédisme, aux approches académiques et que, à ce titre, elle ne pourra ni ne devra perdurer par delà le terme des épreuves théoriques auxquelles elle a pour fonction de préparer. Ainsi, aux objectifs ultérieurs d’acquisition de compétences « professionnelles » correspondraient, par nécessité et comme logiquement, des formes de travail inédites aux yeux des impétrants, dont il leur suffirait d’adopter les règles pour faire face aux situations nouvelles qu’ils sont susceptibles de rencontrer. Nous sommes, dans cette perspective, tenté de supposer que, si le modèle dont il est question lorsque l’on se préoccupe de préparation aux concours d’enseignement peut être perçu comme peu compatible, voire antagoniste avec celui - ou ceux - qui ont présidé à l’instauration puis au développement des I.U.F.M., pour autant rien ne garantit que les modalités du travail nécessaire à la préparation aux épreuves de qualification professionnelle soient moins figées que celles auxquelles elles succèdent.

Quoi qu’il en soit de ce clivage, ce sont les situations d’enseignement elles-mêmes qui, par l’indéniable variété qui les caractérise autant que par la complexité des phénomènes qu’elles suscitent, exigent des futurs professeurs une grande souplesse, si ce n’est une mobilité spatio-temporelle dans leur mode de travail.

En entrant dans le détail, nous repérons la coexistence ou la succession de statuts qui peuvent caractériser leur situation. Dans le premier stade du cursus, c’est encore le statut d’étudiant qui perdure : les cours de préparation ont lieu, le plus souvent, à l’Université, mais l’inscription administrative qui ouvre les droits se fait à l’I.U.F.M., instance qui a, en outre, déjà procédé à l’examen des dossiers des candidats et fixé les critères d’accès et qui a la responsabilité officielle de la formation. Ainsi, dans ce premier volet de ce qui est déjà partie intégrante de la « Formation Initiale », l’étudiant, futur professeur potentiel, se trouve dans un cadre mixte : son statut et une partie de la formation le lient à une institution dédiée explicitement à la formation - professionnelle - des maîtres, mais il peut retrouver, pour une majorité des cours qu’il reçoit, à l’Université, des habitudes de travail et un environnement qui lui sont relativement familiers 61 .

Pour accéder en deuxième année, dans une formation pleinement assurée par l’I.U.F.M. et ses partenaires professionnels, il devra donc recourir à des modes de travail personnels somme toute assez classiques 62 , qui seront mis à l’épreuve dès la rentrée suivante pour répondre aux exigences de l’enseignement 63 , mais également aux impératifs des modules de formation professionnelle.

Au cours de la seconde année (PLC2), ces exigences se présentent sous plusieurs rubriques ; le futur professeur organise son travail à partir des données suivantes : des temps, des lieux, des objectifs, marqués par la diversité.

Au chapitre des différents temps auxquels il doit s’accoutumer, nous repérons les catégories suivantes :

  1. le temps de l’enseignement en responsabilité, qui inclut tous les volets de la temporalité du travail enseignant : temps personnel non contraint, consacré à la préparation, aux corrections, temps de concertation entre pairs de la même discipline, du même niveau, temps de participation aux conseils et réunions, etc. ;
  2. le temps de la régulation formative, liée à la situation décrite plus haut, et qui implique l’observation des classes du professeur conseiller pédagogique et la visite par ce dernier, accompagné ou non par un formateur-référent disciplinaire de l’I.U.F.M., aux classes du stagiaire ;
  3. le temps de l’observation et de l’entraînement complémentaire à l’enseignement qui couvre la période du stage de pratique accompagnée, dans un autre cycle, un autre établissement, parfois en temps partagé avec un stagiaire en binôme. Dans ce module, les activités d’observation, de mise en place de cours et de régulation avec le professeur conseiller pédagogique de ce second stage sont présentes comme dans le stage en responsabilité ;
  4. le temps de la formation en salle, sur le site de l’I.U.F.M. en général. Il peut être subdivisé entre deux pôles : la formation disciplinaire, essentiellement didactique, qui peut, par l’objet auquel elle est consacrée, s’inscrire en relative continuité avec la première annéePour être plus exact, nous pourrions dire que cette formation disciplinaire-didactique de deuxième année s’inscrit dans le prolongement du module de première année consacré à la préparation de l’épreuve orale sur dossier, préparée par l’I.U.F.M., et dont l’orientation est, à des degrés variables selon les disciplines, de type didactique. en termes de modalités du travail qu’elle exige et, d’autre part, la formation transversale, constituée par des apports théoriques qui empruntent aux Sciences Humaines, ce qui constitue un contenu sensiblement différent, dans ses modes d’appréhension comme par ses types de présentation ;
  5. le temps de l’élaboration du Mémoire Professionnel qui, contrairement aux catégories déjà mentionnées, est - ou devrait être - moins segmenté en unités disjointes, mais qui doit, quoi qu’il en soit, trouver son espace d’expansion parmi les autres contraintes temporelles.

Dans une première approche globale, il semble donc qu’autour de l’objet « temps, espace et organisation de travail » se noue un processus d’abandon / adaptation qui consacre une rupture avec le modèle étudiant / enseigné et fait place, dans la phase provisoire d’une année scolaire, au couple professeur / stagiaire.

Ce schéma, s’il tente de rendre compte, très sommairement, d’une visée normative et institutionnelle, est néanmoins trop manichéen pour rendre compte de la complexité des interactions diverses et des niveaux multiples qui caractérisent la construction de l’identité de l’enseignant dans son rapport au temps et à l’espace professionnels.

Notes
58.

Nous employons le pluriel à dessein pour indiquer que sous une dénomination et des normes générales communes à un type de concours peuvent coexister des types de démarches variés (contenus bien sûr, mais aussi volumes annuels des temps de préparation, modes d’interrogation), comme autant de marques de l’empreinte des différentes disciplines.

59.

On considère ici que le terme de la première partie de l’année se situe en mars (épreuves écrites d’admissibilité), avec un début d’année entre mi-septembre et mi-octobre selon les disciplines (les volumes de cours sont variables d’une discipline à une autre). Après les épreuves écrites, le travail de préparation aux épreuves orales d’admission mène les candidats jusqu’en juin (ce qui ne signifie pas que le contenu des épreuves orales n’ait pas été abordé auparavant).

60.

Il s’agit en quelque sorte de « se distinguer » de la masse des candidats, de « surpasser » ses performances antérieures ; on pourrait dire que le candidat doit être capable de produire une performance de haut niveau.

61.

Bossard, L.M., « La crise identitaire », in Blanchard - Laville, C., Nadot, S. (dir.), Malaise dans la formation des enseignants, Paris : L’Harmattan, 2000, 274 p, pp. 97-246..

62.

Nous utilisons ce terme pour marquer l’absence de démarquage que nous croyons déceler entre la gestion du temps et de l’espace de travail du candidat à un concours par rapport à un étudiant en filière initiale diplômante. Cependant, nous ne négligeons pas l’accroissement probable de la quantité de travail lors de la préparation du concours.

63.

En deuxième année de formation, le professeur-stagiaire de lycée-collège (PLC) se trouve en position de responsabilité en assurant un service de quatre à six heures dans une ou deux classes. Ce « stage en responsabilité » se déroule sur la totalité de l’année scolaire.